Il peut en être retenu les éléments essentiels suivants : en premier lieu, augmentation de la température du globe entre 2 et 6 °C (suivant les modèles, mais aussi suivant les hypothèses d’évolution du CO2, voir figure 1) ; ensuite, un effet plus contrasté sur la pluviométrie, avec une tendance à l’augmentation pour les régions et saisons humides et inversement une diminution dans les situations sèches qui seraient ainsi renforcées ; une tendance également à l’accroissement de la variabilité et des épisodes extrêmes.
Au niveau de l’Europe, et plus particulièrement de la France, les modèles du CNRM et de l’IPSL ont contribué au récent rapport. Ils convergent pour fournir les estimations résumées dans le tableau 1, le premier permettant d’obtenir des scénarios avec une résolution spatiale de 50 km, suffisamment précise pour évaluer des tendances régionales (figure 2).
L’impact sur la production viticole
Des travaux de recherche datant de quelques années avaient déjà permis d’évaluer les conséquences probables pour l’agriculture au niveau de la France, en particulier pour les cultures annuelles (blé, maïs essentiellement) et la prairie (Delecolle et al., 1999, Soussana 2001). Par contre, peu d’études avaient encore été menées sur la vigne, et c’est l’article de Schultz (2000), bien connu des milieux viticoles français, qui a commencé à poser la question.
Les observations sur l’évolution des dates de floraison des arbres fruitiers ont amené à se poser aussi la question sur la vigne, et à lancer des programmes de recherche dans le domaine.
Une photosynthèse stimulée par l’augmentation du CO2 à la fin du siècle
Il faut d’abord noter que, comme tous les couverts végétaux, la vigne sera directement concernée par l’augmentation de la concentration atmosphérique du CO2, en grande partie responsable du renforcement anthropique de l’effet de serre. La stimulation de la photosynthèse liée à cette augmentation devrait atteindre 20 à 30 % (dans l’hypothèse d’une concentration double de celle des années 90, soit environ 700 ppm), suivant les cultures et les conditions de milieu, et l’augmentation résultante de biomasse 15 à 20 %, compte tenu du fait que la respiration sera également renforcée
Par ailleurs, l’efficience d’utilisation de l’eau devrait être augmentée (de l’ordre de 10 %), par suite de l’effet sur la résistance stomatique (figure 3).
Une production de biomasse ainsi accrue, avec une efficience de l’eau augmentant simultanément, conduira à un fonctionnement éco-physiologique significativement différent, et devrait amener à revoir l’ensemble des pratiques culturales, en tenant compte des effets purement climatiques que nous allons aborder maintenant.
Des évolutions phénologiques à prévoir… et d’ailleurs déjà perceptibles
C’est évidemment le facteur température qui est central et le plus mis en évidence dans les scénarios climatiques. C’est d’ailleurs ce facteur qui est responsable des évolutions signalées plus haut, en lien avec le réchauffement avéré du climat sur la France métropolitaine au cours du siècle passé, de l’ordre de 0.9 °C (Moisselin et al., 2002), et plus particulièrement au cours de la dernière décennie, de l’ordre de 0.4 à 0.6 °C.
Ces évolutions ont concerné pratiquement toutes les manifestations phénologiques des cultures pérennes, en particulier pour les dates de floraison (avancée de l’ordre de deux à trois semaines en trente ans, aussi bien pour la vigne que pour les arbres fruitiers). Et les dates de vendange ont avancé de presque un mois en cinquante ans dans les Côtes-du-Rhône (Ganichot, 2002, figure 4), sans qu’a priori cela ne puisse s’expliquer, sinon pour une faible part, par des considérations de pratiques culturales.
Cette avancée généralisée du calendrier viticole se manifeste également dans l’ensemble des régions viticoles françaises, puisqu’elle est observée et documentée du Bordelais à l’Alsace et à la Champagne, en passant par la Bourgogne. Elle est également attestée en Californie et en Afrique du sud, et encore peu perceptible en Amérique du sud et en Australie (ce qui est d’ailleurs en bon accord avec la répartition spatiale des scénarios climatiques du futur, qui prévoient un réchauffement plus marqué dans l’hémisphère nord, où la surface couverte par les surfaces continentales est plus importante que dans l’hémisphère sud). Elle a également été identifiée par le groupe de travail II du GIEC (IPCC 2007b) comme illustration de la mise en évidence des changements observés dans les écosystèmes naturels ou gérés.
Ces observations amènent à analyser plus en détail les déterminants, et en l’occurrence l’effet de la température qui en paraît le facteur dominant, sinon exclusif. Un développement significatif a porté sur l’intégration des observations phénologiques dans une base de donnéesPhenoclim, commune aux arbres fruitiers et à la vigne. Elle associe des partenaires du domaine de la recherche (en l’occurrence, l’ITV pour la vigne) ou des structures professionnelles en tant que détenteurs des séries historiques, et est coordonnée par l’INRA Avignon pour permettre un lien avec les données climatiques locales sur les sites concernés.
Au-delà de l’analyse des évolutions, cette base a permis d’obtenir des modélisations améliorées par rapport à la seule utilisation classique des sommes de température, et de servir de support à un approfondissement des connaissances sur cet effet thermique sur le développement. Ces modélisations sont ensuite utilisées pour un suivi en temps réel d’une part et intégrées dans des modèles mécanistes simulant le fonctionnement de la culture d’autre part, comme le modèle STICS-vigne que nous évoquerons plus loin.
Il paraît cependant intéressant de faire ressortir ici un élément très important qui explique en grande partie la réponse spécifique de la vigne au réchauffement du climat, et qui se rajoute à la relation étroite entre qualité du vin et climat : l’avancée du calendrier conduit à rapprocher la période de maturation (classiquement, de la véraison à la récolte) de la fin du mois de juillet ou du début d’août, alors qu’elle se situait tra ditionnellement en France dans la deuxième quinzaine d’août (pour les vignobles méridionaux) ou début septembre (pour les vignobles septentrionaux). Il en résulte une température sensiblement plus élevée pendant cette période, qui amplifie l’effet du réchauffement, par ailleurs plus fort pendant la période estivale, comme indiqué dans le tableau 1.
Il faut voir que dans le cas des cultures d’hiver, au contraire, l’avancée de la phase sensible de mai-juin à avril-mai se traduit, au contraire, par une diminution de l’impact du réchauffement. En prenant l’hypothèse d’un réchauffement se situant à la limite entre les scénarios pessimiste et optimiste du tableau 1, on obtient ainsi les ordres de grandeur suivants : pour le blé, un réchauffement moyen de 2.5 °C à la fin du printemps, atténué par un effet de diminution de l’ordre de 1 °C, conduit à un réchauffement effectif pour la période sensible d’environ 1 °C, alors que, pour la vigne, le réchauffement estival de 3.5 °C est au contraire amplifié de 1 °C par l’avancée du calendrier, ce qui conduit à 4 °C ou 5° C au total. L’effet résultant pour la période déterminant la qualité est donc le double de la valeur du réchauffement moyen !
Les conséquences des évolutions du climat récent pour les terroirs
Il a été possible, dans un premier temps, d’évaluer la signification des évolutions récentes en utilisant des outils intermédiaires entre les seules données de température et les modèles plus élaborés en cours de développement (figure 5). Ces outils prennent souvent la forme d’indices, tels que celui d’Huglin (1978). L’analyse rétrospective de celui-ci sur les 30 dernières années et sur 7 sites INRA disposant de données climatiques du réseau géré par Agroclim (Angers, Avignon, Bordeaux, Colmar, Dijon, Montpellier, Valence) a mis en évidence, pour l’ensemble de ces sites, une nette tendance commune à des indices plus élevés, et par ailleurs avec une moins grande variabilité depuis dix à quinze années.
Ce climat, manifestement plus chaud et plus régulier, est évidemment favorable à la production viticole, comme l’attestent des informations des milieux professionnels sur l’augmentation de la teneur en sucre et la baisse de l’acidité au cours de cette période (complétées par les résultats de Duchêne et Schneider 2005, sur le vignoble d’Alsace, voir figure 6 page 34).
L’analyse de l’indice de Huglin amène cependant à constater que cette évolution s’accompagne d’une tendance claire à dépasser dans le futur les limites d’adaptation des cépages aux zones climatiques tels qu’ils étaient définis à partir du climat du passé supposé stationnaire. C’est une démarche équivalente, basée sur une approche empirique de corrélation avec les adaptations des cépages au climat du passé, qui a conduit White et al. (2007) à pronostiquer un déclin de 81 % des vins américains de haute qualité (premium production) à la fin du siècle dans le scénario A2.
Le cas exceptionnel de l’été 2003 (représenté à droite dans les schémas de la figure 5), avec une température estivale plus élevée que la normale de 3 à 4 °C (ce qui en fait le plus chaud depuis l’an 1370 à partir des analyses historiques des dates de vendange sur la Bourgogne, voir Chuine et al., 2005) et une sécheresse marquée à partir de juin, a cependant heureusement montré les limites d’une telle approche empirique des effets d’un changement climatique : même si le millésime 2003 est particulier et ne permettra pas une longue conservation, il n’a pas été la catastrophe totale que pouvait laisser supposer l’indice de Huglin. Bien sûr, des conditions identiques dans le futur conduiront à des vins de typicité différente de celle que l’on connaît depuis des siècles, mais différentes stratégies d’adaptation peuvent être envisagées.
Pour les raisonner, des outils plus complets, basés sur le fonctionnement écophysiologique de la plante, doivent être utilisés : en la circonstance, le modèle STICS-vigne dont les premiers composants avaient été élaborés par Brisson et al. (2002) et qui a été développé récemment par Garcia de Cortazar (2006).
L’étude d’impact du changement climatique à l’échelle de l’ensemble du vignoble français a été réalisée à partir de l’utilisation conjointe du modèle STICS et des données climatiques simulées par le modèle ARPEGE-Climat (Météo-France). Des structures de plantation et des techniques traditionnelles ont été définies pour chaque région.
Les principaux résultats montrent une importante modification de la phénologie, ainsi qu’une augmentation de la biomasse végétative et du rendement (sauf dans les vignobles de Côtes-du-Rhône et Languedoc pour lesquels on observe une diminution), une augmentation du stress hydrique à la fin du cycle et une importante modification des conditions climatiques de la période véraison-récolte.
Suite à ces résultats, différentes combinaisons techniques sont évaluées pour adapter la conduite de la vigne pour chacune des régions. Par ailleurs, une première analyse sur la possibilité de cultiver un cépage (la Syrah) hors de sa zone traditionnelle a confirmé l’impression empirique d’une extension possible vers l’ouest pour un réchauffement modéré (2 °C, scénario B2), et vers le nord-est pour 3-4 °C (scénario A2)… mais le produit obtenu sera de toute façon différent de celui connu traditionnellement.
Conclusion (et quelques mots sur le vignoble de Cognac)
Le réchauffement climatique aura sûrement un effet significatif sur la production viticole, partout dans le monde, mais un peu plus en Europe où le réchauffement doit être plus fort que dans l’hémisphère sud. Par ailleurs, il est sûrement aussi plus sujet à questionnement, compte tenu du lien au terroir (Seguin et Garcia de Cortazar, 2005). Celui-ci ne permet pas d’envisager facilement une adaptation des cépages aux nouvelles conditions, mais c’est évidemment une des options possibles. L’autre est de chercher le plus possible à conserver le système traditionnel, en essayant de limiter le plus possible l’augmentation de température au niveau du topoclimat (collines), du microclimat (fond de vallée pour la nuit) ou du phytoclimat (hauteur et espacement, densité foliaire), etc. Par ailleurs, l’œnologie aura un grand rôle à jouer pour sauvegarder la typicité à partir de composants de la vendange qui auront notablement évolué.
En complément de ces tendances générales, qui valent bien sûr aussi pour le vignoble de Cognac, quelques précisions ont pu être apportées par le travail de thèse mentionné plus haut (Garcia de Cortazar, 2006), à partir de la contribution du service technique du BNIC à la mise au point du modèle STICS-vigne. En retenant un encépagement majoritaire d’Ugni blanc, avec une hypothèse de structure de 3 333 ceps/ha avec 1,5 m de hauteur, les simulations effectuées pour la période 2070-2100 donnent une avancée considérable des dates de floraison et de véraison (respectivement 18 et 30 jours pour le scénario B2, puis 24 et 38 jours pour le scénario A2), quelque peu ralentie à la récolte (12 et 19 jours). C’est le scénario B2 qui se trouve le plus proche, au niveau de la phénologie, de ce qui a été observé en 2003. Par ailleurs, l’analyse de la phénologie de la Syrah indique qu’elle pourrait être cultivée à Cognac dans ce cas de figure de réchauffement pourtant modéré. L’effet global du changement pourrait conduire à une augmentation de l’indice foliaire et de la biomasse sèche des fruits d’environ 25 % pour B2, mais ensuite à une augmentation des stress thermique et hydrique, à une légère baisse de la qualité, comparable à celle de 2003. Il faut s’attendre à des conditions de maturation moins favorables pour l’Ugni blanc, dont le niveau d’acidité pourrait être pénalisé.
La marge d’adaptation par les seules techniques culturales apparaît limitée dans les premiers résultats obtenus dans la thèse, mais ils sont encore très préliminaires. Il faudra aussi évaluer ce que peuvent apporter des modifications du microclimat, ainsi que l’œnologie, sans écarter les réflexions sur l’adaptation de nouveaux cépages.
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