Un frémissement dans les appellations françaises

10 avril 2018

La pression sociétale liée à l’environnement et à la santé, et l’exemple de certains ont fini par provoquer un réel frémissement au sein des appellations françaises. On peut imaginer qu’il ne va faire que s’amplifier dans les mois et les années à venir, aidé en cela par le travail de l’INAO et de l’IFV sur la facilitation d’accès à ces nouvelles pratiques plus environnementales et la pression sociétale.

Aujourd’hui, de nombreuses appellations françaises ont entamé une réflexion en vue de l’intégration de nouvelles mesures agro-environnementales dans leur cahier des charges, dont certaines du Bordelais et de la Loire (ODG Bordeaux, Saint-Emilion et Anjou-Saumur) qui ont vu leurs demandes déjà examinées (et validées pour la plupart), par le dernier Comité National INAO Vin du 15 Février dernier.

Chaque appellation peut maintenant modeler son train de mesures à son gré, choisissant tel ou tel wagon et ignorant tel autre ! Le Bordelais s’est engouffré le premier sur certaines des mesure proposées …

 

Interdiction du désherbage chimique en plein et obligation d’enherbement des tournières

Quelques appellations en Bordelais, Charentes et Loire (Côtes de Bourg, Fronsac et Canon Fronsac, Pineau des Charentes, Pomerol, Saint-Nicolas de Bourgueil, …) s’en étaient déjà préoccupé, précurseurs dans le refus du désherbage intégral, et ayant intégré déjà dans leur cahier des charges des mesures culturales d’enherbement obligatoire des tournières et de travail maitrisé entre les rangs.

Cette mesure, qui peut sembler aujourd’hui un pré-requis à d’autres mesures agroécologiques, est maintenant reprise par les ODG Bordeaux et Saint-Emilion. L’Union des Côtes de bordeaux envisage elle-aussi cette mesure pour ses cinq appellations (Castillon-Côtes de Bordeaux, Franc-Côtes de Bordeaux, Blaye-Côtes de Bordeaux, Cadillac-Côtes de Bordeaux et Ste Foy-Côtes de Bordeaux), de même que l’ODG Médoc pour les AOC qu’il gère, Médoc, Haut-Médoc et Listrac-Médoc.

 

Utilisation de variétés nouvelles

La possibilité d’expérimentation de l’introduction de variétés nouvelles au sein d’un cahier des charges sans perte du bénéfice de l’appellation est porteuse de deux utilités : elle  permet l’expérimentation de cépages résistants en vue de limiter le recours aux produits phytosanitaires, et de cépages mieux adaptés à l’évolution de la climatologie.

Aujourd’hui l’ODG des AOC Bordeaux (AOC Bordeaux, Bordeaux supérieur, Bordeaux rosé et Crémant de Bordeaux) a demandé et obtenu l’intégration dans son Cahier des Charges de la possibilité d’introduire des variétés de cépages n’appartenant pas au cahier des charges (dans une limite de 5% des superficies et 10 % des volumes des vins assemblés)

La même démarche est envisagée par les appellations de l’Union des Côtes de Bordeaux et de l’ODG Médoc (AOC Médoc, Haut-Médoc et Listrac-Médoc).

 

Engagement dans une démarche environnementale

Le Conseil des Vins de Saint-Emilion a demandé, quant à lui, que les viticulteurs des appellations qu’il gère (Puisseguin Saint-Émilion, Lussac Saint-Émilion, Saint-Émilion, Saint-Émilion Grand Cru) aient l’obligation (intégrée dans le cahier des charges des appellations concernées) d’être engagés dans une démarche de certification environnementale reconnue par l’Etat ou AB avant la récolte 2019.

Si l’INAO est favorable à cette démarche qui a été validée, reste à définir les modalités d’application de ce qui n’apparait encore à ce jour que comme une intention. Une réelle certification pourrait être demandée plutôt que l’engagement d’une certification, quitte à en repousser l’échéance d’application.

Reste de même à définir le niveau d’exigence de cette certification (les certifications  de niveau 2 correspondent à une obligation de moyens tandis que le troisième niveau, qualifié de "haute valeur environnementale" (HVE), est fondé sur une obligation de résultats) et le type de certification sur un même niveau.

Comme l’ODG Médoc, l’ODG Entre-Deux-Mers envisage lui aussi une certification environnementale de niveau 2 reconnue par l’État (SME, Terra Vitis, …) qu’il pense rendre obligatoire vers 2023. Pour son président, Bruno BAYLET, « au vu de la pression sociétale et médiatique, il est important de pouvoir prouver les efforts importants qui ont été faits depuis quelques années par les viticulteurs ».

 

Indice de Fréquence de Traitement

L’obligation du calcul de l’Indice de Fréquence de Traitement (IFT) par les opérateurs a été proposée par les ODG Bordeaux et Saint-Emilion. Cette mesure présente un intérêt de sensibilisation et de pédagogie pour les opérateurs, ce qui justifie sa validation par l’INAO qui est cependant intéressé à pouvoir aller plus loin et en faire un traitement collectif. Cette demande est reprise de même par les AOC Médoc, Haut-Médoc et Listrac-Médoc et de même par l’Union des Côtes de Bordeaux. Pour Stéphane HÉRAUD, président de l’Union des Côtes de Bordeaux, il s’agit « d’être plus vertueux dans le mieux-faire, de partager les meilleures pratiques et d’inciter les vignerons à progresser ». Yannick SABATÉ, viticulteur bio en AOC Castillon-Côtes de Bordeaux et membre du Bureau de l’ODG, se félicite de cette évolution de son appellation qui compte déjà 25 % de viticulteurs bio.

 

Un frémissement plus qu’une révolution

Alors que de nombreuses autres appellations sont dans les starting-blocks, avec des réflexions achevées et des décisions déjà prises ou à prendre en Assemblée Générale, force est de constater que s’il représente une évolution, ce train de mesures demandées par des ODG du Bordelais recouvre des mesures d’impact environnemental très différent.

Alors que l’émission récente de Cash Investigation s’est focalisée sur les CMR (produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques), l’INAO a travaillé dans le même temps sur la possibilité de la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires, en offrant la possibilité aux ODG de  pouvoir intervenir :

            – sur le dosage des produits phytosanitaires des premiers traitements avant le développement végétatif complet de la vigne

            – sur la qualité et sur la précision de la pulvérisation en permettant aux ODG qui le souhaitent  de réduire la dérive aérienne des produit et donc de réduire les quantités utilisées, en interdisant certains pulvérisateurs obsolètes et/ou en rendant obligatoire l’utilisation de matériels plus efficients.

Ce sont les mesures 4 et 5 (des huit mesures proposées par l’INAO) visant à l’amélioration de l’efficience des matériels de pulvérisation et à la réduction des quantités de produits phytosanitaires.

Or ces mesures sur l’amélioration de l’efficience du matériel de pulvérisation et sur la réduction des quantités de produits phytosanitaires restent ignorées aujourd’hui des ODG viticoles du Bordelais, qui  préfèrent des mesures agro-écologiques qui ne répondent que d’assez loin à ce qui a été pointé par les media et la pression sociétale.

Les mesures retenues suffiront-elles à apaiser les inquiétudes des riverains, des salariés viticoles, et des consommateurs ?

 

 

 

« UN PRÉCURSEUR EN BORDELAIS »

L’appellation Côtes de Bourg n’a pas attendu 2018 pour se préoccuper d’intégrer des mesures agro-environnementales au cahier des charges de son appellation. Déjà avant 2008 …

 

Depuis plus de 10 ans, des mesures environnementales en Côtes de Bourg

Jean Eynard, vice-président de l’ODG et membre du Comité Régional INAO s’en souvient. Il était alors Président de l’appellation et avant la réforme de 2008, les viticulteurs de l’appellation s’étaient déjà préoccupés d’intégrer certaines des mesures agro-environnementales proposées aujourd’hui par l’INAO dans le règlement intérieur de l’appellation. Cela fait donc donc depuis plus de 10 ans que l’appellation Cotes de Bourg s’interdit le désherbage intégral et l’obligation des talus et tournières enherbés.

Avec la réforme de 2008, il s’est agi pour chaque appellation française de rédiger son cahier des charges et son plan de contrôle qui allait alors intégrer non seulement le contrôle des vins, mais également des contrôles au vignoble. Le cahier des charges de l’appellation Côtes de Bourg, dans la continuité de son règlement intérieur, comporte donc cette interdiction depuis 2008.

 

2018, Côtes de Bourg ajoute des wagons à son train de mesures agro-environnementales

Aujourd’hui, bien sûr, l’appellation Côtes de Bourg souhaite conforter les mesures mises en place avant 2008 et a déposé un dossier auprès de l’INAO comprenant, outre l’interdiction du désherbage en plein et l’enherbement des tournières et talus déjà compris dans le cahier des charges de l’appellation, le calcul de l’indice de fréquence de traitements (IFT) et l’obligation d’enlever les ceps morts (afin d’éviter la contamination des maladies du bois).

 

Un regret sur les cépages résistants

Si Jean Eynard se félicite de la souplesse accordée aujourd’hui par l’INAO avec la possibilité d’expérimenter ces nouveaux cépages sans perdre le bénéfice de l’appellation, il ne peut cependant s’empêcher de regarder au loin pour en imaginer la réalisation au niveau du Bordelais : « Il faudra 50 ans pour en voir vraiment les effets et que la totalité du vignoble puisse être complanté en cépages résistants ».

 

 

 

 

 

 

 

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