La conservation des vins sous gaz inerte est une technique qui n’a pas connu un développement important alors que, de par son principe, elle présente sur le plan œnologique un véritable intérêt. De récentes évolutions au niveau des accessoires de la cuverie et de la gamme de gaz permettent aujourd’hui d’envisager les choses autrement. L’intérêt de la conservation sous gaz inerte concerne tous les types de vins de bouche et également les vins de distillation. Les résultats d’un essai réalisé chez un bouilleur de cru en Charente le confirment.
Au cours de l’élevage des vins en cuves, les aérations accidentelles peuvent conduire à une détérioration irréversible du potentiel de qualité. Le vin est un produit qui est naturellement sensible aux phénomènes d’oxydation et aux altérations bactériennes, et c’est pour cette raison qu’il est aujourd’hui impossible de vinifier des vins de bouche sans utiliser de soufre. Cet adjuvant utilisé à des doses raisonnables permet d’apporter un certain niveau de protection vis-à-vis d’éventuelles aérations, mais son efficacité dans le temps est limitée. Au niveau des vins de distillation, l’utilisation du soufre est interdite et la conservation des citernes en vidange pose parfois des problèmes. La conservation sous gaz inerte est de par son principe une technique intéressante, mais elle s’est peu développée au niveau des petites unités de vinification.
La conservation d’une ou deux cuve sous gaz inerte est devenu accessible
Le coût des installations a longtemps était un handicap, mais il existe maintenant des systèmes qui permettent de protéger dans un chai seulement quelques cuves. L’idéal est donc de stocker le vin à l’abri de l’air et c’est techniquement possible grâce à l’utilisation des gaz neutres. La technique d’inertage des vins n’est pas un procédé nouveau, mais le sous-équipement de la cuverie et le coût des installations d’inertage ont pendant longtemps gêné son développement. La fabrication de cuves en fibre de verre ou en inox de plus en plus fonctionnelles sur les plans de l’hygiène, de l’entretien et de la facilité d’adaptation d’accessoires a permis d’aborder les problèmes d’inertage des vins d’une autre manière. Les principaux opérateurs commercialisant des gaz inertes proposent aussi des systèmes à la fois performants et simples pour inerter une ou plusieurs cuves. Des accessoires fonctionnels et d’un coût abordable pour des caves particulières permettent aujourd’hui d’équiper seulement la ou les deux ou trois citernes en vidange. Il n’est plus nécessaire d’investir dans une installation lourde d’inertage pour pouvoir tirer profit de l’intérêt de la conservation sous gaz neutre.
Des gaz et des techniques adaptés à tous les types de vins et de contenants
Les fournisseurs de gaz ont aussi développé leur offre de gaz neutre afin de mieux s’adapter aux caractéristiques des vins blancs, rosés et rouges. Au départ, l’azote a été très utilisé mais ce gaz très performant en matière d’inertage avait aussi l’inconvénient de ne pas empêcher « l’évaporation » du gaz carbonique. Cela posait des problèmes pour la conservation des vins blancs secs et des rosés car, en quelques mois, leur teneur en gaz carbonique dissous diminuait de manière significative et gustativement les vins perdaient de leur fraîcheur. Des travaux réalisés à l’Institut d’œnologie de Bordeaux par Mme Lonvaud Funel ont permis de quantifier précisément les diminutions de gaz carbonique dissous dans les vins en fonction de la température.
Les œnologues sont unanimes pour dire qu’il faut aussi essayer de conserver le maximum de gaz carbonique naturellement dissous dans les vins car les opérations ultérieures de réajustement ne donnent jamais des résultats équivalents. Les fournisseurs proposent des mélanges de gaz neutre avec comme composé principal l’azote et complémentés en gaz carbonique pour optimiser la conservation des vins blancs et rosés. Des niveaux de concentration en gaz carbonique de 20 % sont les plus courants et, avec le recul, ce sont ceux qui ont donné les meilleurs résultats sur des vins blancs et rosés. Les gaz contenant uniquement de l’azote doivent être utilisés de préférence pour l’inertage des vins rouges. L’Air Liquide a aussi proposé une alternative pour optimiser l’inertage des cuves présentant une vidange importante. En effet, l’un des problèmes de l’azote seul ou des mélanges azote/gaz carbonique est que ces gaz ne sont pas assez lourds pour créer un effet de balayage suffisant à la surface des liquides qui chasse l’air ambiant. Un nouveau mélange à base de 80 % d’argon et de 20 % de gaz carbonique (l’Aligal 62) a été mis au point pour permettre un effet de balayage efficace à la surface du vin. Le coût de ce gaz est certes plus élevé mais les besoins volumiques pour inerter un cubage de vidange sont inférieurs de 50 % par rapport à des mélanges traditionnels. Par ailleurs, l’Air Liquide propose un kit d’accessoires d’inertage (le système Purgal se compose d’un module d’obturation, d’une vanne de remplissage et d’une soupape) qui se monte directement sur des trappes Bellot et cela évite de réaliser des aménagements coûteux sur les citernes. Ce type d’équipement permet aussi de pratiquer l’inertage sur plusieurs cuves sans avoir besoin d’installer un réseau de canalisation d’alimentation car, une fois la purge réalisée, il est possible de déplacer la bouteille de gaz vers d’autres citernes.
Un essai de conservation sous gaz inerte de vins de distillation
Le Laboratoire Gensac Oenologie a réalisé il y a quelques année un essai de conservation sous inertage de vins de distillation chez un bouilleur de cru, M. Claude Thorin, à Mainxe. Les deux œnologues, MM. Christian Guérin et son collègue Franck Durieux, avaient monté cet essai en s’appuyant sur l’Air Liquide qui avait assuré l’encadrement technique de cette opération sur ce site. L’objectif était d’une part d’apprécier l’incidence de la conservation sous gaz inerte en cuve pleine et d’autre part de démontrer le rôle positif de l’inertage en cours de distillation au moment où la vidange augmente régulièrement. L’essai a été réalisé sur quatre cuves inox, deux de 350 hl et deux de 500 hl. Les caractéristiques des vins parfaitement comparables à l’issue des fermentations alcooliques ont permis de conduire cet essai dans de bonnes conditions et aucun sulfitage n’a été réalisé. Dès la fin des fermentations alcooliques, les cuves ont été inertées et les fermentations malolactique se sont terminées dans les premiers jours de décembre. Le suivi des acidités volatiles durant la phase de conservation en cuves pleines et ensuite durant la distillation a permis d’observer des choses très intéressantes. La capacité journalière de distillation avec la chaudière de 25 hl permet de vider la citerne de 350 hl en 10 à 11 jours et celle de 500 hl en presque 15 jours. Le contact des vins avec l’air ambiant sans être exceptionnellement long accentue les risques d’une dégradation qualitative des vins et ce viticulteur n’était pas en mesure de les anticiper malgré sa bonne technicité. Les distillations en période climatique assez chaude ou en fin de saison amplifient encore ces risques. M. C. Thorin s’est d’ailleurs intéressé à l’inertage surtout pour maîtriser la vidange des cuves de grandes capacité durant la distillation.
Le rôle protecteur de l’inertage confirmé pendant les phases de conservation et de vidange progressive
Durant les premières semaines de conservation, les acidités volatiles des vins des cuves de 350 hl n’ont que peu évolué même après le déroulement de la fermentation malolactique. Les vins se sont très bien conservés jusqu’à la fin du mois de janvier où la distillation a commencé. L’augmentation de la vidange sur la cuve non inertée a engendré une augmentation de l’acidité volatile qui est tout de même restée à des niveaux satisfaisants.
Le comportement des cuves de 500 hl a été un peu différent, ce qui peut s’expliquer par un état sanitaire un peu moins bon de la vendange au moment de la récolte. Le vin présenté était tout de même de bonne qualité pour être distillé et la dégustation des microdistillations et les résultats des analyses chromatographiques le confirmaient Les deux cuves de 500 hl semblaient donc, dès le début de leur conservation, plus sensibles à l’aération. Les teneurs en acidité volatile ont augmenté régulièrement au fur et à mesure de la conservation, sans pour autant se situer à des teneurs critiques. L’utilisation de l’inertage a parfaitement confirmé son intérêt puisque l’acidité volatile de la cuve inertée n’a pas du tout évolué durant la phase de conservation en cuve et par la suite au cours de la distillation qui a été effectuée à partir du 25 décembre.
Les analyses sur microdistillats et eaux-de-vie plaident aussi en faveur de l’inertage
Des analyses plus poussées ont été réalisées sur des microdistillats au cours de la conservation et sur les différentes productions d’eaux-de-vie nouvelles au cours de la distillation. Les résultats analytiques sur les eaux-de-vie sont en parfaite corrélation avec ceux des vins tout au long de leur stockage en cuve pleine et ensuite durant l’augmentation de la vidange. Les deux graphiques ci-après permettent d’observer une augmentation des teneurs en éthanal acétal et en acétate d’éthyle des cuves témoins (sans atteindre les seuils de perception gustative) alors que les inertés sont restés parfaitement stables.
L’adaptation de la conduite de la distillation peut permettre de gommer un début de dégradation qualitative sans trop amputer la richesse aromatique. Néanmoins, la filière de production Cognac s’inscrit désormais dans une philosphie de recherche de qualité positive et la conduite de la distillation privilégie l’extraction aromatique. L’intérêt de protéger des vins de distillation sous gaz inerte est particulièrement adapté aux cuves en vidange et aux lots de vins fragiles dès le départ. Lors de cet essai, la consommation de gaz inerte n’a pas été négligeable et le coût de cette opération n’a pas laissé insensible M. Claude Thorin.
Bibliographie :
– Laboratoire Gensac Oenologie.
– Société l’Air Liquide.