La marque : un capital « précieux » à protéger

14 mars 2009

En apparence, quoi de plus anodin qu’une marque, surtout lorsqu’il s’agit d’un nom patronymique ou d’un nom de propriété ? Pourtant, personne n’est à l’abri d’une contrefaçon ou d’une imitation. Du coup, ce qui paraissait accessoire devient ultra-stratégique. Car, la marque véhicule un capital d’estime, une sorte de contrat de confiance avec l’acheteur. La marque, un patrimoine à protéger ! Comment ? En déposant sa marque. Car le droit des marques peut se résumer d’une phrase : « un dépôt, un droit – pas de dépôt, pas de droit ».

 

marquzq.jpgL’origine des marques remonte à la plus haute antiquité, à l’époque où les artisans reproduisaient leur signature ou « marque » sur les œu-vres ou objets utilitaires qu’ils fabriquaient. Les premières marques apparaissent sur les amphores, les tuiles… et aussi sur la peau des esclaves. Un bond à travers les âges et nous voilà plongés en plein XXIe siècle. Parce qu’elle avait vendu sa maison à des Japonais, Inès de la Fressange s’est vue interdire d’utiliser son nom à titre de marque. Le même avatar est arrivé au célèbre cuisinier Paul Bocuse. A contrario, le cinéaste Luc Besson, auteur du « Grand bleu », a reçu 2,7 millions d’euros (17 millions de francs) de la société SFR et du groupe Publicis. Les juges ont déclaré ces derniers « contrefacteurs » pour avoir mis en scène l’actrice Milla Jvovovich dans une tenue qui rappelait par trop celle de son personnage Leeloo dans le « Cinquième Elément ». « Le personnage est de nature à créer une confusion dans les esprits », ont estimé les magistrats de la 4e chambre de la cour d’appel de Paris.

Tout est protégeable, le nom sous lequel vous mettez en circulation vos produits mais aussi l’esthétique de votre nouveau flacon, la typographie de votre étiquette ou le procédé de fabrication de votre cocktail au Cognac. La marque est un bien précieux, un investissement qui doit être protégé. « A défaut, souligne un professionnel du secteur, vous offrez à n’importe quel concurrent la possibilité de s’en emparer et de bénéficier à bon compte de vos efforts. Autant laisser votre voiture vitres ouvertes sur le parking d’une gare… ! » A l’évidence, plus la marque est connue, plus elle devient convoitable et plus elle est susceptible d’engendrer des actes de piratage. Attention ! On aurait tort d’entendre par marques « connues » les seules marques notoires comme Dior, Chanel, Lacoste, Dupont ou, dans le domaine des Cognacs et des vins, Hennessy, Martell, Rémy, Mouton-Rothschild, Château Yquem… Ce ne sont pas les seules à attirer les convoitises. On pourrait même dire que leur grande notoriété les protège des vandales à la petite semaine. Non, les « petites marques » mais honorablement connues dans leur domaine sont tout aussi exposées, voire davantage. Dans le domaine de l’usurpation, l’immunité n’existe pas. Il n’y a pas de petits profits pour les contrefacteurs.

Quel pare-feu dresser contre la malveillance ? Il n’en existe qu’un : le dépôt de marque. Car le droit des marques brille par sa simplicité : un dépôt, un droit – pas de dépôt, pas de droit. Le dépôt de marque existe en France depuis 1854. Dans notre pays, c’est l’INPI (Institut national de la propriété industrielle) qui est chargé de l’enregistrement des « brevets, marques, dessins et modèles ». L’INPI est un organisme public administratif qui dépend du ministère de l’Industrie. A son siège de Nanterre, près de Paris, l’INPI répertorie, à travers ses banques de données, l’ensemble des attributions de titres de propriété industrielle. Sur le territoire français, sont comptabilisées 1,6 million de marques en vigueur, dont
400 000 déposées par les étrangers. La France est le 3e déposant mondial de marques.

Le dépôt n’est pas obligatoire

On l’aura compris ! Le dépôt de marque n’est pas obligatoire. Juridiquement, personne n’est obligé de déposer sa marque. On peut très bien utiliser une marque sans la faire enregistrer. Par contre, procéder au dépôt, c’est s’ouvrir un droit de monopole. Celui qui dépose la marque est le seul à pouvoir s’en servir. Personne d’autre que lui ne peut la revendiquer. Le dépôt de marque génère donc un droit important, de la même teneur qu’un droit sur un immeuble. Il peut aussi se valoriser très très cher. Mais encore faut-il accomplir tous les devoirs de sa charge. Et, en matière de marque, le principal devoir consiste à penser au renouvellement du dépôt de marque. Car le dépôt de marque n’est pas valable ad vitam aeternam. Il vaut pour une période de dix ans, « renouvelable indéfiniment ». Cela signifie que personne ne peut vous empêcher de procéder au renouvellement de votre dépôt de marque mais attention à ne pas « louper la marche » ! Faute de renouvellement, la marque tombe dans le domaine public. Et les conséquences peuvent être catastrophiques si malheureusement quelqu’un de malintentionné, généralement à l’affût – il aura par exemple fait mettre sous surveillance le registre des marques – s’aperçoit de la faille et s’engouffre dans la brèche.

« En matière de marque, l’usage ne crée pas de droits », note Eric Schahl, directeur d’Applima, un important cabinet de conseil en propriété industrielle. « Cette caractéristique du droit des marques, précise-t-il, est à la fois redoutable pour le détenteur de marque et sécurisante pour les tiersl. Si les droits ne figuraient pas dans un registre, cela deviendrait vite ingérable. C’est un gage de transparence. »

C’est également pourquoi, avant d’effectuer un dépôt de marque, il convient absolument de procéder à une recherche d’antériorités auprès de l’INPI, afin de vérifier si sa propre marque ne se télescope pas avec des droits antérieurs. La pire des choses serait de lancer des investissements importants autour de sa marque et de s’apercevoir après coup que d’autres gens détiennent la même marque ou des marques approchantes. Cette recherche d’antériorités peut se faire seul (voir encadré sur les démarches pratiques) ou avec l’aide de cabinets spécialisés. Bien entendu le coût différera. Mais les professionnels de la propriété industrielle n’oublient pas de mettre en avant leur expertise et le fait que les bases de données de l’INPI ne sont pas toujours très faciles à manipuler. « De plus en plus, cela devient un travail de spécialiste », ajoutent-ils. Une chose est sûre ! Ce n’est pas parce que le dépôt de marque se fait auprès d’un organisme parapublic comme l’INPI et s’accompagne du paiement d’une taxe que l’Administration délivre un blanc-seing. Le dépôt de marque se fait aux risques et périls du déposant. « Les grandes sociétés le savent, les petites pas toujours », relèvent les cabinets conseil.

En matière de recherche d’antériorités par exemple, l’INPI n’a pas de devoir d’investigation. Il remet un listing au déposant, à charge pour lui de le dépouiller pour rechercher les marques similaires, une tâche pas toujours aisée. Même chose pour le formulaire administratif de demande d’enregistrement. L’INPI n’a pas de pouvoir de rédaction d’un acte de dépôt. Cette rédaction relève du déposant ou de son conseil (cabinet ou avocat spécialisé). « Officiellement, nous n’aidons pas à la rédaction des actes. Le rôle de l’INPI se borne à l’enregistrement », confirme Jacques Goubier, adjoint au délégué régional INPI de Bordeaux.

La protection à l’export

Dans des régions comme Cognac ou Bordeaux, les opérateurs ne se bornent pas à vendre en France. Ils exportent souvent partout dans le monde. Le dépôt effectué à l’INPI ne protège que sur le territoire national. Pour étendre la protection à ses autres marchés, l’exportateur va devoir dupliquer sa démarche d’enregistrement. A noter cependant que si l’on veut protéger sa marque à l’international, il faut d’abord la protéger en France. Pour la raison toute simple qu’un produit français est, par définition, étiqueté en France. Ne plus pouvoir apposer son étiquette en France équivaudrait à perdre son droit de vendre à l’étranger. Fort heureusement, des conventions internationales permettent de couvrir « d’un seul clic » ou presque la plupart des pays. Sur le marché européen des 15 (et maintenant des 25), existe la notion de « marque communautaire ». Créée depuis 1993, elle offre une protection juridique sur tout le territoire de l’UE. La marque communautaire est gérée par l’OHMI (Office de l’harmonisation du marché intérieur) à Alicante, en Espagne. Une seule demande, un seul dossier, rédigé dans la langue de son choix, embrasse l’ensemble des pays européens. Il appartient au déposant de faire lui-même la démarche d’enregistrement auprès de l’OHMI. ll lui en coûtera une taxe de dépôt de 975 € assortie d’une taxe d’enregistrement de 1 100 €. Comme en France, la marque communautaire est renouvelable tous les dix ans (avec une redevance récurrente pour chaque période). Une autre option consiste à passer par l’Arrangement de Madrid. Ce système permet l’enregistrement international des marques auprès des pays de son choix, membres du Protocole. Adhèrent à l’Arrangement de Madrid 77 pays dont les Etats-Unis, le Japon… Si le détenteur de la marque doit s’occuper lui-même du dépôt de la marque communautaire, la philosophie d’enregistrement de la marque internationale diffère. Via l’INPI, c’est l’enregistrement français qui se transforme en enregistrement international. Revient à l’INPI le soin de vérifier qu’il s’agit bien de la même marque, du même titulaire, d’un produit ou service identique. Le dépôt s’effectue à Genève, auprès de l’OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle). Le coût sera proportionnel au nombre de pays couverts et également au nombre de classes (ou d’activités) choisies.

C’est d’ailleurs une constante : en France comme à l’étranger, personne ne va s’amuser à protéger sa marque pour tous les produits et services recensés (la norme internationale coptabilise 45 classes d’activité). Non, l’enregistrement se cantonnera à quelques classes d’activité voire à une seule. A titre d’exemple, les boissons alcooliques (à l’exception des bières) relèvent de la classe 33. Se retrouvent donc dans cette classe le Cognac mais aussi le Pineau, les vins, les liqueurs, les ABV (apéritifs à base de vin) et même le pétillant de raisin dans la mesure où il contient un peu d’alcool. Les jus de raisin, quant à eux, appartiennent à la classe 32, avec les bières, eaux minérales, boissons à base de fruit… Avant de déposer sa marque, la première étape consistera donc à bien identifier son secteur d’activité.

On a dit plus haut qu’en matière de marque, l’usage ne créait pas de droit. Par contre le non-usage peut faire tomber le droit dans le domaine public. Imaginons une marque régulièrement enregistrée. Mais son titulaire ne l’exploite pas. Un tiers peut agir en « déchéance de la marque » et obtenir gain de cause auprès du tribunal, s’il n’y a pas eu usage de la marque durant les cinq ans précédant son action. A noter que la charge de la preuve incombe au propriétaire de la marque. Le juge lui demandera de démontrer qu’il a bien exploité sa marque.

Le nom de domaine

Dans la pratique, il s’avère que beaucoup de viticulteurs adoptent leurs noms de domaine comme marque et ils n’ont pas tort. Assimilé à une marque, le nom de domaine (ou château, clos, logis…) est non seulement réservé aux AOC viticoles (décret du 19 août 1921) mais constitue également une indication de provenance. A ce titre, le nom de domaine apparaissant sur l’étiquette ne peut servir qu’à commercialiser les produits récoltés, vinifiés et distillés sur l’exploitation viticole en question. A quelques conditions près toutefois : que ce nom de domaine serve à qualifier l’exploitation, s’avère exact, que l’exploitation soit individualisée sous ce nom, qu’elle représente une unité agricole, qu’elle soit répertoriée comme telle auprès des organismes officiels et sur la déclaration de récolte. Ainsi, le nom de domaine confère-t-il une certaine sécurité « naturelle » même si, pour plus de précautions, il est toujours préférable de procéder à un dépôt de marque.

Quid du nom patronymique ? Les spécialistes de la propriété intellectuelle soulignent le danger attaché à l’absence d’enregistrement du nom patronymique. « Il suffit qu’un cousin portant le même nom que vous reprenne une parcelle de vigne et dépose son nom pour que vous soyez “chocolat”. La famille parasite, ça existe aussi. » Et de remarquer qu’en Champagne de Reims, où les gens ressentent peut-être davantage qu’ailleurs « la valeur des choses », la tendance va de plus en plus au dépôt de marque de son nom patronymique.

De nombreux contentieux

Au plan général, le secteur des marques génère beaucoup de contentieux, en attaque comme en défense. Le droit des marques est extrêmement frontal. Il ne se prête pas à des interprétations infinies. Les magistrats jugent « en droit » en examinant des points précis : dépôt ou pas dépôt, droits antérieurs ou pas droit antérieurs…

La justice sanctionne sévèrement le contrefacteur, que son intention soit réellement dolosive ou qu’il soit seulement coupable d’avoir péché par manque de vigilance – recherche d’antériorités bâclée, défaut de renouvellement de la marque… – et que le piège se soit refermé sur lui. Un cabinet relate le cas d’une personne qui venait juste de procéder au dépôt de sa marque à l’INPI. Avant même toute exploitation, elle s’est vue condamnée par le tribunal à verser 7 000 € de dommages et intérêts pour cause de recherche d’antériorité un peu rapide. Elle ne s’était pas aperçue que quelqu’un d’autre possédait déjà un droit sur la marque.

Avant même de parler d’indemnisation du préjudice commercial, le contrefacteur se voit interdit de poursuivre l’infraction. Pour ce faire, les juges n’hésitent pas à fixer des astreintes parfois très lourdes, du type de 100 € par bouteille vendue en infraction. Parfois il arrive que le contrefacteur malgré lui – dont la marque se retrouve « squattée » par une personne indélicate parce qu’il avait oublié de procéder au renouvellement – n’ait d’autre choix que de poursuivre la vente sous sa marque. Les sommes à payer peuvent très vite représenter des sommes vertigineuses (à coup de 10 ou 20 000 bouteilles vendues). Certes, il peut enclencher une action en justice mais les délais continuent de courir. Quelqu’un qualifie cette situation de « piège à c…, d’engrenage infernal ». Heureusement, selon le principe de droit bien connu, « la fraude corrompt tout ». Si la fraude peut être prouvée, le droit « frontal » des marques sera réversible. Encore faut-il convaincre les juges. Les spécialistes du droit des marques estiment que les cas de fraude caractérisée sont extrêmement rares. Ils les cantonnent à moins de 0,1 % des affaires. Reste que si un faisceau d’indices existe et peut être prouvé, les juges seront bien obligés de l’examiner et d’en tenir compte.

Si les grandes sociétés sont extrêmement bien protégées – elles s’en donnent les moyens – les petites entreprises sont plus vulnérables. Souvent les gens ne pensent pas à enregistrer leur marque. Pourtant la plus élémentaire prudence voudrait que « dès que l’on crée un truc, on aille le déposer ». Et quand cette démarche est faite, il suffit parfois qu’une secrétaire possédant la « mémoire » du dépôt de marque parte à la retraite pour que la mécanique se grippe. Le délai de validité des dix ans est alors allégrement dépassé, sans signal d’alerte d’aucune sorte (d’autant qu’à l’international les délais de validité varient selon les pays). Trop confiants, les propriétaires viticoles rangent rarement le dossier « protection de la marque » sur le haut de la pile. « Les gens sont trop dans l’action et pas assez dans la réflexion, commente un avocat. A un moment ou à un autre, il faut prendre le temps de réfléchir. La sécurité ne se discute pas. Aujourd’hui, toute affaire doit être “secure”. » Sans l’ombre d’un doute, la mauvaise gestion d’une marque peut entraîner l’affaiblissement du patrimoine de l’entreprise. Prudence donc !

La marque, partie intégrante de l’étiquette

L’écrin de la marque, c’est l’étiquette. A Cognac, un service du BNIC offre aux ressortissants l’opportunité de vérifier les mentions d’étiquetage avant impression. Suit la délivrance d’un avis, précis et documenté.

Martine Chaduteau connaît tout des mentions d’étiquetage. Selon sa propre expression, les avis qu’elle délivre sont « carrés », c’est-à-dire qu’ils ne laissent pas place à l’improvisation ni à l’imprécision. Responsable du service étiquetage, elle travaille sous la direction d’Azziz Allam, à la tête du département des affaires juridiques, économiques et fiscales du BNIC. A. Allam a accompli la plus grande partie de sa carrière comme haut fonctionnaire de la DGCCRF (Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes). C’est dire sa parfaite maîtrise du domaine de l’étiquetage. M. Chaduteau prépare l’avis, son chef de service le vise et il est signé du directeur du BNIC. Avant tirage définitif de l’étiquette, les ressortissants ont tout intérêt à ne pas brûler cette étape et transmettre leur maquette au BNIC, afin que soit examinée la conformité des mentions avec les prescriptions légales.

Sur une étiquette, se côtoient des mentions obligatoires et des mentions facultatives. La marque appartient à la seconde catégorie. Figurent au titre des mentions obligatoires la dénomination de vente, c’est-à-dire la catégorie de produit vendu (Cognac, Pineau des Charentes…), le titre alcoométrique (le degré), la contenance réelle, le nom et l’adresse du responsable de la commercialisation et l’identification du lot (le n° de lot) ainsi que le fameux « point vert ». Pour le Cognac on retrouve parmi les mentions facultatives la désignation de qualité (***, VSOP, XO… en fonction des comptes d’âge), la marque, ainsi que des mentions comme « mise en bouteille à la propriété » (si c’est le cas). Globalement, la marque ne doit pas être de nature à créer une confusion dans l’esprit de l’acheteur ou du consommateur, confusion sur les caractéristiques du produit et plus particulièrement sur « son identité, sa qualité, sa composition, son origine ou sa provenance ». Ce serait alors une marque « déceptive », une forme de publicité mensongère. Le logo fait partie de la marque et peut être déposé au même moment.

Depuis quelque temps, le BNIC demande à ses ressortissants de ne plus faire figurer le mot Cognac dans le dépôt de marque, afin qu’un contrefacteur de l’appellation ne puisse se prévaloir de cette mention pour s’opposer aux actions judiciaires du BNIC. M. Chaduteau précise que, bien sûr, cette recommandation n’empêche en rien de mentionner le mot « Cognac » sur l’étiquette. Elle concerne juste le dépôt, où l’on doit éviter de porter la dénomination Cognac dans la rubrique « produits et services » apparaissant sur les imprimés de l’INPI.

 

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