Le Décryptage Du Génome De La Vigne : Une Avancée Scientifique Majeure

15 mars 2009

 

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Salle de séquençage de Génopole à Evry. Plusieurs séquenceurs automatisés fonctionnent en permanence. Ils analysent automatiquement par électrophorèse sur gel l’enchaînement des bases constituant une molécule d’ADN. Les données sortant des machines sont soumises à différents processus de contrôle et de traitement par le département informatique qui développe des procédures automatisées permettant de traiter quotidiennement de grandes quantités de données. Les lectures provenant d’un même génome (ou grand fragment de génome) sont comparées entre elles pour trouver les zones de chevauchement et reconstituer leur enchaînement (assemblage). La séquence réassemblée est ensuite soumise à différents niveaux d’interprétation au moyen d’outils informatiques. On essaie notamment de détecter les instructions (gènes) disséminées dans la séquence. Après vérification, les données sont mises à la disposition de la communauté scientifique mondiale par le réseau internet, ou bien déposées dans des banques de données publiques.

Le séquençage du génome de la vigne a été réalisé par des équipes de chercheurs français et italiens à la fin de l’année dernière. L’acquisition de ce capital de connaissances au niveau d’une plante aussi symbolique que la vigne est sans aucun doute une découverte majeure. Tous les acteurs de la recherche en vigne considèrent que cette avancée est capitale car elle ouvre de nouvelles perspectives dans divers domaines. Beaucoup d’équipes scientifiques vont immédiatement en tirer profit sans que la nature de leurs travaux change mais l’accès au génome va en quelque sorte élargir les champs d’investigation et « accélérer » l’avancement des recherches.

Depuis de nombreuses années, des équipes de chercheurs de l’INRA et divers pays viticoles dans le monde réfléchissaient ensemble au développement d’axe de recherches sur le génome de la vigne au sein d’un Consortium International de Génomique Vigne. Cette structure a favorisé les rencontres et les échanges entre chercheurs qui en sont arrivés à une même conclusion : le montage d’un projet de séquençage du génome de la vigne devait se concrétiser. Après plusieurs initiatives infructueuses, les équipes de l’INRA de Versailles ont noué des contacts plus étroits avec des collègues italiens en 2003. Cette initiative s’est concrétisée dans le courant de l’année 2005 grâce au soutien financier des ministères de l’Agriculture français et italien. La collaboration des scientifiques de l’INRA de Versailles, du Génoscope au Génopole d’Evry, du CRA en Italie (équivalent de l’INRA en France) et des universités d’Udine, de Vérone et Milan, s’est réellement mise en place à partir du début de l’année 2006. Les pouvoirs publics français et italiens ont débloqué une enveloppe budgétaire de 12 millions € pour ce projet. Au bout de 18 mois d’études, une première version du génome de la vigne de très bonne qualité a été présentée (en septembre 2007) à la communauté scientifique française et italienne. La vigne possède un génome beaucoup moins lourd que celui du blé, mais la grande variabilité des gènes a nécessité quelques adaptations techniques. Pour surmonter cette contrainte, les chercheurs ont travaillé en collaboration avec l’INRA de Colmar qui leur a fourni du matériel végétal obtenu à partir d’auto-fécondations successives (une lignée de Pinot Noir). Mme Anna Françoise Adam-Blondon, la responsable de l’équipe française, considère que les recherches ont été conduites dans les deux pays avec un souci de grande efficacité et cela a débouché sur une avancée scientifique majeure. Le séquençage définitif du génome de la vigne sera finalisé dans le courant du premier semestre 2008. La vigne est la quatrième plante dont le génome est complètement décrypté après l’arabette, le riz et le peuplier.

Un univers de technologies de pointe à décrypter

Pour les néophytes que sont la plupart des citoyens, des viticulteurs et des techniciens de terrain, il est difficile d’apprécier la portée d’une telle découverte compte tenu de la complexité des travaux scientifiques mis en œuvre. Les ingénieurs et les chercheurs travaillant sur ces dossiers sont immergés dans un univers de technologies de pointe et la présentation de leurs travaux s’appuie sur un vocabulaire scientifique précis et complexe généralement inconnu du grand public. Il est pourtant indispensable de rendre accessibles ces connaissances scientifiques en utilisant un vocabulaire plus courant mais qui exprime de façon juste les résultats des travaux. Lorsque cet effort de décryptage n’est pas pleinement réussi, cela peut conduire à des incompréhensions susceptibles de générer des tensions entre les chercheurs et le grand public. Le rappel de quelques données générales et simplifiées sur l’organisation du patrimoine génétique des cellules est sûrement un préalable indispensable pour mieux comprendre l’importance du décryptage du génome de la vigne.

L’ADN est présent dans toutes les cellules

Toutes les cellules des organismes vivants (du règne animal et végétal) sont en quelque sorte « codées » sur le plan génétique par la présence de l’ADN (localisé au niveau du noyau cellulaire) qui est la molécule de l’hérédité. L’ADN (l’acide désoxyribonucléique) contient toutes les informations relatives à la vie des organismes vivants. La fonction de l’ADN est de fabriquer des protéines indispensables à la vie des cellules dont les rôles majeurs sont l’autonomie des organismes (la croissance et la défense) et leur reproduction. En résumé, l’ADN contient toutes les informations susceptibles de créer et de constituer les organismes. Chaque organisme est constitué de milliards de cellules juxtaposées qui ont toutes un rôle particulier et forment les différents organes (pour la vigne, les rameaux, les feuilles, la structure des grappes, la présence d’arômes de polyphénols…). L’information génétique est codée et organisée sous la forme de gènes. Les gènes sont eux-mêmes constitués d’allèles qui, selon leur nature, provoquent ou pas l’extériorisation de certains caractères. L’ensemble des gènes d’une espèce représente le génome. L’ADN est présent dans toutes les cellules d’un être vivant (au niveau de son noyau) et il se présente sous la forme de « pelotes » agglomérées : les chromosomes. Lorsqu’on leur demande, les cellules se reproduisent en se dupliquant. L’ADN de la cellule mère est reproduit à l’identique pour former l’ADN de la cellule fille. Le squelette de l’ADN a une forme en double hélice qui supporte l’ensemble des chromosomes. Le nombre et la nature des chromosomes sont variables selon les espèces. Ce sont les chromosomes qui permettent la transmission du patrimoine génétique.

La vigne possède 38 chromosomes et plus de 30 434 gènes

La vigne Vitis vinifera possède un capital génétique complexe du fait de la présence de deux copies de chromosomes présentant de grandes différences. L’aboutissement des recherches a permis de nommer les gènes et de les localiser sur les chromosomes. Le génome de la vigne est constitué de deux paires de 19 chromosomes qui portent 30 434 gènes. Le fait de connaître l’ensemble des gènes intervenant dans le capital génétique de la vigne est une découverte fondamentale qui vient conforter le travail préalablement réalisé par certains chercheurs (ayant déjà identifié de façon isolée la présence de quelques gènes). Tous les cépages sont porteurs des mêmes gènes et leurs caractéristiques physiologiques différentes sont liées au fait que chaque gène peut exister sous des versions différentes ou exprimer ou pas des caractères. Les gènes sont eux-mêmes constitués d’un certain nombre d’allèles (des petits composés) qui, selon leur nature, confèrent à chaque cépage des spécificités, la couleur des baies, la forme des feuilles, le type de port de végétation, la fertilité, la sensibilité ou la résistance à certaines maladies…

L’identification de la présence des 30 434 gènes ne signifie pas pour autant que leur fonction est connue mais leur rangement précis sur les chromosomes constitue déjà un progrès très important. Par exemple, des travaux antérieurs avaient révélé l’importance de quelques gènes sur la synthèse des terpènes. Chez la vigne, les terpènes sont des molécules importantes dont le rôle influence la synthèse des arômes, l’adaptation au milieu et la production d’hormones de croissance. L’apport du séquençage du génome a permis d’identifier et de localiser sur les chromosomes l’ensemble des gènes intervenant sur la synthèse de ces composés. Les études sur ce sujet vont donc désormais concerner la hiérarchisation du rôle de chacun des gènes et ainsi, on pourra expliquer pourquoi certains cépages développent une structure aromatique plus intense que d’autres.

Des ressources publiques qui stimulent la recherche scientifique en vigne

Les intérêts du décryptage complet du génome pour la filière viticole française et européenne seront sûrement nombreux dans les décennies à venir. Le travail qui a été réalisé s’inscrit dans une démarche normale et logique d’acquisition de nouvelles connaissances sur la vigne. Par ailleurs, cette initiative qui est conduite sous l’égide d’organismes publics, l’INRA en France et le CRA en Italie avec le soutien financier des ministères de l’Agriculture des deux pays, constitue un gage sérieux sur le plan de l’éthique et de l’accès aux connaissances. Le fait que ces ressources soient en quelque sorte « publiques » permet d’en faire bénéficier toute la filière de recherche vigne et cela stimule déjà la dynamique d’étude. Le décryptage du génome est peut-être en train de recréer une forte mobilisation scientifique autour de la vigne. Si ce même travail avait été réalisé par des acteurs privés, les communications auraient été bien moindres. Il faut savoir qu’en Italie un autre projet privé de séquençage du génome de la vigne est conduit, mais pour l’instant il n’a livré que des conclusions partielles.

Un acquis fondamental qui ouvre de nouvelles perspectives de recherche

Mme Nathalie Ollat, l’ingénieur de recherche du laboratoire d’écophysiologie et de génomique de la vigne à l’INRA- ISVV (Institut supérieur de la vigne et du vin) de Bordeaux, estime pour sa part que le décodage du génome de la vigne obtenu par les équipes de recherche franco-italienne est vraiment un résultat important pour tous les chercheurs qui s’impliquent dans les démarches d’amélioration variétales de la vigne. Le fait d’avoir en quelque sorte réalisé l’inventaire des gènes intervenant dans la construction du génome de la vigne va ouvrir de nouveaux horizons à de nombreuses équipes de recherche : « C’est un acquis fondamental car jusqu’à présent, certains chercheurs avaient simplement identifié quelques gènes. Le fait d’avoir séquencé le génome de la vigne a permis de localiser rapidement l’ensemble des gènes intervenant dans le patrimoine génétique de cette plante. Par contre, le rôle de chacun de ces gènes dans le fonctionnement de la plante n’est pas connu. Il semble que des avancées aient été réalisées sur le rôle de quelques gènes intervenant dans la synthèse des arômes et des polyphénols. Il reste un travail très important à réaliser pour établir le rôle des nombreux gènes intervenant par exemple sur la résistance aux maladies, l’expression de plus d’acidité… Le fait de connaître le génome de la vigne va permettre de conduire les démarches de recherches en utilisant des méthodologies novatrices. La connaissance de la séquence peut permettre à court terme de déterminer des différences entre variétés. Ensuite, il faudra encore beaucoup d’études pour expliquer ces différences » Les applications du séquençage vont être nombreuses et bénéfiques vis-à-vis des recherches en matière d’amélioration variétales, de connaissances des fonctions précises des gènes (notamment ceux qui sont spécifiques à la vigne), des possibilités de transferts de résultats obtenus sur d’autres espèces et de mise au point d’outils de diagnostic du fonctionnement de la plante.

De nouveaux outilspour identifier la fonction des gènes

Les apports du séquençage vont permettre de mieux caractériser les ressources génétiques naturelles de la vigne, d’analyser plus efficacement la diversité de comportement des cépages, des clones et de rechercher plus efficacement des critères de production en phase avec les nouvelles attentes qualitative et environnementales. Cela va permettre d’accélérer les démarches d’études en cours pour déterminer et localiser dans le génome les gènes impliqués dans l’expression de nombreux caractères propices à la qualité des raisins et des vins.

Si ces connexions sont établies, les processus de triage des géniteurs et des descendants pourront être accélérés. Les démarches de sélections clonales qui demandent aujourd’hui une quinzaine d’années pourront être raccourcies avec des phases de validation au champ plus courtes. On pourra aussi considérablement élargir les champs d’investigation en matière de recherche de diversité génétique des clones.

Des démarches d’amélioration variétales traditionnelles plus exhaustives

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Technicien chargeant un gel sur le séquenceur d’ADN (Labogena).

Ces mêmes approches pourront être utilisées dans les démarches traditionnelles d’obtention (non OGM) de nouvelles variétés en cours (pour les cépages et les porte-greffes) qui concernent notamment des résistances aux principales maladies cryptogamiques, le mildiou, l’oïdium et peut-être à moyen terme aux maladies du bois. En Charentes, l’obtention du nouveau cépage, le Folignan (un hybride intraspécifique Ugni blanc X Folle blanche), a demandé presque 25 ans entre le moment de l’obtention du croisement et son agrément. Les étapes de validation au champ représentent plus des 2/3 de la démarche totale, mais la validation au champ reste incontournable.

Actuellement, on peut se demander si l’obtention d’une nouvelle variété après un délai aussi long est encore en phase avec les attentes d’une filière qui a subi des évolutions profondes en deux décennies. Les nouveaux outils issus du séquençage, ce délai pourrait probablement réduit à une petite quinzaine d’années.

L’INRA de Colmar travaille depuis une quinzaine d’années sur de nouvelles obtentions, mais ces recherches demandent beaucoup de patience. M. Didier Merdinoglu, le directeur de recherche de l’unité génétique et amélioration de la vigne à l’INRA de Colmar, considère que l’introduction de nouvelles méthodologies scientifiques depuis le milieu des années 90 a déjà permis de réduire les délais pour obtenir des nouvelles variétés en une quinzaine d’années.

Mieux utiliser les capacités naturelles de résistance de certains « Vitis »

Il estime que l’apport du séquençage du génome va surtout permettre de réaliser des triages de gènes résistants dans les espèces de Vitis existant à l’état naturel de manière beaucoup plus efficiente : « Au sein de mon unité de recherche, nous travaillons sur deux types de création de matériel végétal, la recherche de nouveaux clones et l’obtention par croisement naturel des cépages qualitatifs qui soient aussi résistants aux maladies cryptogamiques (principalement au mildiou et à l’oïdium). La montée en puissance des contraintes liées aux préoccupations environnementales (la réduction de l’utilisation des pesticides), à l’évolution climatique et aux attentes qualitatives est désormais prise en compte dans le développement des recherches d’amélioration variétale. Parmi les espèces Vitis, il existe des variétés qui naturellement présentent une résistance élevée aux attaques de mildiou et nous utilisons ce capital génétique pour réaliser des croisements avec des vinifera cultivés dans les grandes régions viticoles. L’apport des connaissances liées au séquençage de la vigne va nous permettre d’identifier efficacement les gènes plus prioritaires impliqués dans les phénomènes de résistance et aussi ceux initiant les paramètres qualitatifs que l’on souhaite conserver et développer. Ces apports de connaissances vont faciliter les démarches de triage et de suivi des gènes au niveau de la descendance. Dès le stade plantule, on pourra vérifier si le capital génétique est en quelque sorte conforme. Les investigations en matière d’amélioration variétale vont donc devenir encore plus larges et plus efficientes. » L’équipe d’amélioration variétale de l’INRA de Colmar pourrait présenter, à l’horizon des années 2015, les premières variétés de cépages blancs (adaptés au contexte de production alsacien) possédant une résistance élevée au mildiou.

Une volonté de travailler en pleine concertation avec la profession

La philosophie actuelle en matière d’amélioration variétale de la vigne repose sur un principe qui a été largement mis en avant depuis quelques années : « A partir du moment où les recherches pour résoudre un problème peuvent s’appuyer sur d’autres pistes de réflexions de transgénèse, il faut exploiter prioritairement ces voies d’études. Les approches d’amélioration variétales par transgénèse en vigne sont actuellement possibles mais depuis la fin de l’année 2003, aucune nouvelle recherche scientifique sur les OGM vigne n’a été engagée. »

Un seul essai de plein champ d’OGM vigne a été mis en place en pleine concertation avec tous les acteurs de la filière. Il concerne, à l’INRA de Colmar, une expérimentation d’un porte-greffe résistant à la virose du court-noué. L’INRA a décidé de ne pas s’engager dans de nouveaux travaux de transgénèse sans que l’ensemble des professionnels de la filière viticole nationale ait donné son accord. Le souhait des équipes scientifiques de l’INRA est de créer et d’entretenir dans la durée un dialogue constructif avec l’ensemble des professionnels des régions viticoles françaises pour fixer en pleine concertation les orientations des futurs programmes de recherche. En Italie, il semble que ce dialogue avec les professionnels soit déjà bien engagé et le décryptage du génome de la vigne est perçu avec intérêt par les professionnels. Le dernier apport issu de l’identification du génome de la vigne concerne la mise au point de nouveaux outils de diagnostics moléculaires de l’état de la vigne (comparables au test Elisa utilisé vis-à-vis des viroses aujourd’hui) dans les parcelles soumises à des affections mal identifiées. On pourrait ainsi valider avec ces nouveaux outils de détection (avec des kits d’identification rapide) une situation de stress hydrique, d’excès d’eau, de déficience minérale, de présence de flavescence dorée, de viroses et maladies cryptogamiques.

 

Bibliographie :
– Mme Anne-Françoise Adam-Blondon, unité mixte de recherche végétale d’Evry.
– Mme Nathalie Ollat, de l’INRA-ISVV de Bordeaux.
– M. Didier Merdinoglu, de l’unité de génétique et d’amélioration de la vigne à l’INRA de Colmar.
– Communiqué de presse de l’INRA du 27 août 2007.
– Lettre technique de mai 2007 de l’ENTAV-ITV France.
– Photothèque de l’INRA.

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