Le désherbage raisonné repose sur l’alternance des stratégies de lutte

6 mars 2009

La Rédaction

Le désherbage chimique de la vigne connaît depuis quelques années une profonde évolution en raison du retrait des matières actives de la famille des triazines et de la forte restriction d’utilisation du diuron. Les gammes de spécialités commerciales d’herbicides en vignes se sont donc considérablement réduites et comme à court terme aucun nouveau produit semble être en mesure de venir étoffer le groupe d’herbicides de pré-levée, les stratégies de lutte vont désormais devoir s’inscrire dans des démarches plus raisonnées. L’équipe de techniciens de la Chambre d’agriculture de la Charente a conduit depuis un certain nombre d’années une expérimentation « de désherbage raisonné » qui tend à prouver que les stratégies d’alternance de programmes de traitements et de matières actives constituent une piste de réflexion d’avenir.

Les pratiques de désherbage chimique en viticulture connaissent une évolution forcée en raison de l’apparition de nouvelles mesures environnementales qui ont conduit au retrait du marché des principales matières actives de pré-levée de la famille des triazines. En effet, la plupart des programmes de désherbage reposaient jusqu’à présent sur des approches de traitements dites systématiques avec une première application au printemps (en avril) associant des spécialités de pré et post-levée et ensuite une deuxième intervention de début d’été (courant juin-juillet) pour contrôler les adventices dites résistantes. Le coût très abordable des spécialités commerciales à base de therbutylazine, de simazine, de diuron mais aussi de glyphosate avait permis de conforter les stratégies d’assurance et aussi de simplifier considérablement l’entretien des sols au printemps et ensuite tout au long de la saison. Désormais, la gestion des programmes de traitements herbicides va devenir plus complexe, peut-être aussi plus coûteuse (en intrants et en nombre d’interventions), et indéniablement il va falloir privilégier des démarches de traitements plus raisonnées. Le spectre d’activité moins large des herbicides de pré-levée actuellement homologués, le souci de ne pas sur-utiliser les spécialités à base de glyphosate (même si elles sont devenues très abordables) et la capacité permanente de la flore d’adventices à s’adapter aux différentes pressions de sélection des herbicides constituent des éléments indissociables dont la juste appréciation doit contribuer à assurer la pérennité des pratiques de désherbage.

L’organisation concrète des traitements était aussi jusqu’à présent gérée d’une manière uniforme à l’échelle d’une propriété entière en choisissant une époque d’intervention moyenne sans réellement prendre en compte les différences de nature de flore spécifiques aux effets parcelles. Les nouveaux enjeux du désherbage reposeront sur une observation plus fine de la nature du couvert végétal afin d’affiner le choix des produits, d’optimiser les doses et de moduler la nature des traitements selon les parcelles.

Une expérimentation pour trouver une alternative aux triazines et aux restrictions d’utilisation du diuron

M. Jean-François Allard et Yoann Lefèbvre, les techniciens de la Chambre d’agriculture de la Charente, ont conduit des expérimentations depuis 1997 dans l’objectif d’essayer de trouver une alternative à l’utilisation des herbicides à base de triazine et de diuron. Divers programmes de lutte ont été testés sur deux types de sols et flore différents, l’un à Roissac sur des terres de champagne et l’autre à Rouillac sur des terres de groies. Les mêmes traitements ont été répétés sur les mêmes parcelles pendant plusieurs années et cela a permis de suivre l’évolution de la flore et l’impact environnemental de stratégies de luttes répétitives. Ces deux techniciens considèrent que la réflexion technique pour la mise en place des deux plates-formes de désherbage de Roissac et de Rouillac repose sur trois éléments essentiels : l’anticipation des retraits des trois principales matières actives de pré-levée, la prise en compte de l’évolution du contexte environnemental et la recherche du meilleur rapport coût/efficacité : « Les programmes de lutte ont été construits en travaillant le positionnement des produits commerciaux (sans matières actives à base de triazine) en terme d’époque d’application mais aussi de doses ». L’enjeu de la lutte herbicide est d’éviter les phénomènes de compétition vis-à-vis de l’eau et des éléments fertilisants entre le 15 juin et la fin du mois de septembre. Durant l’hiver et au début du printemps, la présence d’un couvert végétal présente un certain nombre d’avantages par rapport à un sol nu, surtout en matière de compactage des sols, de résistance à l’érosion et de remontée des éléments fertilisants à proximité du chevelu racinaire. Le raisonnement des stratégies de désherbage chimique et l’alternance des matières actives employées présentent de nombreux intérêts au niveau du contrôle de la flore et aussi au niveau de la pérennité de l’efficacité des herbicides. La finalité du désherbage est actuellement de traiter les adventices à leur stade sensibilité maximum afin de « casser » les cycles de développement des herbes. Le fait de passer de programmes de lutte systématiques construits sur la base de deux applications par an à des périodes identiques chaque année à des stratégies plus raisonnées et évolutives dans le temps permet de perturber le cycle de développement de la flore et à terme de diminuer le stock de graines de mauvaises herbes présent dans le sol. Néanmoins, la notion de seuil de nuisibilité des adventices reste difficile à appréhender compte tenu de la capacité d’infestation très différente des herbes. Par exemple, quelques ronds de véroniques dans une parcelle au printemps ne sont pas inquiétants alors que la présence de petites zones infestées de chardons, de chiendents ou d’amarantes suffiront à alimenter un réservoir de graines à risque pour les années à venir.

Privilégier les stratégies d’alternance des programmes et des matières actives

yohann_lefebvre.jpgLes pratiques traditionnelles de désherbage chimique dans nos régions reposaient jusqu’à présent sur deux applications, l’une en pré-débourrement associant des herbicides foliaires et résiduaires (à demi-dose) et l’autre fin mai début juin associant aussi des herbicides foliaires et résiduaires (la seconde demi-dose). Le fait de fractionner les apports de matières actives résiduaires avait permis à la fois d’améliorer la rémanence du désherbage et aussi de réduire les doses d’apports des différentes spécialités commerciales. Ces pratiques de désherbage sont
désormais dépassées sur le plan technique car les spécialités commerciales de pré-levée encore homologuées n’ont plus le spectre d’efficacité suffisant pour contrôler le développement de la flore.

Par ailleurs, la réalisation des premières applications dans le courant du mois d’avril qui étaient en général réalisées sur un couvert végétal assez développé, ne constituait pas des conditions optimales d’efficacité pour les matières actives résiduaires. Dans les zones non gélives, le fait de différer de 4 ou 5 semaines la première application de printemps (fin avril, début mai) et d’intervenir avec des herbicides foliaires présente le double avantage de traiter les herbes à un stade plus avancé et de retarder aussi l’évolution de la flore (un décalage dès la germination des adventices estivales). La présence d’un couvert végétal au printemps (constitué de graminées et de dicotylédones annuelles) ne génère aucune nuisance pour la vigne et l’enherbement des interlignes a au contraire démontré tout son intérêt vis-à-vis de la chlorose dans les sols calcaires.

D’une manière générale, les pratiques de désherbage chimique vont reposer sur une adaptation permanente des programmes de traitements directement en phase avec l’évolution de la flore d’adventices et la climatologie. L’alternance des matières actives et des spécialités commerciales s’inscrit complètement dans ces démarches de désherbage raisonnées qui d’une part minimisent les risques d’inversion de flore et d’autre part permettent de gérer judicieusement l’utilisation des molécules d’herbicides. L’alternance des stratégies de luttes et donc des matières actives permet d’éviter des sur-utilisations d’un même produit qui conduisent à terme à des risques d’accumulation de résidus dans les eaux pluviales et souterraines. Les gammes d’herbicides de pré et post-levée s’étant considérablement réduites au cours des deux dernières années, il convient donc de savoir « économiser » les matières actives homologuées. Ces réflexions concernent tout autant le désherbage en plein que le désherbage sous le rang.

Les conditions d’application jouent un rôle déterminant sur l’efficacité des traitements

Les conditions d’applications jouent aussi un rôle déterminant sur l’efficacité des traitements. L’utilisation des herbicides foliaire doit être de préférence réalisée dans des conditions d’hygrométrie supérieures à 70 % pour que la bouillie soit absorbée par les plantes dans de bonnes conditions. Au cours de l’été 2003, un certain nombre de traitements de rattrapage n’ont pas eu leur pleine efficacité en raison des très fortes chaleurs et de l’absence de rosées matinales. La température ambiante a aussi une incidence sur la vitesse de réaction des plantes aux produits foliaires. En conditions trop froides au printemps, les herbicides foliaires mettent plus de temps à extérioriser leur efficacité sur la végétation. La modulation des doses d’apports des spécialités commerciales selon l’importance du couvert végétal et le stade de développement des mauvaises herbes représente un moyen à la fois de préserver et de renforcer l’efficacité à moyen terme de ces produits. En effet, le coût très accessible des spécialités à base de glyphosate ne doit pas conduire à une sur-utilisation et les démarches d’ENM (d’enherbement maîtrisé) ont aussi montré leurs limites. L’alternance des matières actives et la modulation des doses d’apports représentent des moyens judicieux pour conserver leur pleine efficacité dans le temps à ces produits foliaires qui sont devenus essentiels dans les approches de raisonnement du désherbage chimique. L’application des herbicides résiduaires nécessite aussi certaines précautions au moment de l’application pour assurer le bon positionnement des matières actives dans le sol.

Un traitement réalisé sur un sol trop sec et dans un contexte de sécheresse s’avérera pénalisant pour la diffusion du produit à la surface du sol. L’arrivée de pluie dans les jours qui suivent un traitement permet de positionner les matières actives dans la couche superficielle de sol et une hygrométrie suffisante les stabilise dans le temps. Des applications de produits de pré-levée postérieures au mois de juin peuvent s’avérer moins efficaces du fait des fortes chaleurs et des niveaux de température élevés. Le respect des doses joue un rôle important sur la rémanence des produits résiduaires et tout sous-dosage aura comme conséquence de réduire leur efficacité dans le temps. Cette corrélation directe entre la concentration des matières actives de pré-levée et la rémanence du désherbage a amené les techniciens à imaginer de construire des programmes de désherbage mixte décalé avec un premier traitement avec des spécialités foliaires à la mi-mai et une seconde application à la mi-juin associant des produits de pré-levée à doses réduites et de post-levée afin d’assurer une bonne rémanence jusqu’aux vendanges.

La présentation des deux essais de Roissac et de Rouillac

L’expérimentation conduite par MM. J.-F. Allard et Y. Lefèbvre a permis de tester plusieurs stratégies raisonnées en comparaison avec la pratique traditionnelle de deux traitements fractionnés associant du Fénican (2,5 l/ha) à du Touch Down (4 l/ha).

La première stratégie à application unique ou de pré-débourrement regroupe quatre programmes de traitements associant des herbicides foliaires et de pré-levée, du Surflan (5 l/ha) et du Touch Down (4 l/ha) à la mi-mai, du Pledge (1 kg/ha) et du Touch Down (4 l/ha) au 10 avril, du Dévrinol (8 l/ha) et du Basta (5 l/ha), du Katana (0,2 kg) et du Touch Down (4 l/ha).

La deuxième stratégie dite mixte reposait sur deux applications, l’une de pré-débourrement associant des herbicides de pré-levée et de post-levée, et une seconde de plein été à la fin juillet avec un herbicide de post-levée. Deux programmes de traitements ont été testés, le premier avec du Prowl (6 l/ha) et du Touch Down (4 l/ha) en pré-débourrement, suivi d’une application de fin juillet uniquement avec du Touch Down (4 l/ha) et le second avec les mêmes produits mais avec une dose de Prowl réduite à 4 l/ha.

La troisième stratégie reposait sur un programme mixte mais avec une première intervention décalée à la mi-mai à base uniquement d’herbicides foliaires et une seconde intervention à la mi-juin associant des herbicides de pré et post-levée. Quatre modalités de ce type ont été testées avec un premier traitement commun au 15 mai avec du Touch Down (4 l/ha) et cinq variantes au niveau de la deuxième application de la mi-juin, du Donjon (2 l/ha) plus du Touch Down (4 l/ha), du Katana (0,15 kg/ha) plus du Touch Down (4 l/ha), du Pledge (0,4 kg/ha) plus du Touch Down (4 l/ha), du Dévrinol (4 l/ha) plus du Touch Down (4 l/ha) et enfin de l’Amok (12,5 l/ha).

La dernière stratégie concerne des programmes tout foliaire reposant sur deux applications, l’une à la mi-mai et la seconde début août. Trois modalités ont été testées avec, pour la première, du Weedazol (9 l/ha) et ensuite du Basta (5 l/ha), pour la seconde deux applications de Roundup Flash (3 l/ha) et enfin deux applications de Basta (à 5 l/ha). Dans les terres de champagne du site de Roissac, la flore de graminées était dominante dans les témoins avec une forte présence de ray- grass, de pâturin et de brome. Quelques dicotylédones étaient aussi présentes avec notamment des pissenlits, de l’érigéron et du plantain. Les vivaces traditionnelles, chardon et liseron, n’ont pas connu un développement abondant sur les témoins en 2003. Sur les terres de groies, la flore était plus diversifiée surtout au niveau des dicotylédones. Les herbes les plus présentes dans les témoins au cours de la saison étaient le pâturin, les amarantes, la calépine, la chiche, le géranium, la mercuriale, le mouron, le myosotis et la véronique.

 

Bibliographie :

MM. Jean-François Allard et Yoann Lefèbvre, techniciens viticoles à la Chambre
d’agriculture de la Charente.

 

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