Remis en cause par les formes sociétaires, les anciens schémas cèdent le pas à de nouvelles alternatives pour se constituer une retraite décente. Entourée de plusieurs acteurs de la transmission, la Banque verte a abordé la thématique de la retraite viticole lors d’une conférence à Cognac, le 27 octobre 2010.
Heureux hasard ou sens aigu du timing ? En tout cas, le jour même où le Parlement français adoptait définitivement la réforme des retraites (passage de l’âge légal de la retraite de 60 à 62 ans), le Crédit agricole Charente-Périgord, en partenariat avec l’interprofession du Cognac, débattait de la thématique des retraites viticoles. Dans la salle, environ 200 personnes et, sur le plateau, les représentants de plusieurs cabinets comptables, AFAC, CER, CGO, PriceWaterhouseCoopers (PWC). Un certain nombre de professionnels avait été appelé en renfort : le secrétaire général adjoint de la FNSEA, Jean-Bernard Bayard, président de la Chambre d’agriculture du Nord-Pas-de-Calais et membre du Cor (Conseil d’orientation des retraites), Patrick Couillaud, président de la MSA des Charentes, Bernard Guionnet, président du BNIC, Christophe Forget, président du SGV Cognac.
Les retraites viticoles sont-elles à ce point spécifiques pour bénéficier d’un traitement spécial ? Sans doute faut-il y voir une raison d’opportunité, intrinsèque au Crédit agricole Charente-Périgord. Depuis plusieurs années, la banque régionale s’est dotée d’un « pôle Cognac ». Cette structure d’échanges regroupe les chargés de clientèles viticoles de la Caisse, le centre d’affaire entreprises, les départements assurance et banque privée. « Nous avons ainsi une vision globale de la filière, qui embrasse aussi bien la partie viticole que la partie négoce. Elle nous permet également de mener des travaux de fond, avec l’appui de stagiaires. Cette soirée en est l’exemple » a expliqué Michel Trichet, responsable des marchés agricoles à la Caisse Charente-Périgord. Mais ce particularisme des retraites viticoles s’appuie aussi sur des éléments bien tangibles, comme le stock viticole, matérialisé par le stock d’eaux-de-vie en Charentes.
« le stock n’appartient plus à l’associé »
C’est Jean-Marie Ordonneau, associé du cabinet PriceWaterHouseCoopers de Cognac, qui en a le plus explicitement parlé, pour en parler… au passé. Car, avec la montée des formes sociétaires en viticulture – EARL, SCEA… – le stock viticole, de personnel, a de plus en plus tendance à devenir sociétaire. En clair, il n’appartient plus à l’associé. Conséquence : celui-ci ne pourra pas le réaliser pour se constituer un capital retraite. « Nous sommes en train de vivre la fin du stock retraite » a décoché J.-M. Ordonneau. Bernard Guionnet lui a emboîté le pas. « Attention, le monde change ! Ne pensez pas gérer votre retraite comme vos parents l’ont gérée avant vous. La succession à la ”papa tranquille“, c’est fini. Le stock sociétaire n’est plus à vous mais à la société. Alors, sauf à se contenter d’aller à la chasse, à la pêche ou aux champignons, il va falloir trouver autre chose. Car la retraite de base ne suffira pas. »
Cette « autre chose », tout le monde l’a plus ou moins en tête. Cela tourne autour de la retraite par capitalisation, les placements financiers, la « diversification de patrimoine », le plus souvent de l’immobilier locatif. Mais de la coupe aux lèvres…
Patrice Fradet, directeur du CER pour le territoire Jarnac-Cognac, a rappelé assez opportunément qu’avant de placer et de diversifier, fallait-il encore… gagner de l’argent. Depuis quatre ans, le Centre d’économie rurale a remis sur les rails ses études de groupes (voir pages 11-12-13), afin d’aider ses adhérents à situer leurs niveaux de charges, avec les explications à la clé.
Sous-directrice du CGO, Marinette Bouchaud exerce la fonction de « conseillère en droit social pour l’exploitation ». Quésaco ? Son « job » consiste à optimiser les retraites, faire en sorte que les personnes obtiennent le meilleur retour sur investissements. « Plutôt que subir sa retraite, faisons-la. » Les questions porteront sur le statut social – le statut de non-salarié agricole représente-t-il le meilleur choix aujourd’hui ? – sur la retraite par capitalisation, les possibilités de déductions… « Les gens commencent à se préoccuper de ces questions de plus en plus tôt mais pas assez vite à mon sens » constate M. Bouchaud.
« vie patromoniale »
La banque, on le comprendra, met en avant la notion de placements financiers. « Cela peut aller de l’immobilier à l’assurance en passant par le placement, la défiscalisation. Nous sommes sur le vieil adage qui consiste à ne pas mettre tous ces œufs dans le même panier » précise M. Trichet. Son collègue de la partie « banque privée », Francis Merle, détecte trois phases dans une « vie patrimoniale. « Il y a d’abord, dit-il, la constitution du patrimoine, jusqu’à 40-45 ans, puis la phase de développement de ce patrimoine, où la priorité va à la défiscalisation et enfin la troisième phase, celle de la réorganisation du patrimoine en vue de la retraite. » Mais cette vision « idéale » est parfois battue en brèche. Les futurs retraités doivent souvent faire « avec les moyens du bord. » Sonia Rault, de l’AFAC, le constate tous les jours. « Nous voyons des exploitants agricoles partir à la retraite avec 800 € par mois et 500 € pour la conjointe. A partir de là, il convient de trouver des revenus complémentaires. Ils pourront venir du bail à long terme, d’une réserve d’usufruit… Ces sujets se discutent en famille et avec les conseillers. »
Jean-Marie Ordonneau ne le nie pas. Le monde est plus compliqué qu’il y a 30 ans, les choix moins faciles. « On ne joue plus dans la même catégorie que dans les années 75-80. » A côté de la persistance d’un modèle familial à 15-20 ha, il voit se mettre en place un modèle « professionnel », autour de 40-50 ha Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les coûts de main-d’œuvre ne faiblissent pas dans ce genre de structure, notamment à cause des frais d’encadrement. La fiscalité doit aussi s’adapter. A partir de 40 ha, le choix de l’IS (impôt sur les sociétés) est souvent conseillé, ce qui va de pair avec la forme sociétaire. A ce titre, l’expert-comptable fait remarquer que son cabinet a lancé les premières sociétés en agriculture en 1974. « A l’époque, l’on nous prenait un peu pour des fous. » Il se dit optimiste pour l’avenir. « Des éléments structurants se dessinent. L’augmentation de la taille critique des entreprises oblige à utiliser des moyens juridiques, fiscaux, sociaux dignes de ce nom. Les exploitations seront de plus en plus gérées comme des entreprises normales, avec de vrais chefs d’entreprises à leur tête. » La gestion de la retraite ne fait pas exception. « Il va falloir apprendre à utiliser les modèles disponibles partout ailleurs. Je pense à la possibilité de déduire des revenus professionnels les cotisations complémentaires retraites. Les viticulteurs déboursent sans hésiter 200 000 € pour une machine à vendanger alors qu’ils hésitent encore à investir dans un plan d’épargne retraite. Mais les mentalités changent. »
être vigneron à cognac
A Bernard Guionnet est revenu le mot de la fin. « Il est plus facile de préparer sa retraite et d’installer un jeune quand ça va bien qu’en situation de crise. » Et actuellement, force est de constater que le Cognac se porte plutôt bien. En progression de + 17 % en un an, les ventes de Cognac ont exercé une remontée spectaculaire en 2009-2010 après avoir perdu, il est vrai, 25 % en deux ans. Le marché asiatique « tire » plus que jamais le Cognac. Il progresse deux fois plus vite que le marché global.
Xavier Parlant, le directeur du département ressources humaines et financières du BNIC, a indiqué que le Cognac avait battu un record en septembre 2010, celui de la valorisation. En année mobile au 30 septembre, les ventes ont atteint le chiffre de 1,8 milliard d’euros, une performance, d’autant que ce montant s’entend départ région, sans intégrer la marge des distributeurs. Dans ce contexte, le président de l’interprofession estime « qu’aujourd’hui il vaut mieux être vigneron à Cognac que dans beaucoup d’autres régions viticoles ». Certes mais combien sont-ils les viticulteurs charentais aujourd’hui ? Janine Bretagne a chiffré leur nombre à 5 000 en 2010, contre 12 000 il y a vingt ans. En moyenne les superficies ont été multipliées par 2 et davantage dans certains crus. Une mutation des structures assez fracassante mais d’où les hommes – et leurs retraites – furent peut-être les grands oubliés. « Anticipez » a lancé Bernard Guionnet aux jeunes générations. « Pensez à vous » pourrait-on rajouter.
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