D’un point de vue technique, c’est l’INAO qui est chargé de mettre en musique l’engagement triennal. Bernard Martin, chef du centre INAO de Narbonne, précise le mécanisme de l’affectation pluriannuelle des surfaces dans le Minervois, en revenant sur le « pourquoi » du système. Philippe Coste, président du syndicat d’appellation, apporte un complément d’information sur les conditions pratiques de mise en œuvre.
« Le problème du Minervois, note le chef de centre INAO, c’est que les vignerons produisent sur une même aire géographique du Minervois, du vin de table et du vin de pays. » Selon un phénomène appelé ici “l’entonnoir”, il n’y a pas correspondance entre le potentiel de production de l’appellation et la production réelle. La superficie classée par l’INAO au titre de la délimitation parcellaire s’élève à 27 268 ha. La superficie encépagée avec les cépages de l’appellation – le vrai potentiel de production – représente une surface de l’ordre de 11 500 ha. Or ce chiffre est deux fois plus élevé que les surfaces revendiquées annuellement en fonction des actuelles conditions de marché : environ 5 000 ha. « L’analyse qui a été faite il y a dix ans, précise Bernard Martin, a montré que le Minervois appliquait deux gestes vigneron : un geste vigneron d’appellation et un geste vigneron de vin de pays. Et ces gestes diffèrent : celui qui conduirait ses vins de pays à 50 hl/ha courrait à sa perte ! Nous nous sommes rendus compte que parmi les vignerons qui déclaraient de l’AOC, certains avaient un geste d’appellation et d’autres non. D’où l’idée d’un engagement triennal pour évincer les “touristes de l’appellation” qui se décidaient au moment de la déclaration de récolte, en fonction du profil de marché. Non seulement ils contribuaient à écrouler ce même marché mais encore ils cultivaient les vignes déclarées en AOC dans l’esprit des vins de pays. La revendication d’appellation se faisait sur du “déclaratif”. Car la grande difficulté, avec la déclaration de récolte, c’est que l’on déclare une superficie et un volume d’appellation, c’est-à-dire du “global” et non des parcelles. Le fond du problème résidait là. D’où l’idée d’engager les surfaces vouées à l’appellation deux campagnes à
l’avance. En ce moment les vignerons s’engagent pour 2006. Si leurs vignes sont dans les clous, si elles correspondent aux critères de l’appellation, c’est bien. Si ça n’est pas le cas, ils disposent de deux campagnes pour se mettre à l’unisson en terme d’engrais, de taille… Le fond de la mesure consiste à ne plus “bricoler” avec l’appellation. »
Une projection sur deux campagnes
Pourquoi parle-t-on d’engagement triennal alors qu’il s’agit de se projeter sur deux campagnes ? Réponse : parce qu’il s’agit bien de deux campagnes mais de trois années : 2004, 2005 et 2006. Les vignerons qui ne revendiquent pas l’appellation pendant deux campagnes de suite alors qu’ils ont engagé leurs parcelles doivent attendre deux ans avant de pouvoir revenir à l’appellation. Ces parcelles feront l’objet d’un contrôle de l’INAO qui se réserve le droit de vérifier les autres parcelles de l’exploitation. « Ainsi une pression globale s’exerce sur le vignoble appellation » note B. Martin qui relève que le système de l’engagement triennal a permis à l’INAO et au syndicat d’appellation de conduire une vraie politique de contrôle de la « geste viticole » (autrement dit des pratiques culturales). En deux ans, ce contrôle aléatoire a porté sur environ 2 000 ha.
Comment se présente la fiche d’engagement triennal ? Courant mai, les vignerons du Minervois ont reçu de l’INAO une fiche d’identification de leurs parcelles et de leurs sous-parcelles susceptibles d’être déclarées en AOC (document INAO tiré du CVI) avec, en face, trois colonnes correspondant aux trois années 2004, 2005 et 2006, sachant que les colonnes 2004 et 2005 étaient déjà remplies mais que la case 2006 restait encore vierge (voir document INAO ci-contre). Devant chacune de ses parcelles, le vigneron va cocher ou ne pas cocher la case 2006. C’est le système dit de l’engagement triennal « glissant » qui s’oppose à un engagement en une seule fois pour trois ans. « Nous avons opté pour l’engagement triennal glissant, précise Philippe Coste, afin d’éviter l’engagement de couverture qui consistait à engager tous ses ha et faire ce que l’on voulait à l’intérieur. » En ce qui concerne les reprises d’exploitations par les jeunes agriculteurs, les transmissions d’exploitations et tous les cas particuliers qui peuvent se présenter, il est dit que l’engagement repart à zéro, afin d’éviter de cristalliser un droit à produire. Cependant, pour ne pas retarder l’installation d’un jeune ou contrecarrer la mutation des entreprises, les parcelles peuvent, dans ce cas-là, revendiquer l’AOC dès la première année du transfert, à condition d’avoir obtenu le feu vert de l’INAO, après visite et contrôle des conditions de production. Cette « porte de sortie » donne de la souplesse au dispositif. « En aucun cas le système est verrouillé en tant que tel » estime Philippe Coste. « Il faut savoir se donner de la liberté, sans malthusianisme. » Et de pointer du doigt le malthusianisme à l’œuvre selon lui dans les Pyrénées-Orientales qui, en diminuant les volumes et en augmentant les prix d’achat à la production, « ont cru se sauver ». Mais la crise les a rattrapés.
Vers une normalisation réglementaire
Mis en place à titre expérimental par le syndicat d’appellation Minervois en 1991, le système de l’engagement triennal a fait l’objet d’une commission d’enquête INAO en 1994 qui a conclu à sa faisabilité. Côté Administration, le blanc seing fut moins net, les fonctionnaires de l’Agriculture et des Fraudes adressant deux types de critiques au projet. Le premier portait sur le fait que le droit à l’appellation était ouvert à tout le monde et que l’engagement pluriannuel pouvait jouer comme un frein. C’est pourquoi les parlementaires examinent actuellement un amendement à la loi sur le développement des territoires ruraux afin de modifier quelque peu le texte de 1919 sur les AOC. La seconde critique plus particulièrement émise par la DCCRF concernait le risque d’entente à la production pour faire monter les prix. L’actualité s’est chargée de réduire cette crainte à néant. En septembre 1995, l’engagement triennal du Minervois a reçu l’aval du Conseil national de l’INAO pour une période expérimentale de cinq ans. Depuis l’an 2000, l’expérience du Minervois fait l’objet d’une dérogation annuelle, reconduite chaque année. Même si personne dans l’aire d’appellation n’a remis en cause l’engagement triennal adopté sur une base volontaire, le syndicat attend avec impatience la normalisation réglementaire. L’intérêt manifesté par Cognac mais aussi par l’Armagnac ainsi que d’autres vignobles a sans doute contribué à accélérer les choses. Les députés ont adopté en première lecture la modification des deux articles du Code rural concernés par l’introduction de l’engagement pluriannuel et le Sénat vient d’en faire de même. Au niveau du cadre réglementaire, une autre piste est également à l’étude, celle de légiférer par ordonnance. Le Conseil d’Etat a donné un avis favorable.
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