De père en fille(s), le fruit du travail

18 décembre 2019

Puisqu’ « il n’y a richesse, ni force que d’hommes », la connaissance des temps de crise a poussé le domaine familial à se diversifier. Comme nombre d’autres domaines. Celui-ci a continué cette voie-là par la voix du père, Jean-Bernard Millon-Mesnard. Une de ses filles, Delphine, 32 ans, a déjà intégré l’équipe (avec son compagnon) afin de poursuivre l’aventure. Entretien croisé sur cette filiation, les difficultés d’installation des jeunes pousses et la vie sur le territoire.

Comment s’est passée l’installation inter-générative ?

Jean-Bernard Millon-Mesnard : Cela s’est fait, en partie, par des donations de parts sociales.

Delphine Millon-Mesnard : Et ce n’est pas fini ! Cela fait sept ans que je suis proche de l’exploitation, j’y ai travaillé deux ans en tant que salariée.

 

Durant cette transmission, avez-vous eu des relations avec l’interprofession, la SAFER, les banquiers ou comptables ?

Jean-Bernard Millon-Mesnard : Notamment avec les comptables et banquiers, qui nous ont conseillé pour la cession des parts, car ma deuxième fille a un cabinet d’avocats à Angoulême. La transmission se fait, jusqu’à maintenant, en donations. La suite est en cours. Cela a permis que Delphine s’installât, car nous avons fait une donation pour les deux chez le notaire ; mon autre fille fut dédommagée en numéraire, de s’installer en tant qu’avocate.

 

Avez-vous fait des investissements supplémentaires dans le domaine du fait de l’installation d’un successeur familial ?

Delphine Millon-Mesnard : Au moment de l’installation, nous avons créé le marché et toute la vente directe, notamment l’installation des serres multi-chapelles. Puis la distillerie.

 

Cette diversification vient-elle de l’expérience des crises du Cognac ?

Jean-Bernard Millon-Mesnard : Il m’est arrivé d’avoir eut faim.

Delphine Millon-Mesnard : Depuis que je suis sur l’exploitation, je n’ai pas du tout connu cela.

Jean-Bernard Millon-Mesnard : Aujourd’hui, en agriculture, nous sommes capables de rémunérer le capital, le travail et de dégager des marges. Il y a une époque où nous ne pouvions pas rémunérer ni dégager de marge. Nous faisions des chiffres d’affaire de 6 000€ de l’hectare, aujourd’hui 20 000€.

 

Y a-t-il des agrandissements en terme d’hectares ou d’achat de parcelles, de matériel ?

Jean-Bernard Millon-Mesnard : Nous avons fait un chai moderne.

Delphine Millon-Mesnard : Vinification, distillation, tout ce qui est lié au vin. Les investissements pour les vignes se feront davantage dans les années prochaines.

 

Comment se passe cette cohabitation du point de vue des maisons de négoce ?

Delphine Millon-Mesnard : Tout s’est bien passé. Ils nous connaissent bien. Mon compagnon a intégré le domaine il y a deux ans et s’occupe de la distillation, il touche un peu à tout.

 

Quels conseils donneriez-vous à de jeunes agriculteurs qui voudraient s’installer ?

Jean-Bernard Millon-Mesnard : La climatologie et le marché du Cognac, où il faut être très prudent. Nous arrivons à rémunérer toutes les phases : capital, travail et marges d’entreprise. Nous n’avons pas connu cela pendant trente ans.

 

Plusieurs domaines ont arrêté cette diversification que vous poursuivez ; cette continuité vous semble spécifique.

Jean-Bernard Millon-Mesnard : Nous nous sommes posés la question dernièrement car il y avait la restructuration dans le sud. Nous aurions très bien pu rester uniquement en viticole bien qu’en étant un petit plus fragile, l’entreprise l’est moins qu’avant, elle possède davantage de capitaux propres. La question s’est posée collectivement. Nous avions des producteurs avec qui nous travaillons et qui viennent sur notre domaine pour faire vivre le marché, dont au moins la moitié en dépendait. Nous avons des clients, près de 500 tickets de caisse l’hiver, cela représente 2 000 personnes nourris par ce regroupement de producteurs. C’est collectivement que nous avons continué ce travail.

Delphine Millon-Mesnard : Nous avions prospecté ces agriculteurs, par le réseau Bienvenue à la ferme.

Jean-Bernard Millon-Mesnard : Cela a été créé de toute pièce, avec des gens qui avaient la même idéologie.

 

Ces groupements sont à la mode mais toutefois assez lent à se mettre en place.

Jean-Bernard Millon-Mesnard : Tout le monde en parle : les médias, les politiques, les supermarchés, mais qui le fait réellement ? Nous l’avons fait (sourires).

 

Quel sujet actuel occupe vos réflexions ?

Jean-Bernard Millon-Mesnard : Nous ne sommes pas à la recherche d’hectares, notre problématique est davantage humaine. Nous connaissons plusieurs jeunes qui n’ont pas pu récupérer des vignes près de leur propriété parce qu’elles ont été achetées. Ce qui me chagrine est l’impossibilité, dans nos territoires, de l’installation des jeunes. Nous avons des investisseurs, déjà dans le milieu du Cognac, qui sont en train de piller le vignoble du secteur, et, du fait de leur position connaissent les difficultés des entreprises (successoral, familial). Au moment opportun, ils finissent par avoir la mainmise sur ces entreprises. Je pense que c’est très grave que de très grosses sociétés traversent la Grande Champagne pour entrer des raisins. Socialement ce n’est pas bénéfique pour la région, ils font venir des employés de l’autre bout de la planète.Le Cognac en souffre, car il nous est demandé de faire du volume et que ces personnes ne savent pas produire autant. Le négoce n’a pas intérêt à favoriser ces pratiques car ils ne sont pas aptes à réellement produire contrairement à un jeune qui va s’installer, et ensuite, ces sociétés, un jour, seront confrontés à la succession. Qui va les racheter, ces usines à gaz ? Ou des groupes étrangers qui vont tourner le dos à notre négoce actuel, qui voudront valoriser seuls. Nous perdons notre identité et notre savoir-faire. La région de Cognac est un terroir, un produit et des hommes. Le terroir ne les intéresse pas, ils privilégient le business. Je pense que notre région est pillée car ces pratiques. Je ne voudrais pas que nous arrivions au niveau de la région champenoise, où la moitié du vignoble appartient à de grosses structures. Le bouilleur de cru charentais typique de Grande Champagne est en train de perdre son outil de travail, et la région se fait piller. Notre terroir s’effrite. Actuellement, un jeune a de nombreuses difficultés à s’installer car il y a toujours un intermédiaire du Cognac pour piller ses hectares.

 

Comment gérez-vous la main d’œuvre sur votre exploitation ?

Jean-Bernard Millon-Mesnard : Cela va mieux aujourd’hui. Ma génération pense famille, hébergement, stabilité. Nous nous apercevons que les personnes embauchées ne cherchent pas forcément la stabilité.

Delphine Millon-Mesnard : Nous trouvons plus facilement des saisonniers ; notre but est le travail à long terme, c’est plus compliqué.

Jean-Bernard Millon-Mesnard : Nous préférerions avoir des CDI, avec des gens qui connaissent leur travail, autonomes, ainsi nous sommes confrontés à cette carence.

Delphine Millon-Mesnard : Nous avons pris un homme de 37 ans en reconversion, en contrat de qualification, un CQP, avec la maison Martell et la MFR de Triac-Lautrait. Nous aimons l’idée. Ensuite, nous avons deux personnes dédiées au maraîchage.

Jean-Bernard Millon-Mesnard : Nous aimerions qu’ils soient vraiment autonomes, Delphine s’occupant déjà du commerce et de la distillation. Je ne suis pas sûr que les employés de tous les domaines soient prêts à prendre des responsabilités. Nous en sommes en train de bâtir des pôles maraîchage et viticulture où les forces en présence sont autonomes et ont des passerelles entre les deux.

Delphine Millon-Mesnard : Cela permet aussi de faire autre chose, de casser une certaine pénibilité du travail.

Jean-Bernard Millon-Mesnard : Il est bon d’avoir aussi des employés qui n’ont pas fait que de la viticulture. Nous mettons en place une demi-journée par semaine, le mercredi, pour changer les postures de travail.

Delphine Millon-Mesnard : Cela fait partie de nos critères.

Jean-Bernard Millon-Mesnard : Dans le monde du travail en général, le personnel tourne régulièrement et reste prêt à bouger. Nous ne voulons vivre des changements au quotidien.

Le domaine avait une activité de maraîchage dans le sud depuis le début de la décennie 1990, qu’il transmet. « J’ai voulu installer un jeune de 25 ans, cela demande du temps, explique le patriarche. Cela devrait être finalisé d’ici la fin de l’année. Il rachète les parts. Actuellement, il travaille à son compte. Si cela a traîné, c’est que nous voulions que l’activité se pérennise. Il cherchait à s’installer. Il a connu des déboires dans d’autres tentatives d’installation ; pour le moment, cela se passe bien. Nous avons pu répondre à ses objectifs. »

A lire aussi

L’appel à l’aide de l’US Cognac Rugby

L’appel à l’aide de l’US Cognac Rugby

C'est un constat qui a fait le tour des médias, sportifs ou non: l'US Cognac va très mal. Malgré les efforts de Jean-Charles Vicard pour tenter de redresser la barre, le club se retrouve dans une difficile situation financière.  La direction a de fait décidé d'envoyer...

error: Ce contenu est protégé