La Réalisation Personnelle à Travers Une Petite Unité

8 mars 2009

realisation_personnelle.jpgInstallé en Charente-Maritime sur une toute petite surface, pratiquant la vente en bouteille par nécessité mais aussi par choix, le viticulteur développe avec sérénité un « contre-modèle » qui se révèle finalement payant, en terme de qualité de vie mais aussi au plan économique. Viscéralement indépendant, nécessairement prudent, amoureux de la qualité, il est conscient de son potentiel mais aussi de ses limites structurelles.

« Le Paysan Vigneron » – Sur quoi se fondait votre projet au départ ?

Quand j’ai décidé de m’installer au milieu des années 90, j’étais conscient des handicaps auxquels je m’exposais : une toute petite exploitation de 5 ha de vignes, sans rien à côté, une unité vieillissante, dépourvue d’investissements depuis plusieurs générations, un stock d’eaux-de-vie indisponible. Mais, à côté de cela, j’en connaissais aussi les atouts : des ventes en bouteilles qui rendaient l’exploitation viable, mes parents en ayant vécu non pas royalement mais très honorablement, un contrat auprès du négoce, pour les trois quarts des volumes, qui conférait à l’ensemble un gage de crédibilité supplémentaire. Car je n’ai pas besoin de vous dire que l’on m’a traité de « cinglé » quand j’ai présenté mon étude d’installation. Mais j’avais confiance en moi. Je savais que je pouvais m’appuyer sur ma formation, à la fois technique et commerciale. Que ce soit sur une petite ou une grande exploitation, c’est très important de disposer de repères. Cela permet d’éviter des pièges et de gagner du temps. Sans aucun bagage technique, j’aurai dû m’en remettre à des gens qui auraient pu m’orienter vers tel ou tel choix. L’expérience commerciale, quant à elle, se traduit moins en acte commercial pur qu’en une meilleure capacité à communiquer au quotidien, à rencontrer un tas de gens. Enfin, ma compagne travaillait à l’extérieur et ce paramètre était déterminant. Célibataire, sans enfant, j’aurais pu m’en sortir. Mais marié à une épouse au foyer, je ne pouvais pas faire face. C’est certain, nous aurions eu d’énormes difficultés. Le fait que ma compagne ait un emploi nous permettait d’envisager d’avoir une vie à peu près normale, sans être obligé de travailler le samedi, le dimanche et les jours fériés. Une rentrée d’argent tous les mois apporte la sécurité, offre plus d’aisance pour négocier, tout en n’étant pas totalement dépendant l’un de l’autre. A l’heure actuelle, je ne serais pas encore en mesure de faire vivre une famille. Il faut être réaliste.

« L.P.V. » – Vous avez repris la clientèle de vos parents ?

Non, pas plus que le stock. Ce n’est pas la même chose que de s’installer avec 100 hl de pur au Cognac et 200 ou 500 hl vol. de Pineau. Dans mon cas, il a fallu en mettre un peu de côté tous les ans pour constituer un stock. J’ai commencé par vendre du jus de raisin, le seul produit que je pouvais élaborer en trois mois, puis du vin rouge et du vin blanc, du Pineau et j’arrive maintenant au Cognac. Aujourd’hui encore, je ne dispose pas de suffisamment de marchandises pour prospecter. Je sers les clients que j’ai.

« L.P.V. » – Auriez-vous pu vous installer sans faire de ventes en bouteilles ?

Il était inconcevable de reprendre l’exploitation sans vente directe à la propriété. D’abord pour l’aspect financier et puis parce que cela ne me correspond pas. Je n’ai pas l’âme d’un « vraqueur » ou, dirons-nous, d’un producteur de pure matière première. Ce qui m’intéresse, c’est d’essayer de transformer le produit aussi loin que possible et aussi tenter de gagner en autonomie et en indépendance par rapport au circuit classique du vrac. Tout ceci en gardant l’objectif de mieux valoriser son produit car, dans cette affaire, il ne s’agit pas uniquement de se faire plaisir. Si je livre les trois quarts de mes volumes au négoce, la vente directe me procure la moitié de mon revenu. La crise du Cognac existe depuis 1973. Quand mes parents ont commencé à faire de la mise en bouteille, c’est que la situation était devenue insupportable. Pas plus aujourd’hui qu’hier, les viticulteurs n’ont de sécurité quand ils vendent au négoce. Sans être la panacée, la vente directe présente au moins l’avantage de diversifier les débouchés. Ceci étant, je respecte complètement les gens qui voient les choses différemment. Chaque structure a ses atouts et ses contraintes.

« L.P.V. » – Est-ce important pour vous de faire un produit fini ?

Très. On va au bout de la démarche. Quelquefois, cela permet aussi de relativiser les jugements portés sur votre travail. Ils peuvent s’avérer très pénibles à entendre quand on a la sensation d’avoir fait le maximum. A l’inverse, un client satisfait et qui le dit permet d’atténuer le doute dans lequel on se retrouve plongé.

« L.P.V. » – A l’expérience, quels sont les points positifs de votre structure ?

Je ne connais pas l’inertie d’une grosse unité. C’est un énorme atout en terme d’organisation du travail. Du temps, je n’en dispose pas encore énormément mais j’essaie d’en trouver. Globalement, je travaille bien moins que lors de mon installation. Mis à part les mois de novembre et de décembre où je distille, le boulot s’arrête le vendredi soir, sauf cas exceptionnel. C’est une volonté de notre part, à ma femme et à moi. Nous considérons que le travail est une chose mais qu’il ne fait pas tout. Nous essayons de trouver un juste équilibre entre la vie de famille et le travail. Et cela n’est possible que si l’on arrête de travailler le vendredi soir. Si vous continuer à travailler le samedi et le dimanche, ça va vite « déconner » quelque part. Votre femme va se « barrer », vous vous retrouverez seul avec les gamins et alors cela deviendra rapidement invivable. Ce que je dis là n’est d’ailleurs pas forcément lié à la surface mais plutôt à un état d’esprit et aussi au revenu. Si vous pouvez prendre un peu de personnel quand vous êtes à la bourre, les choses iront tout de suite mieux.

« L.P.V. » – N’est-ce pas trop désagréable de travailler seul, sans
salarié ?

Non, cela ne me gêne pas. On pourrait avoir un peu tendance à se renfermer sur soi-même mais les activités extérieures vous permettent de vous ouvrir. Par contre réaliser certaines tâches seul s’avère extrêmement fatigant. Autant c’est de la « rigolade » à deux, autant vous dépenser une énergie folle tout seul. Mais on apprend à se débrouiller avec ce genre de situation. Et puis j’ai souvent des stagiaires, qui viennent vers moi spontanément, sans que j’aie besoin de les solliciter. A ce moment-là, on travaille toujours à deux et je les accompagne au maximum.

« L.P.V. » – Déléguez-vous certaines tâches ?

Je ne délègue rien, même pas au comptable. Même chose pour la commercialisation. Je souhaite avoir un contact direct avec le client. Je sais que je ne consacre pas assez de temps aux relations commerciales mais tout viendra en son heure. Je suis dans une évolution hyper lente. C’est le propre d’une structure comme la mienne.

« L.P.V. » – Des handicaps naissent-ils d’une petite taille d’exploitation ?

Je ne sais pas si l’on peut parler de handicaps mais de contraintes, certainement. Une petite structure va concéder une marge de manœuvre relativement faible. A l’évidence, vous devez limiter les investissements en matériel car vous ne serez pas en mesure de les amortir. Il y a 10 ou 15 ans, on avait même du mal à trouver des équipements adaptés à notre dimension. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, il existe de tout sur le marché – des petites cuves de 20 hl, etc. – mais, petit ou gros, vous payez le même prix. D’ailleurs c’est une habitude pour moi. Je ne peux rien négocier, ni les appros ni le reste. Tout est cher. J’achète tout au prix fort.

« L.P.V. » – Vous sentez-vous frustré de ne pas pouvoir acquérir du matériel ou autre chose ?

Absolument pas. Le matériel est quelque chose qui ne m’intéresse pas du tout. J’essaie de faire mon métier du mieux possible, sans forcément rentrer dans des schémas préétablis. Pour être rentable, un tracteur neuf devrait marcher tous les jours, huit heures par jour. Alors, si c’est pour le laisser sous un hangar ! Je préfère investir dans des fûts neufs. Au moins le produit mis dedans prend de la valeur. Quant au patrimoine, je m’en fiche. Je ne suis pas du tout attaché à ces choses-là. Dire « un jour mon fils sera paysan comme moi », ce n’est pas mon truc, même si je ne conteste pas le besoin de terres. C’est le métier qui veut ça. Sans la terre, on ne fait rien. Mais après, la question de la transmission…

« L.P.V. » – Êtes-vous endetté ?

Non, je ne le suis pas. Mon installation s’est réalisée sans emprunt et même si j’ai dû en souscrire un ou deux par la suite, je suis en train de terminer leur remboursement. Là aussi, j’essaie de conserver mon indépendance au maximum. Les banquiers sont des gens à qui il faut éviter de laisser prendre trop d’emprise sur vous. Sinon ils vous « sucent la moelle ». Mon seul gros emprunt a concerné l’achat de 2 ha de vignes supplémentaires. A cette occasion, ma femme m’a dit que j’avais fait une « connerie ». Mais j’étais devant une alternative : soit j’interrompais mes livraisons au négoce, soit je m’agrandissais. Et cela m’ennuyait tout de même de diminuer mon contrat, qui, s’il n’assure pas l’intégralité de mes revenus, représente, quelque part, un important facteur de stabilité en terme de trésorerie. Parlant emprunt, si j’ai le choix, je crois que je m’arrêterais là. J’attache beaucoup trop d’importance à la qualité du sommeil. Peut-être suis-je trop sage, trop prudent ! Mais en toutes circonstances, j’essaie de trouver une porte de sortie, afin de ne pas aliéner ma liberté.

« L.P.V. » – L’aspect « mise aux normes » ne vous effraie pas ?

Pas particulièrement, d’autant que j’estime que les équipements les plus modernes, les plus chers ne sont pas forcément synonymes de meilleure qualité. Avec le vin, nous ne sommes pas dans un métier de haute technologie. Ce n’est pas parce que vous ferez votre vin dans une cuve inox qu’il sera meilleur. La qualité est essentiellement liée au potentiel du terroir, au mode de conduite du vignoble, à l’expression d’une ligne aromatique. Elaborer un bon produit consiste sans doute à veiller à une somme de petits détails. Je pense que la vendange manuelle fait partie de ces petites choses, comme certainement d’avoir une petite chaudière ou encore un chai de petite capacité, avec de petites cuves, une bonne maîtrise du vieillissement. Je me suis formé et je me forme encore à ces pratiques et, sans vouloir paraître prétentieux, j’ai le sentiment d’avoir progressé.

« L.P.V. » – Dégagez-vous un revenu suffisant de votre activité ?

Petit à petit j’arrive à sortir un produit brut ha de 50 à 60 000 F, ce qui, je crois, n’est pas indigne. Par contre, ma rémunération personnelle plafonne au SMIC. C’est beaucoup de temps passé, beaucoup de soucis pour un revenu modeste. C’est vrai qu’il m’arrive de me poser la question : est-ce que je continue, est-ce que j’arrête ? Il faut pouvoir se regarder tous les matins dans la glace. Je crois que dans cinq ans, si mon salaire n’a pas évolué, je pourrai reconsidérer ma position. Pour moi, arrêter n’est pas quelque chose que je rejette d’emblée. Je trouve dramatique que trop de gens s’interdisent de changer de voie, par orgueil ou par crainte peut-être. En ce qui me concerne, je crois que je pourrai me réaliser ailleurs. Pour l’instant cependant, je pense être sur la bonne voie. Tout ce que j’avais prévu se réalise. Et j’aime encore ce que je fais. Mon métier, je ne le considère pas comme un travail mais avant tout comme une passion. J’ai ça dans la peau. J’aime la vigne, j’admire cette plante magique, qui véhicule tellement de valeurs. Tout ce que je fais, j’essaie de le faire du mieux possible, avec le maximum de rigueur.

« L.P.V. » – Ne souffrez-vous pas d’être « différent » de la norme ambiante ?

J’ai toujours eu tendance à me mettre un peu en situation atypique. Sans doute est-ce mon tempérament et ce n’est pas désagréable. Je dois avouer cependant que ce n’est pas toujours rassurant non plus et que c’est même parfois fatiguant. Quand on est seul ou peu nombreux à emprunter une voie, il arrive de se demander si l’on est pas en train de se tromper. Le fait de ne pas avoir le consensus de son environnement peut s’avérer à la fois très gratifiant mais aussi facteur de doute. Le compliment d’un client chasse le doute mais il suffit qu’un autre dise « bof » pour que le doute revienne.

« L.P.V. » – Avez-vous le sentiment d’être reconnu par votre environnement ?

Oui et non. Je fais de bons produits et sans en avoir jamais eu de mauvais, je crois qu’aujourd’hui, je vais dans le mieux. Mes clients me le disent et ceci constitue une forme de reconnaissance. Ensuite, il y a le regard que porte ma conjointe sur mon travail. Son jugement représente un socle indispensable. Et puis c’est à peu près tout. Auprès des autres viticulteurs, je crois « être le mec que l’on ne prend pas au sérieux ». Quand un agriculteur rencontre un autre agriculteur, il est rare qu’il ne lui demande pas « combien d’ha as-tu ? » Mes 7 ha me valent des réflexions du genre : « t’arrive à vivre avec ça ? » ou encore « tu ne dois pas manger tous les jours ! » A force, c’est pénible. Manifestement, on me prend pour un bricoleur, peut-être avec raison d’ailleurs.

« L.P.V. » – Comment justifieriez-vous votre démarche ?

Ma démarche consiste à valoriser au maximum le potentiel que j’ai. Elle est là ma démarche.

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