La planète malade du CO2 : à quand le Bioéthanol Dans l’Essence ?

14 mars 2009

Le dioxyde de carbone lâché dans l’atmosphère par les carburants fossiles est sans commune mesure avec le CO2 libéré par l’alcool-carburant. Pourtant ce dernier peine à émerger. Question de volonté politique, de gros sous et de conflits d’intérêts avec les pétroliers.

En France, le secteur des transports consomme environ le tiers de l’énergie finale utilisée, soit 50,9 millions de tep (tonne équivalent pétrole) en 2002. Assez logiquement, on estime que le transport routier est responsable à 30 % des émissions de gaz carbonique, le CO2 étant lui-même l’un des principaux gaz à effet de serre. Le réchauffement de la planète lui doit donc beaucoup. Les carburants verts, utilisables dans les transports, peuvent-ils constituer une alternative positive pour l’environnement ? A coup sûr oui. Schématiquement, la quantité de CO2 (dioxyde de carbone) libérée par les biocarburants correspond à la quantité de carbone prélevée par la plante dans l’atmosphère pour sa croissance. Une opération quasi neutre quant aux volumes de CO2 produits, par opposition aux carburants fossiles, dont la combustion engendre la libération dans l’environnement d’un carbone qui était fixé dans le sous-sol depuis des millions d’années. On estime que remplacer un litre d’essence par un litre de bioéthanol permettrait d’éviter 75 % des émissions de gaz à effet de serre. La substitution à grande échelle des biocarburants aux énergies fossiles constituerait donc une avancée significative. L’utilisation de ces biocarburants reste cependant très limitée, même si des signes en leur faveur se multiplient. Au premier chef, il y a le protocole de Kyoto, en 1997, qui a fait prendre conscience à beaucoup de gens de l’urgence de la situation. L’engagement pris à Kyoto consistait à ramener d’ici 2012 les émissions de dioxyde de carbone au niveau de 1990. « A court terme, seuls les biocarburants peuvent avoir un impact massif sur les émissions de CO2 », estiment les spécialistes. L’Union européenne en a pris acte, passant en quelques années de déclarations de principes à la fixation d’objectifs d’incorporation.

Un doublement interne de l’énergie renouvelable

Dans un « livre blanc » édité en 1997, la Commission appelait de ses vœux le doublement de la part d’énergies renouvelables (énergie éolienne et solaire, biomasse) de 6 à 12 % de la consommation énergétique à l’horizon 2010. Autre signe en provenance de la Commission : une directive de 1993, entérinée par le Conseil européen des ministres de l’Agriculture, incite les Etats membres à incorporer 2 % de biocarburants dans l’essence et le gazole d’ici à 2005. L’objectif à atteindre pour 2010 serait de 5,75 %. Reste que la production de biocarburants bute sur un obstacle, son prix. Avant la hausse du pétrole, on indiquait que le prix de revient des biocarburants était deux à trois fois supérieur à celui des carburants classiques. La donne a sans doute un peu changé depuis : quand le prix du baril flambe, le différentiel s’amenuise même s’il demeure. Aujourd’hui, le prix de valorisation de l’éthanol carburant sortie usine est de l’ordre de 50 € par hl AP (pour mémoire, fin novembre, le prix du baril de pétrole, d’une contenance de 159 litres, se négociait à 48 € sur la place de New york). A ce prix de 50 €, il faut rajouter des frais de livraison aux Cies pétrolières – environ 2,5 €/hl AP – plus des coûts de stockage et de mélange. Pour couvrir ces charges et rendre les biocarburants concurrentiels vis-à-vis du pétrole, une solution a été trouvée, la détaxation. En France, cette détaxation se traduit par une réduction de la fameuse TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers), rebaptisée depuis le 1er janvier 2004 TIC (taxe intérieure de consommation). Cette exonération – fixe et non indexée sur le cours du pétrole selon le choix de Bercy – représente 33 centimes par litre pour le diester, 37 centimes par litre pour l’éthanol et 38 centimes par litre pour l’ETBE. Cet avantage fiscal qui, selon la directive du Conseil de l’Europe du 27 octobre 2003, doit éviter « la surcompensation des surcoûts », tombe directement dans l’escarcelle des compagnies pétrolières. Cela veut dire que tous les biocarburants en profitent, sans avoir à en distinguer l’origine ou le lieu de production. La détaxation est pilotée directement par l’Etat. Elle fait l’objet d’un contingentement (délivrance d’agréments) dans la mesure où toute ouverture de quota supplémentaire se traduit par moins de recettes fiscales (une tranche de 1 million d’hl AP, à 20 € de taxe par hl AP équivaut à une perte fiscale de 20 millions d’€). Les agréments actuels portent sur 219 000 tonnes d’ETBE, soit 103 000 tonnes d’éthanol et 387 500 tonnes d’EMHV (voir définitions). A ce jour, en France, le coût de la défiscalisation est estimé à 175 millions d’euros. Dans les faits, les volumes de biocarburants mis à la consommation demeurent inférieurs à l’enveloppe susceptible de bénéficier de la réduction de la TIPP.

A l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), on estime que la filière des alcools carburants n’a pas vraiment décollé en France, contrairement à ce qui se passe en Espagne ou en Allemagne (voir encadré). « Les volumes concernés sont ridiculement faibles, notamment parce que les pouvoirs publics n’ont pas pris les bonnes décisions en matière d’agrément. Nous avons accumulé du retard car les industriels ne voulaient pas investir sans perspectives claires sur les quotas défiscalisés », note Etienne Poitrat, chargé de la thématique des biocarburants à l’ADEME. Ce dernier évoque d’autres freins, comme la forte réticence des pétroliers envers l’éthanol.

En guerre économique avec les pétroliers

Car cet « alcool vert » se substitue à l’essence (et non au gas-oil), supercarburant déjà produit en excès par l’industrie pétrolière française. En France, le diesel a de plus en plus tendance à se substituer à l’essence alors même que le processus de raffinage du pétrole oblige les compagnies à extraire les deux produits, gas-oil et l’essence. Par ailleurs, des contrats d’approvisionnement d’essence lient les Cies aux pays producteurs, malgré le renversement de marché. Une partie de l’essence produite en trop part à l’exportation mais coûte cher aux pétroliers, par les frais de transport qu’elle engendre. Voilà pourquoi depuis 15 ans, le lobby des pétroliers, Total en tête, fait de l’obstruction à l’incorporation d’éthanol à l’essence. « Nous vivons une sorte de guerre économique avec les pétroliers », estiment les défenseurs des bioéthanols. « Imaginez qu’une compagnie comme Total a dégagé l’an dernier après impôt 7 milliards d’euros de bénéfice, un pactole qui dépasse le budget de certains Etats. Dans ces conditions, il est intéressant de regarder le poids d’un président de Total sur le Gouvernement. » Traditionnellement, la faveur des pétroliers va aux huiles végétales types diester, venant en remplacement du pétrole et du fioul, déficitaires en France. Dans ces conditions, la cause de l’éthanol est-elle perdue ? Pas forcément. D’abord, il y a la dimension politique, qui semble vouloir défendre le bioéthanol. Ensuite, des paramètres techniques peuvent jouer. A côté d’une incorporation directe d’éthanol à l’essence, existe aussi la possibilité d’incorporer des produits transformés, issus de l’éthanol. Cette incorporation passe par deux voies, le MTBE (méthyl-tertio-butyl-esther) et l’ETBE (Ethyl-tertio-butyl-éther). Mais alors que le MTBE, en tant qu’additif, participe lui-même à l’accroissement du potentiel d’essence, l’ETBE, lui, ne joue pas sur le volume d’essence. D’où son caractère « acceptable » par les pétroliers. Ainsi, dans le futur, peut-on penser que les volumes de MTBE seront totalement reconvertis en ETBE, ouvrant ainsi une nouvelle fenêtre à l’éthanol. Patrice Mura, directeur général de l’entreprise Deulep à Marseille, le seul transformateur français d’alcool vinicole en éthanol, parle d’un retour au bon sens. « Le fait d’ajouter de l’alcool dans l’essence n’est absolument pas une bêtise. C’est même une très bonne idée qui marche bien. Et ce n’est pas nouveau. De 1917 à 1960, 4 millions d’hl AP par an partaient à cette destination. Ensuite la France s’est désinvestie. Aujourd’hui, sous la pression communautaire, elle y revient, à reculons, la dernière mais le mouvement est enclenché. » Même écho du côté d’Alain d’Anselme, président-directeur général du SNPPA (Syndicat national des producteurs d’alcool agricole) défendant les intérêts des betteraviers et les céréaliers. « Le bioéthanol est une énergie liquide, renouvelable, utilisable sans changer les moteurs. En dehors de l’eau et des carburants fossiles, il n’existe pas beaucoup d’autres énergies liquides. La France dispose de la plus grande ressource de matières agricoles en Europe ainsi que de l’outil de distillation le plus important (40 % des installations de bioéthanol se trouvent en France). Le bioéthanol est sans doute le mieux à même de gérer la période transitoire de réduction des gaz à effet de serre. Il prépare aussi l’avenir dans la mesure où le bioéthanol est capable d’alimenter les piles à combustion. En plus d’être un outil du court terme, le bioéthanol constitue un enjeu pour demain. »

Un plan biocarburant

Afin d’essayer de combler le retard accusé par la France, le Premier ministre a annoncé en septembre dernier un plan portant sur deux points : une ligne supplémentaire de détaxation et la construction de nouvelles usines pour la production de diester et d’éthanol. La décision financière de détaxation est attendue fin décembre, avec la sortie de la loi de finance rectificative pour 2005. En matière d’équipement, plusieurs projets tiennent la corde. Deux ont trait à l’incorporation directe d’éthanol dans l’essence. D’une capacité de 3 millions d’hl AP chacune, il s’agirait d’unités mixtes betteraves/céréales, ultramodernes, dotées de toutes les techniques d’économie d’énergie et de valorisation des coproduits. Ces projets sont tous les deux pilotés par la filière sucrière, Cristal Union à Dazancourt-Pomacle, dans la Marne et l’Union des sucreries et distilleries de l’Aisne, à Origny, près de Saint-Quentin. Est également envisagée la mise en place d’une unité destinée à produire 150 000 tonnes de biodiesel par Diester Industrie à Sète, sur un site de trituration de soja reconverti pour traiter du colza et du tournesol. Parallèlement, les producteurs de maïs étudient la possibilité de produire du bioéthanol donnant naissance à un coproduit, le gluten, valorisable dans l’alimentation animale, en substitution à des importations américaines. En outre, les départements d’outre-mer pourraient envisager de transformer une partie de leur production de canne à sucre en bioéthanol, sur le modèle brésilien. Pour la production d’ETBE (à partir d’alcool), les projections portent sur 15 millions d’hl AP bientôt et sans doute 30 millions plus tard (volume actuel d’ETBE produit en France : environ 1,5 million d’hl AP). Une marge existe donc.

Dans ce contexte, existe-t-il de la place pour une filière biocarburant
d’origine vinicole ? A vrai dire cette filière existe déjà mais elle est confidentielle (voir article page 32). Comme déjà dit, le seul organisme transformateur d’alcool vinicole biocarburant (après un passage par l’industrie pétrolière) est la société Deulep à Marseille. Elle a calibré ses installations pour transformer les prestations d’alcools viniques (marcs et lies). Demain, pourrait-on imaginer que les excédents Cognac participent à la filière biocarburant ? Pour Patrice Mura, P-DG de Deulep, ce n’est pas un problème de quantité. On estime à 100 000 hl AP les volumes qui pourraient provenir des Charentes, entre le rendement Cognac et le plafond de rendement. Une « goutte d’eau » ! A titre de comparaison, les seuls alcools viniques issus des prestations viniques, de l’article 28 et de la DO article 30 représentent 800 000 hl AP par an. Et ne parle-t-on pas à échéance 2010 de 20 ou 30 millions d’hl AP d’éthanol carburant. Non, une fois de plus, le problème sera réglementaire, c’est-à-dire politique. Les jalons de la discussion sont en train d’être posés aujourd’hui (voir article page 43). Une étape à ne pas manquer.

Alcool et huile : les deux filières de production des biocarburants

La production des biocarburants se partage en deux filières bien distinctes : la filière de l’alcool (éthanol) et la filière des huiles (ou des esters).

La filière alcool

L’éthanol, dit encore bioéthanol, est l’alcool extrait de la betterave, des céréales, du vin, des pommes de terre, de la biomasse (paille, résidus du bois…). L’éthanol peut être incorporé pur au supercarburant ou transformé en éthyl-tertio-butyl-éther (ETBE), composé oxygéné obtenu par réaction avec de l’isobutylène (ou isobutène), sous-produit du raffinage pétrolier. L’ETBE a vocation à être mélangé au super. La production d’éthanol est actuellement assurée à 70 % à partir de betteraves et à 30 % à partir de blé.

La filière des huiles

Les esters méthyliques d’huile végétale (EMHV) sont obtenus à l’issue d’une réaction entre une huile végétale (notamment de colza ou de soja) et du méthanol, laquelle produit de la glycérine. En associant 90 unités d’huile à 10 unités de méthanol, on obtient 90 unités d’ester méthylique et 10 unités de glycérine. L’EMHV peut être incorporé au fioul domestique. En Europe il est appelé « biodiesel » ; en France, Sofiprotéol, l’établissement financier de la filière française des huiles et protéines végétales, a déposé la marque « diester », contraction de diesel et ester. En France, le terme diester sert à désigner l’EMHV.

L’éthanol, transformé ou non en ETBE, les huiles végétales et les EMHV sont des carburants liquides, qui peuvent être incorporés aux carburants classiques (essence ou gazole, selon les biocarburants) sans modification des moteurs, si certaines conditions sont respectées.

En France, 420 000 ha de terres sont consacrées à produire des biocarburants, principalement des jachères, par le biais du « gel industriel ».

 

Le Brésil est le premier producteur mondial d’éthanol (140 millions d’hl en 2003, assurée par près de 300 distilleries). Il valorise ainsi la moitié de sa production de cannes à sucre. L’éthanolcarburant est utilisé soit sous forme pure (essence à 100 % à base d’éthanol), soit sous la forme d’un mélange essence/éthanol, à un taux d’incorporation compris entre 20 et 25 %.

C’est à partir du maïs que les Etats du Midwest américain produisent de l’éthanol depuis 1978. La croissance de la demande d’éthanol pour la carburation est à l’origine de la forte croissance de la production enregistrée ces dernières années. Elle a dépassé 112 millions d’hl AP en 2003, soit une progression de 27 % en un an et de 75 % en cinq ans. Cette tendance devrait se poursuivre puisque treize distilleries sont en construction et plus de soixante-treize déjà en fonctionnement. L’éthanol est utilisé en mélange à l’essence à un taux de 10 % mais aussi incorporé au fioul domestique. De nombreux autres pays commencent à développer une production d’éthanol grâce à des soutiens publics : le Canada, depuis 1994 mais aussi plus récemment l’Australie et la Nouvelle-Zélande, l’Inde, la Chine, la Thaïlande.

Par comparaison, la capacité européenne de production de bioéthanol s’avère très faible. En 2003, elle ne dépassait pas les 4 millions d’hl (1,1 million d’hl AP pour la France). C’est l’Espagne qui a mené la politique la plus volontariste. La filière de production, lancée en 1999, a connu une progression spectaculaire. L’Espagne se classe aujourd’hui comme le premier producteur européen de bioéthanol. Quant à l’Allemagne, le pays arrive en tête des producteurs de diester, biocarburant issu notamment de l’huile de colza.

Si, à l’intérieur de l’UE, des volumes de biocarburant sont à prendre, la compétition est ouverte. Tout récemment, le Brésil a remporté, sur adjudication européenne, un marché de 125 000 hl AP de bioéthanol. Le prix de revient de l’alcool brésilien est bien inférieur à l’alcool européen, même grevé des coûts de transport.

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