Rémy Martin : Interview de Jean-Pierre Lacarrière

10 février 2009

Quand les Champagnes sont sur le gril, l’avis de Rémy prend tout son sel.
Jean-Pierre Lacarrière, directeur général adjoint, a accepté de répondre sans fard à nos questions sur le nouveau syndicat, sur sa politique d’approvisionnement, sur la politique contractuelle, sur l’INAO…
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« Revue Le Paysan » – Que pensez-vous de la naissance du nouveau syndicat ?

Jean-Pierre Lacarrière – On peut simplement constater que des viticulteurs étaient apparemment mécontents de ce que le Syndicat des Vignerons avait décidé ou fait voter. Ils en ont tiré les conclusions en créant leur propre syndicat qui s’appelle, je crois, le Syndicat des bouilleurs de cru pour la défense de l’AOC Cognac.

« R.L.P. » – Avez-vous rencontré ses représentants et êtes-vous au courant de ce qu’ils défendent ?

J.-P. L. – Je ne connais pas très bien la composition du nouveau syndicat et, jusqu’à maintenant (19 septembre NDLR), nous n’avons pas reçu de déclaration claire et structurée de sa part. Mais je pense que cela viendra. Si je ne m’abuse, il défend le maintien à l’identique des 120 hl, il est favorable à une QNV de 6,5 hl AP et développe une approche un peu différente du SGV, notamment en ce qui concerne l’extournement des surfaces. En ce qui concerne la QNV, il faut la placer dans son contexte historique. On l’a peut-être oublié mais, il y a 4 ou 5 ans, la QNV de 6 de pur relevait d’une décision interprofessionnelle et jouait dans le cadre du Plan d’adaptation. Le vote des 6 avait pour but bien précis la restructuration du stock et du vignoble. Plan d’adaptation, QNV d’exploitation permettant de produire la même quantité de Cognac sur moins d’ha, en sauvegardant le revenu du viticulteur et en lui permettant de se restructurer… tout ceci allait de pair. Aujourd’hui, ce Plan arrive à son échéance et c’est vrai que je comprends assez bien la nervosité manifestée par un certain nombre de viticulteurs. Ils aimeraient bien que la QNV évolue, alors qu’ils ont fait l’effort de restructurer. C’est d’ailleurs l’antienne que l’on entend un peu partout.

« R.L.P. » – Et vous, qu’en pensez-vous ?

J.-P. L. – Je crois que les 6 de pur furent une très bonne chose mais, à un moment donné, il faut savoir bouger. Alors, cette année, l’an prochain ? Cependant, plus le temps passe, plus la nécessité d’une évolution se fait sentir.

« R.L.P. » – Sur les stratégies d’ajustement du vignoble, quelle est votre opinion ?

J.-P. L. – C’est vrai que les effets de la QNV d’exploitation ont été très décevants. En cinq ans, il s’est arraché en tout et pour tout 1 500 ha et reconverti 1 500 autres. Le problème de la surcapacité de production reste entier. On peut en discuter pendant des heures sans rien changer. Il serait peut-être bon de prendre des mesures pour réduire le vignoble mais nous avons vu que, pendant cinq ans, nous fûmes dans l’incapacité de le faire. Alors, si ça ne marche pas dans un sens, essayons autre chose et pourquoi pas l’affectation des hectares.

« R.L.P. » – Le Syndicat des viticulteurs bouilleurs de cru a-t-il vocation à devenir un interlocuteur pour vous ?

J.-P. L. – C’est trop tôt pour le dire. Nous ne savons pas encore quel sera le devenir de ce syndicat ?

« R.L.P. » – La présence de Jean-Louis Brillet à la tête du syndicat a beaucoup interpellé les viticulteurs. Pour dire les choses clairement, les gens se sont demandés si Rémy Martin soutenait ce nouveau syndicat ?

J.-P. L. – Tout aussi clairement, non. Jean-Louis Brillet se détermine tout seul et, de surcroît, c’est une affaire de viticulteurs. Par contre, si vous le permettez, je ferais quelques remarques d’ordre sémantique. Je crois qu’en s’intitulant parfois syndicat unique, le Syndicat général n’a pas choisi le bon terme. Rassembleur, sans doute l’est-il mais l’emploi du mot « unique » me semble abusif. En revanche, les viticulteurs qui ont décidé d’appeler leur syndicat, Syndicat des bouilleurs de cru pour la défense de l’AOC Cognac ont, je crois, choisi le bon terme. L’appellation Cognac est liée à l’eau-de-vie et donc à ceux qui la fabriquent, distillateurs bouilleurs de cru comme distillateurs bouilleurs de profession. Bien sûr, il ne s’agit pas d’oublier le viticulteur qui représente le lien au terroir mais celui qui produit le produit de l’appellation est bien le distillateur. D’ailleurs, cela nous aide à comprendre ce qu’est l’AOC Cognac. Ce n’est pas du vin mais une eau-de-vie.

« R.L.P. » – Quelle conséquence en tirez-vous ?

J.-P. L. – Pour moi, un syndicat de défense de l’AOC Cognac doit regrouper bouilleurs de cru et bouilleurs de profession. A ce jour, l’on peut donc considérer qu’il n’existe pas de syndicat de défense de l’AOC en tant que tel dans la région de Cognac. Un syndicat de défense de l’AOC, quel qu’il soit, a pour vocation de regrouper les producteurs de l’appellation pour discuter des conditions de productions, de l’agrément… Tout le pan économique de l’organisation de la production ne relève pas de ses attributions. Il y a des syndicats professionnels pour cela. C’est d’ailleurs toute l’ambiguïté du terme « syndicat de défense ». S’agit-il d’un syndicat de défense des intérêts des viticulteurs ou de l’appellation ? Plus généralement, à vouloir faire croire que les règles de l’AOC vont régler le problème économique, rien n’avance. Et rien n’avancera tant que tout sera mélangé, imbriqué. Cette confusion des genres annihile toute possibilité de progresser sur les dossiers. C’est le symbole même de la désorganisation, l’incapacité à finaliser quoi que ce soit. Les forces s’annulent et le statu quo règne en maître.

« R.L.P. » – Le SGV Cognac était en train de créer, début d’été, une section bouilleurs de cru.

J.-P. L. – Oui, mais n’a-t-il pas trop tardé ?

« R.L.P. » – Pour aborder des questions plus spécifiques à l’activité de négoce, que vous évoquent les termes « d’exclusivité » ou de « part significative des achats », sur toutes les lèvres en ce début d’automne.

J.-P. L. – Nous avons toujours dit à nos viticulteurs que nous ne souhaitions pas qu’ils soient exclusifs chez nous. Ce qui ne veut pas dire qu’au fil de l’histoire, certains ne le soient pas devenus. Mais notre recommandation constante fut de prôner la prudence. Une situation d’exclusivité est génératrice de risques à terme. On le voit bien quand une maison rencontre de gros problèmes d’approvisionnement. Les viticulteurs sont dans l’embarras.

« R.L.P. » – L’exclusivité est une chose, la « part significative » une autre. Allez-vous demander à vos livreurs de représenter une part significative chez eux et, si tel était le cas, à quelle hauteur la placeriez-vous ?

J.-P. L. – Pour concéder à leurs acheteurs une part significative, faudra-t-il que nos livreurs de Petite et Grande Champagnes livrent 120 % de leur récolte ! Non, je plaisante. Je préfère avoir deux livreurs à 3 hl chacun qu’un seul à 6 hl mais dont la qualité serait très moyenne.

« R.L.P. » – Tout de même, la notion de « part significative » signifie-t-elle quelque chose pour vous ?

J.-P. L. – Bien sûr, nous serons toujours plus à l’aise chez un viticulteur si nous représentons une part significative de sa production plutôt qu’une part infime. Il prendra soin de nous. Nous serons chez lui un client important. Reste à calibrer la notion d’importance. Peut-être qu’acheter 25 % de la production d’un viticulteur, c’est important. En fait, notre préoccupation première concerne la qualité des eaux-de-vie. Lorsque nous choisissons un partenaire viticulteur, le premier critère – et le plus important – est celui relatif à la qualité des eaux-de-vie qu’il est capable de nous livrer. En sachant que s’ajoutent à cette qualité des fournitures, un certain nombre de critères dont la pérennité de l’exploitation. Et, bien sûr, il sera d’autant plus facile au viticulteur de s’adapter à nos demandes qu’il livrera chez nous un volume important.

« R.L.P. » – La progression des VS dans les ventes a ravivé le discours sur les zones d’approvisionnement. La maison Rémy Martin vend-elle du VS et achète-t-elle en Fins Bois ?

J.-P. L. – Le VS chez Rémy Martin existe depuis un certain temps déjà. Ce n’est pas récent. Il y a des années où nous en faisons plus que d’autres. Aujourd’hui, nos ventes de VS progressent. Quant à s’approvisionner en Fins Bois, non, il n’en est pas question. Cela fait partie des fondamentaux de la marque de ne s’approvisionner qu’en Grande et Petite Champagnes. Hors des Champagnes, point de salut pour Rémy Martin ! Notre VSOP est une Fine Champagne, association des deux crus et nous sommes leaders en VSOP. Notre coupe VS provient de Petite Champagne.

« R.L.P. » – En ce qui vous concerne, l’arbitrage des achats se limite donc à deux crus.

J.-P. L. – Tout à fait. Il clair que chez nous, l’approvisionnement Petite Champagne a tendance à progresser. Tout le mal que je souhaite aux gens de ce cru : qu’un jour nous puissions vendre et donc acheter énormément de Petites Champagnes ! Mais la Grande n’a pas trop à s’inquiéter tout de même. Nos qualités supérieures se fondent essentiellement sur les Grandes Champagnes et dans les Fines Champagnes, il y a aussi de la Grande.

« R.L.P. » – La zone d’approvisionnement influe sur le prix. Si vos collègues achètent davantage en Fins Bois, ne craignez-vous pas que l’écart concurrentiel se creuse ?

J.-P. L. – C’est la spécificité de Rémy Martin que d’acheter à un prix un peu plus élevé que certains de ses concurrents. Pour vendre en Fine Champagne, nous ne pouvons pas acheter en Cognac. Notre cahier des charges de distillation engendre également des frais un peu supérieurs, qui se traduisent par un prix de distillation légèrement plus élevé chez nos distillateurs. A nous d’être suffisamment doués commercialement pour valoriser la qualité de nos eaux-de-vie. Si l’écart concurrentiel se creuse, il faut compenser.

« R.L.P. » – Les viticulteurs s’interrogent sur l’avenir de Champaco. A tort ou à raison ?

J.-P. L. – Je crois pouvoir vous dire que l’avenir de Champaco n’est pas sombre et qu’il n’est pas du tout dans notre intention de remettre en cause la politique contractuelle mise en place par Rémy Martin il y a quarante ans environ. A leur invitation, nous avons rencontré les coopératives associées en début d’été. Nous leur avons réaffirmé notre volonté de renforcer le partenariat viticulteurs/négociant.

« R.L.P. » – Sous la forme d’achats fermes à terme ?

J.-P. L. – Avec des contrats à trois ans. Je sais qu’il est toujours difficile de raisonner à cinq ans. Mais nous disposons de deux structures d’achats : les bouilleurs de cru en direct ainsi que par la coopérative Prochacoop et les bouilleurs vins via les bouilleurs de profession et la coopérative de stockage Champaco. A nous de jouer sur ces deux sources d’approvisionnement pour trouver de la flexibilité. Prochacoop existe, Champaco existe et nous n’avons pas l’intention de les tuer. Je ne comprends d’ailleurs pas très bien cette peur. Nous n’avons jamais dit que nous ne voulions plus travailler avec les coopératives associées. Certes, il faut évoluer, ajuster les relations initiées il y a quarante ans, mais il est fondamental pour nous de maintenir notre politique contractuelle telle que nous l’avons vécu jusqu’à présent.

« R.L.P. » – Pourquoi ?

J.-P. L. – Nous estimons que le viticulteur fait partie de la chaîne d’élaboration du Cognac et que le négociant a besoin du viticulteur comme le viticulteur a besoin du négociant. Nous avons donc plus d’intérêts en commun que d’intérêts divergents et donc plus de bénéfice à partager nos difficultés comme nos succès d’ailleurs. N’oublions pas que Champaco a été créée dans un objectif de répartition de la valeur du vieillissement. D’une façon ou d’une autre, Rémy Martin est toujours attaché à ce concept.

« R.L.P. » – Pierre Delair a remplacé Jean-Frédérique Plassard au poste de directeur des achats. Faut-il y voir une signification ?

J.-P. L. – Dans une entreprise, les gens doivent de temps en temps changer de fonctions. Pierre Delair, de par sa personnalité, n’agira sans doute pas comme Jean-Frédérique Plassard. Mais je ne pense pas que la politique de Rémy Martin change fondamentalement.

« R.L.P. » – Quels vous semblent être les grands chantiers pour l’avenir de la région ?

J.-P. L. – A mon avis, le premier chantier consiste à créer au sein de l’INAO un comité spécialisé eaux-de-vie. C’est une nécessité absolue. Voilà plusieurs années que je me suis personnellement impliqué dans cette démarche, sans succès. A Cognac, les problèmes des vins ne nous concernent pas et les producteurs de vins ne se sentent pas davantage intéressés par nos préoccupations. Imaginez l’effet que peut produire l’évocation d’un rendement de 160 hl sur un vigneron des Côtes-du-Rhône. Si peu de gens de l’INAO semblent admettre notre particularisme, j’ai l’impression que le groupe d’étude Cap 2010, animé par Jacques Berthomeau, a compris l’importance d’une différence de traitement entre vins d’AOC et eau-de-vie. Le second chantier tient évidemment à la mission Zonta, liée à la double fin. Sans risque d’erreur, je pense que, hormis peut-être une période de rémission, la double fin vit ses dernières heures. L’organisation de l’après double fin constitue notre grand défi. L’avenir de la région va se jouer-là, durant les deux-trois ans à venir.

ACV
Cave de Segonzac :
Premières vendanges sur site

Ce fut une course contre la montre mais le site ACV de Segonzac a réceptionné ses premiers raisins rouges le 7 octobre dernier. Enfin prêt ! Durant tout l’été, les gens du cru ont pu mesurer le degré d’avancement des travaux. Il y eut d’abord le terrassement, classique, puis le « trou », plus intriguant. Des poutrelles bleu canard ont griffé le paysage. Et puis, un matin, la litanie de cuves a débarqué. Avec elles, tout a commencé à devenir plus sérieux. Et s’il s’agissait bien d’une cave ! Les sceptiques furent définitivement priés de ravaler leur scepticisme et les adhérents de passer aux exercices pratiques. On leur a fait la « totale » : contrôles « matu. », récolte manuelle… léger vent de panique dans les rangs. « On a pas l’habitude ? » Mais au final, tout s’est calé, avec même un léger frisson de plaisir à se surpasser. Pour toutes les coopératives, l’histoire se répète : c’est long à se mettre en place, c’est compliqué mais une fois que le moteur est lancé, l’effet de groupe produit du combustible. Naissance de l’ACV, le 13 décembre 1999, première A.G. le 16, dépôt du dossier de demande d’aides le 5 mai 2000 et premières vendanges en 2002. Devant de nombreux invités réunis le 1er août dernier à Segonzac, Jean-Louis Brillet, président de l’ACV, a retracé la courte mais déjà dense histoire de sa coopérative.

 

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