La Russie : un marché de Premier Plan

14 mars 2009

A 3 heures de Paris, le marché russe s’ouvre à l’Europe occidentale. Environ 3 800 entreprises françaises exportent de façon permanente vers la Russie. Si tout le monde a sa place sur ce marché – « ce n’est pas l’Afrique » – la Russie reste un pays à risque. Amateurs s’abstenir.

Ubifrance, l’Agence française pour le développement international des entreprises – la nouvelle dénomination du CFCE, Centre français du commerce extérieur – organisait les 20 et 21 octobre derniers les quatrièmes rencontres Russie, un rendez-vous annuel instauré depuis 2001. Présidé par le ministre délégué au Commerce extérieur, ce séminaire doublé d’un forum d’affaires est l’occasion de glaner des informations générales. S’y côtoient des fonctionnaires du Commerce extérieur en poste en Russie, des chefs d’entreprise, des cabinets d’avocats, des banques, des bureaux de traduction, des officines spécialisées dans le conseil, dans la certification, dans la collecte de renseignements de notoriété… Tout un aréopage qui recherche ou propose des services à l’exportation.

en_termedexportation.jpgIl est admis aujourd’hui que quatre pays émergents tirent la croissance mondiale : la Chine, l’Inde, le Brésil (à vérifier) et la Russie. Certes la Russie fait presque figure de nain économique comparé à la Chine. L’attraction de la bulle asiatique reste inégalée et sans doute pour longtemps encore, en raison de données évidentes (voir encadré). Mais la Fédération de Russie, par sa position géostratégique à 3 heures de Paris, ses 145 millions d’habitants, ses mégapoles (15 millions d’habitants pour la région de Moscou, 5 pour celle de Saint-Pétersbourg), sa rente pétrolière et gazière, fait partie des marchés cibles désignés comme tels par le Commerce extérieur français (avec vingt-cinq autres pays). La cellule export a tendance à voir dans le marché russe un des plus vastes et des plus dynamiques sur la scène internationale. La France est pourtant loin de s’y tailler la part du lion. En terme d’exportation, elle pèse pour un petit 4 % (6 milliards de dollars). Elle arrive en 7e position derrière des pays comme l’Allemagne, l’Italie, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, la Pologne, la Finlande. Peut mieux faire donc. En terme d’investissements, la France remonte de quelques crans. Avec 5 milliards de dollars d’investissements et l’implantation de quelque 400 à 500 entreprises françaises en Russie (300 bureaux de représentation), elle occupe la cinquième place derrière l’Allemagne, les USA, la Grande-Bretagne… Parmi les secteurs les mieux représentés, on retrouve ceux de l’énergie (avec la Cie Total), de la chimie, de la production automobile (Renault ou encore Michelin qui possède une usine de pneus dans la région de Moscou). Le secteur financier commence à y prendre pied. La banque BNP-Paribas a acquis 50 % d’un groupe russe, producteur de Vodka mais aussi et surtout n° 1 du crédit à la consommation en Russie. La Seita, associée à son homologue espagnole, a pris une position majoritaire dans le capital du plus grand cigaretier russe encore disponible sur le marché, l’Etoile des Balkans. La verrerie Saint-Gobain vient de racheter une usine de laine de verre et envisage de multiplier par deux sa capacité de production. Auchan a ouvert son 4e magasin et le 5e suit dans la foulée. Leroy-Merlin s’y implante ainsi que Legrand et Lafarge-ciment. Ces investissements se réalisent la plupart du temps en « greenfield » – création d’usines ex nihilo – mais il arrive aussi que ce soit en « brownfield » (rachat d’usine) comme ce fut le cas pour Michelin dans la banlieue de Moscou.

Les ménages consomment davantage

Qu’en est-il de la consommation des ménages ? Au plan macro-économique, le revenu des ménages augmente régulièrement. De 2003 à 2004, il a cru de 9,8 %. Si le salaire moyen reste très bas en Russie – 100 € par mois (300 € à Moscou) – le marché russe est parfaitement « mature ». Un exportateur qualifie ce marché de « total, de complet ». « Ce n’est pas l’Afrique » précise-t-il. Cela signifie notamment que les Russes ne se satisfont pas d’une offre bas de gamme (voir le témoignage de l’industriel de l’agro-alimentaire Bonduelle). Sous l’influence de la concurrence mondiale, on trouve à Moscou des produits introuvables en France. Beaucoup d’exportateurs ont tendance à faire de la politique de marque un élément clé de leur développement. Certes, la part de l’alimentation dans le budget des ménages reste élevée : 59 % des dépenses. Mais, pour le reste, les Russes « recherchent le top de l’innovation ». Ces innovations se vendent chères et permettent de réaliser de bonnes marges. Les rayons parfumerie/cosmétique engrangent des taux de progression annuels de l’ordre de 20 à 30 % (73 % de progression pour le secteur automobile). L’internet devient partie intégrante de la vie quotidienne des Russes. Tous les jours, 20 à 25 millions de Russes, surtout des grandes villes, consultent la toile. La détention d’un ordinateur dépasse la classe moyenne. « Larguée » serait la société qui ne proposerait pas un site internet. Par contre le e.commerce en est encore à ses balbutiements. La cause en tient au système de paiement. La carte de crédit est encore très peu présente en Russie. On estime le e.commerce russe dix fois inférieur à ce qu’il peut être en Europe de l’Ouest.

Un pays à risque

Est-il pour autant facile d’exporter en Russie ? « La Russie reste un pays à risque », confirme un membre du cabinet d’avocats Gide Loyrette Nouel. A entendre les témoignages, la Russie renvoie à ses voisins européens une image souvent brouillée, confuse, pétrie de contradictions. Dans cette oligarchie où pourtant 70 % de l’économie est aujourd’hui sous contrôle du secteur privé, il est de notoriété publique qu’un tiers ou la moitié de l’économie russe fonctionne « au black ». Difficile dans ces conditions d’attendre de la comptabilité officielle d’une entreprise qu’elle reflète fidèlement la réalité. A la recherche d’un partenaire russe (importateur, distributeur…), il faudra donc en permanence tenter de recomposer le puzzle. D’où l’importance des cabinets d’audit et des officines spécialisées dans la recherche de renseignements de notoriété. Même chose pour la structuration des accords, la rédaction des contrats, l’acquisition de terrains ou d’immeubles. On parle de la nécessité « d’ingénierie juridique forte et lourde »… et donc coûteuse. « En Russie, dit-on, il faut savoir où l’on va et avec qui. Cela n’évitera pas le danger mais permettra au moins de l’identifier. » Et l’interlocuteur d’ajouter. « La Russie est tout sauf une grande démocratie. » La Russie est-elle au moins un Etat de droit ? Un juriste livre une réponse : « La Russie est un Etat de règles de droit. » En clair, le corps de normes a tendance à supplanter le droit pur, avec une place prépondérante de l’administratif et du réglementaire. Mais, à décharge, le droit russe est un droit neuf, affichant à peine dix ans d’existence (la Fédération de Russie est née il y a quinze ans). Forcément incomplet, le droit évolue très vite. Et revêt aussi de bons côtés comme la célérité des tribunaux à rendre leurs décisions. Un arrêt en cour d’appel s’obtient par exemple beaucoup plus vite en Russie qu’en France. « La Russie présente au moins un avantage, celui d’être un vrai pays libéral », commente un observateur. Ce dernier n’en conseille pas moins aux sociétés européennes de situer leur holding de préférence en terrain neutre, pour s’en remettre, en cas de litiges, aux règles d’arbitrage international plutôt qu’au droit russe. « Les Russes nous attendent au tournant, commentent les chefs d’entreprise. Le ticket d’entrée est cher, même si le retour sur investissement est rapide. » Face à un marché « extrêmement dynamique, qui comprend vite, et s’adapte vite », les risques restent patents. Mieux, ils ont parfois tendance à augmenter. Compte tenu de la concurrence de l’Allemagne, de l’Italie, le pré-paiement (paiement à la commande ou moitié à la commande et le solde 15 jours après la livraison) a de plus en plus de mal à passer. Les paiements à crédit tendent à devenir la norme et les délais s’allongent. Des paiements à 180 jours deviennent classiques au grand dam des entreprises et de leurs comptables. La traduction constitue un autre problème. Assez peu de Russes parlent anglais et de toute façon s’exprimer en russe représente un « plus » commercial. Le conseil est de faire appel à un traducteur et plus encore à un cabinet de traducteurs traduisant vers sa langue maternelle. Et de citer l’anecdote selon laquelle la société Bledina (appartenant au groupe Danone) s’est fait sortir du marché russe, du simple fait que le mot Bledina en russe revêt un sens assez vulgaire. « Comment peut-on commettre une erreur pareille », s’étonnent des professionnels de la traduction.

La contrefaçon n’est pas non plus un vain mot en Russie. C’est même un vrai fléau. Et les produits de luxe comme le Cognac ou les chemises Lacoste n’en ont pas le monopole. Benoît Bonduelle, P-DG de la société du même nom, raconte comment son entreprise en souffre. « Les contrefacteurs achètent des boîtes premier prix, retirent les étiquettes et en recollent d’autres à notre marque. » Les industriels comptent beaucoup sur l’entrée de la Russie à l’OMC – peut-être en 2006 – pour contrecarrer ces dérives.

Bon nombre d’observateurs soulignent l’interdépendance de l’Union européenne avec la Russie : 50 % du commerce russe s’opèrent déjà avec l’UE, avec une prédominance évidente du secteur énergétique, pétrole et plus encore gaz. (60 % des exportations russes vers l’UE concernent l’énergie). « La Russie a besoin de l’Europe et l’Europe a besoin de la Russie », constatent les politiques. « Les relations commerciales avec la Russie contribueront à l’émergence d’un pays stabilisé en terme économique et politique. La Russie s’intégrera dans l’économie mondiale par l’Union européenne. » D’ailleurs la Russie ne fait-elle pas partie de l’Europe ?

Pourquoi la Chine séduit-elle tellement les investisseurs

La Chine exerce un pouvoir d’attraction inégalée sur les chefs d’entreprise en mal de délocalisation. Benoît Bonduelle explique ce tropisme par quelques chiffres éclairants. « En France, dit-il, le taux horaire moyen s’élève à 16 €. En Espagne et au Portugal, il est d’environ 8 €, dans les anciens pays de l’Est de 4 €, en Russie il descend à 2,70 € et en Chine il n’est que de 50 cents. » Un autre chef d’entreprise pronostique que cette donne va durer un certain temps. « Par rapport à d’autres pays d’Asie du Sud-Est, la Chine dispose d’une réserve de main-d’œuvre pratiquement inépuisable. Là où des pays émergents se rapprochent du plein emploi avec des salaires qui augmentent, la Chine continuera encore longtemps d’offrir des conditions de salaires imbattables. »

 

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