La nature généreuse de l’ugni blanc va-t-elle enfin s’exprimer en 2013 ? La belle sortie de grappes laissait augurer d’un potentiel prometteur, mais les fraîcheurs de mai et de juin l’ont un peu érodé. Les comptages de grappes réalisés par la Station Viticole du BNIC au début du mois de juin révèlent un potentiel dans la moyenne des dix dernières années qui est supérieur d’environ 16 % à celui de 2012. Cette donnée n’est absolument pas suffisante pour réaliser un pronostic de rendement fiable à trois mois des vendanges. Elle permet seulement de quantifier le potentiel de productivité d’origine de chaque millésime, en sachant que la climatologie d’août et de septembre joue un rôle déterminant sur les caractéristiques de la récolte finale. Le déroulement du cycle végétatif jusqu’à la mi-juillet peut être qualifié de tardif (deux grosses semaines de retard par rapport à la moyenne des dix dernières années) et on pourrait voir se dérouler les vendanges durant la deuxième quinzaine d’octobre. Une climatologie d’août et de septembre clémente serait en mesure de rattraper une partie du retard et d’obtenir une maturation équilibrée des raisins d’ugni blanc. Sera-t-il pour autant possible d’atteindre les objectifs de production très élevés ? A priori, le potentiel de rendement volumique porté actuellement par les souches est plus important que celui de l’année dernière mais sans être non plus exceptionnel. Il est très nettement inférieur (de – 20 %) à celui de 2004, où le volume moyen récolté avait frôlé les140 hl/ha. C’est sans aucun doute le niveau de TAV moyen des vins qui fera l’alcool pur en 2013.
L’appréciation du potentiel de productivité du vignoble charentais inquiète beaucoup d’observateurs avisés. Les chiffres régionaux de production de 8, 9, 10 hl d’AP/ha masquent dans la réalité de gros écarts. Certaines propriétés sont en mesure de produire 11 à 13 hl d’AP/ha régulièrement et d’autres plafonnent à 7, 8, 9 hl d’AP/ha. L’évolution climatique et l’expansion des maladies du bois sont les deux éléments qui depuis maintenant quinze ans ont des conséquences croissantes sur la productivité. Le modèle agronomique charentais, les vignes larges et hautes palissées ou pas, est indéniablement fragilisé alors que depuis 40 ans il a donné pleine satisfaction. Le contexte de production est devenu plus dur et c’est souvent l’entretien du capital de souches qui fait la différence. La réalité est terrible avec une mortalité de souches liée aux maladies du bois de 2 à 4 % par an. Perdre 50, 70, 100 ceps/ha chaque année dans des vignes à faibles densités (2 300 ceps/ha), cela devient vite pénalisant. La durée de vie moyenne des plantations est affectée si des stratégies de remplacement des manquants et de replantation n’ont pas été anticipées. Les travaux de recherche sur les maladies ne laissent pas espérer de remède miracle dans les 10 à 15 ans à venir, et le réchauffement du climat est aujourd’hui un élément que l’on ne peut plus nier. Il va donc falloir vivre avec ces handicaps ! Face à cette situation, beaucoup de viticulteurs s’interrogent et semblent désarmés. Le vignoble de Cognac est structuré autour du modèle vignes larges et hautes qui a fait ses preuves. Il est d’une part parfaitement adapté aux exigences qualitatives de la filière Cognac et d’autre part permet d’avoir des méthodes de gestion des travaux rationnelles sur le plan économique. Alors, comment les viticulteurs doivent-ils aborder la conduite de leur vignoble pour les décennies à venir ? Certains ne souhaitent pas le remettre en cause et mobilisent leurs moyens sur l’entretien du capital souches avec des actions d’entreplantation systématiques et des programmes de replantation ambitieux. D’autres franchissent le pas et n’hésitent pas à revenir à des densités de plantations plus élevées pour anticiper la mortalité. Les deux situations vont de toute façon conduire à une nette augmentation des coûts de production dans la durée. La pérennité du modèle vignes larges charentaises devient donc une préoccupation importante. Travailler les aspects d’agronomie et de physiologie au sein de la région délimitée permettrait d’accumuler des connaissances fondamentales spécifiques à notre vignoble qui n’a pas d’équivalent en France. Aucune autre région viticole ne possède un modèle de vignes où 2 400 ceps/ha produisent 15 à 17 tonnes de raisins/ha destiné à la production d’eaux-de-vie de grandes finesses. Aucun travail de recherche récent sur ce type de vigne n’a été conduit en France. Seul quelques chercheurs italiens s’intéressent au sujet mais en ayant des attentes en terme de qualité de produits bien différentes de celles des vins de distillation. Dans la région, les acquis sur ces thématiques datent des années 70 et 80, mais aujourd’hui le contexte de production est complètement différent. Relancer des études scientifiques fondamentales sur l’optimisation du système de conduite vignes larges adapté aux exigences du Cognac correspond aujourd’hui aux attentes concrètes d’une majorité de viticulteurs qui s’engagent dans des programmes de replantation importants. Comment établir des jeunes ceps plus résistants aux maladies du bois ? Avec le réchauffement climatique, faudra-t-il disposer d’une surface foliaire active plus ou moins importante ? Faudra-t-il aller vers de nouvelles architectures de palissage plus « protectrices » du soleil, de la chaleur, du botrytis, de l’acidité, de l’azote des moûts, des esters aromatiques ? Comment optimiser le régime hydrique des parcelles à faible densité tout en limitant les usages des herbicides ?… Les sujets sont nombreux et très importants pour la productivité et la pérennité du vignoble charentais.