La goutte de vin qui fait déborder le chai

19 octobre 2023

« On ne réfléchit au passé et à l’avenir que pour gâter le présent. »

Si les marchés toussent, les chais de cognac débordent quant à eux aujourd’hui littéralement de vin, challengeant de manière inédite la chaine logistique amont de la filière et nécessitant plus que jamais une orchestration collective. Orchestration pratique d’une part, pour gérer le millésime 2023 qui s’annonce déjà record, mais aussi et surtout orchestration institutionnelle et politique d’autre part, à l’aube des sacrosaintes élections interprofessionnelles.

Si des mots du BNIC, la crise COVID a « décalé dans le temps la dynamique de croissance du Cognac » plus que spectaculaire ces dernières années, LES interrogations que tous se partagent aujourd’hui tiennent alors à la durée de cet infléchissement et à ses conséquences sur les court, moyen et long terme. Comment redresser la barre pour retrouver le cap de attendu ? Le temps est-il aujourd’hui venu de la fin du troisième âge d’or du cognac ?

Avant « la réactualisation du Business Plan en début d’année [2024 qui] permettra de cerner plus finement ces perspectives » et d’être davantage fixé sur l’avenir, se rappeler des affres du passé, parfois oubliées ou méconnues, et de leurs enseignements pour anticiper et bâtir, plutôt que subir, le temps qui passe, et ainsi ne pas passer avec lui.

  “Tout est cycle, cercle vicieux, éternel retour.”

Comme l’indiquait en 1985 Max Cointreau, dans son ouvrage La crise du cognac, douze mesures pour l’avenir de la Grande Champagne, « le cognac a connu, jusqu’en 1973 environ, un essor prodigieux. La prospérité n’était pas l’aisance pour tous, mais le décollage économique de la région a permis une prospérité euphorique, extraordinaire dans la vie d’une population. Le moteur psychologique était d’abord la confiance dans l’avenir. Les viticulteurs vendant facilement, l’argent circulait vite, les emplois se trouvaient et se créaient. Les viticulteurs changeaient facilement de tracteur et avaient la possibilité d’acheter tout le matériel nécessaire. […] Trois facteurs expliquent [alors] l’expansion de la viticulture : le stockage, l’extension des vignobles amenant la monoculture et l’amélioration des rendements avec la mécanisation de la culture de la vigne. »

C’est alors à cette époque et « en extrapolant les résultats d’une étude du Bureau National du Cognac qui déterminait le taux d’expansion des ventes du Cognac autour de 7 % par an, [qu’il] fut décidé de planter en plusieurs étapes 30 000 hectares de vignes pour que la production suive la demande. Le premier jour, une demande gigantesque se produisit pour avoir les autorisations de plantations. Tout le monde en voulait et on a planté dans de nombreux endroits critiquables […]. Disposant de capitaux, les viticulteurs se sont mis à investir et les perspectives s’annonçant de plus en plus positives d’après les prévisions, ils n’ont pas hésité à s’endetter, recevant un accueil très favorable des organismes financiers. » Une situation qui n’est pas sans rappeler l’euphorie de la dernière décennie et plus particulièrement ces dernières années avec, par exemple, des prix pratiqués sur le marché du libre ayant atteint des niveaux, jusque-là, jamais connus au sein de la filière…

Là où le bât blesse… Bis repetita ? 

« L’essor de la production a duré pendant plus d’une dizaine d’années en assurant le développement de la région, en rééquilibrant la demande et en permettant de répondre à l’offre. En même temps, le volume global a fini par dépasser les capacités d’absorption des marchés, avec le ralentissement du commerce mondial à partir de 1973 dû au premier choc pétrolier », et dans un contexte de plantations nouvelles déjà réalisées et d’une amélioration effectives des techniques agricoles permettant une nette amélioration des niveaux de rendement.

Comme l’indique Max Cointreau à l’époque, en 1985, « d’un point de vue structurel, le début de la crise du cognac a coïncidé avec une période de mutation profonde dans le monde. Deux chocs pétroliers, des crises économiques et monétaires profondes, une augmentation des prix, de la concurrence internationale et du chômage ont frappé de plein fouet les exportateurs sur tous les marchés étrangers. » « D’un point de vue conjoncturel, une successuion de bonnes récoltes et la quantité de stocks disponibles, ont contribué à aggraver la crise. Car, en plus des droits de plantations, les conditions climatiques ont joué dans le même sens : en l’espace de 5 ans, la région a produit trois « années du siècle » 1970, 1973, 1975 […]. »

Un déséquilibre de l’offre et de la demande impactant à la fois la viticulture, disposant de moins de liquidités, le négoce, supportant le poids du stock (plus de 70 % du stock au négoce en 2023), mais aussi tous « les secteurs artisanaux qui profitaient de l’activité viticole ».

Un épilogue heureux ?

Si l’arrachage était la mesure phare du plan évoqué à l’époque par Max Cointreau, d’autres mesures, étaient par ailleurs évoquées pour endiguer la crise du cognac. Diversification, contrôle des rendements, montée en puissance des syndicats, redynamisation des exportations et développement des actions de communication et de formation, implication des élus à tous les niveaux, actions en faveur de l’attractivité du territoire et de son désenclavement, sont alors autant de mesures proposées et dont certaines ont encore voix au chapitre aujourd’hui, plus ou moins matures et/ou abouties.

Evidemment, la filière a évolué et s’est structurée depuis cette époque et les outils de régulation d’hier ne sont plus ceux d’aujourd’hui. Pour autant, replonger dans cette histoire, l’histoire de la filière et  de ses crises, reste un élément essentiel pour se projeter dans l’avenir. Preuve en est, même le Business Plan intègre ces éléments chrysogènes du passé pour ses modélisations à venir…

Trop tôt pour parler d’épilogue heureux ? Peut-être… Pour le BNIC, « les données actuellement disponibles indiquent cependant que la reprise des expéditions devrait intervenir de façon progressive et non linéaire au cours de l’année 2024 ». Interrogé plus spécifiquement sur les marchés américains et chinois, respectivement premier et deuxième zones d’expédition de l’eau-de-vie charentaise, IWSR* répond que la situation mettre du temps à se redresser en raison de la situation financière difficile et de l’incertitude future. Son conseil avisé aux structures étant alors « de se fixer des objectifs réalistes, de développer une stratégie plus nuancée pour répondre aux besoins changeants des consommateurs », encourageant au passage une stratégie davantage orientée sur la valeur que sur les volumes, soit un virage déjà amorcé par les maisons de cognac, sur le territoire.

A lire aussi

L’appel à l’aide de l’US Cognac Rugby

L’appel à l’aide de l’US Cognac Rugby

C'est un constat qui a fait le tour des médias, sportifs ou non: l'US Cognac va très mal. Malgré les efforts de Jean-Charles Vicard pour tenter de redresser la barre, le club se retrouve dans une difficile situation financière.  La direction a de fait décidé d'envoyer...

error: Ce contenu est protégé