« La chaîne était au coeur*… »

2 janvier 2023

L’hiver s’installe (enfin) sur le territoire… Avec lui, c’est la vigne qui se prépare désormais à entrer dans un sommeil bien mérité, après avoir, malgré les aléas encore nombreux cette année, donné le meilleur pour une récolte – si ce n’est pléthorique au moins abondante – pour la majorité des exploitations de l’appellation.
Délestée de ses feuilles au terme d’une longue attente, la vigne s’apprête ainsi à recevoir son toilettage hivernal, rythmé par des coups de sécateurs habiles et maîtrisés, tandis que la douce musique et la chaleur des alambics accompagnent la production du doux breuvage charentais, au millésime prometteur, craintes sur le gaz mises à part.
Un long fleuve tranquille, hors du temps, empreint de traditions, de gestes et de savoir-faire pluriséculaires, contrastant avec les enjeux immédiats auxquels la filière est aujourd’hui confrontée. Enjeux géopolitiques, climatiques, environnementaux, économiques : tous s’entremêlent aujourd’hui. Pourtant et si le cognac semble encore tirer son épingle du jeu et maintenir le cap fixé, son voisin immédiat, le Bordelais, tire aujourd’hui la langue, souhaitant arracher entre 10 000 et 15 000 hectares de vignes pour endiguer la crise de surproduction et de baisse des prix traversée depuis plusieurs années maintenant.
Avec 110 000 hectares de vignes dont 85 % de cépages rouges, soit une inadaptation de l’offre à la demande actuelle, les viticulteurs « sont au bord du gouffre ». Pour ces derniers, « arracher est la seule solution ». Des mots brutaux à entendre autant qu’à énoncer, rappelant aux heures sombres et pourtant pas si lointaines vécues sur notre territoire, à une époque où le Bordelais tirait quant à lui son épingle du jeu. Pour Didier Cousiney, viticulteur bordelais porte-parole du Collectif Viti 33, « il y a donc urgence à agir sur les conséquences d’une telle décadence. Pouvons-nous laisser tomber la première puissance économique du département, le premier employeur du département qu’est la viticulture ? La vie de nos communes viticoles ? […] Nous sommes nombreux à émettre ce cri du coeur pour dire que nous sommes en voie de disparition, que notre filière ne souffre pas seule de cette crise mais également ceux qui en dépendent : les entreprises de prestations, les fournisseurs, les agents de commercialisation, les négoces. Par cette lettre, nous ne souhaitons pas être écoutés mais entendus !
Que faudra-t-il pour que nous puissions rapidement mettre en place des solutions à court et moyen termes sans attendre les drames humains ? […] Nous sommes conscients qu’il y aura des choix difficiles à faire, et nous sommes prêts. Cependant, nous ne sommes pas prêts à ne plus pouvoir nourrir nos familles, ne plus pouvoir régler nos dettes, ne plus pouvoir laisser un outil de travail à nos enfants. C’est de cette volonté commune que nous trouverons les justes décisions. »
La manifestation organisée le 6 décembre dernier à Bordeaux pour obtenir une compensation financière à ces arrachages aura mobilisé près d’un millier de viticulteurs et permis d’activer une cellule de crise associant élus, représentants de l’Etat, de la filière et du collectif. Si les viticulteurs espèrent recevoir une indemnisation de 10 000 € par hectare pour compenser ces arrachages, rien n’est encore joué et la mobilisation reste de mise.

« Je ne leur voyais pas de chaînes aux mains et aux pieds, et je me disais : par quel prodige ces milliers d’individus souffrants et dépouillés subissent-ils tout ce qui est ? Je ne voyais pas bien : la chaîne était au coeur, mais une chaîne dont le coeur lui-même ne sentait pas le fardeau ; la pensée était liée, mais d’un lien qu’elle-même ne connaissait pas. »

Extrait de L’Armée nouvelle, de Jean Jaurès, 1911.

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