CER France Poitou-Charentes : Interview de P. Fradet et D. fougère

23 décembre 2011

Impôt et cotisations sociales seront d’autant plus faciles à acquitter qu’il existera de la trésorerie en face. Partant de ce constat, Patrice Fradet et David Fougère, du bureau CER de Cognac, déclinent une panoplie d’outils qui va de l’IS (Impôt sur les sociétés) à la holding, « qu’il convient de démystifier, sans la mettre à toutes les sauces ».

 

 

p33.jpgLa situation viticole est globalement bonne. Comment envisagez-vous votre rôle aujourd’hui ?

Ce qui nous motive vraiment, c’est de mettre en cohérence la trésorerie disponible et les prélèvements sociaux et fiscaux. La fiscalité sera d’autant plus facile à digérer que la trésorerie existera en face. Nous avons davantage à travailler sur ce chapitre-là, ainsi que sur la mise en cohérence des différents objectifs que peut se donner l’entreprise : rémunérer son foncier, rémunérer l’exploitation, rémunérer l’exploitant.

Les besoins évoluent ?

Tout à fait. Avec l’agrandissement des exploitations viticoles, nous voyons des fermages viticoles à 1 000 € de l’ha, des niveaux d’endettements qui peuvent atteindre 2 à 3 000 € de l’ha entre l’achat du foncier, la replantation. Quand les revenus sont perçus et dépensés dans le cadre privé (hors cadre sociétaire, hors Impôt sur les sociétés), une bonne partie du bénéfice agricole est consacrée soit à l’investissement, soit au foncier. Dans ces conditions, la trésorerie n’est pas forcément disponible pour payer la fiscalité et les prélèvements sociaux. La fiscalité se trouve en déphasage avec la capitalisation montante. Un phénomène qui se voit aussi chez nos retraités à l’IR (Impôt sur le revenu). Durant leur activité, ils ont payé des impôts sur des revenus qui n’étaient pas forcément disponibles. A la retraite, alors qu’ils prélèvent sur le compte courant associés, ils ne paient plus d’impôt. En résumé, quand on capitalise, on paie des impôts sur une trésorerie dont on ne dispose pas et quand on décapitalise, on ne paie pas d’impôt sur les revenus que l’on possède. Comment arriver à décaler cette imposition pour la faire concorder avec les besoins de trésorerie ?

La solution ?

Il n’y a pas de solution unique. Toutefois, on peut dire que l’imposition à l’IS (Impôt sur les sociétés) permet de mettre en adéquation la rémunération que se verse effectivement le chef d’exploitation et un besoin d’entreprise satisfait par le résultat. Du coup, les gens vivent mieux leurs prélèvements. Ils paient en fonction du disponible, en sachant que les objectifs de l’entreprise seront assurés.

Le CER n’a pas toujours été en pointe sur le passage à l’IS.

Nous n’avons jamais freiné le passage à l’IS. De longue date, nous avons eu des sociétés à l’IS. Sur des activités comme la pépinière, ce fut même un peu historique. Mais effectivement, sur certains dossiers d’exploitants, peut-être fûmes-nous légèrement en retard. Cela dit, face à des revenus qui n’étaient pas trop élevés, les moyens d’optimisation de la fiscalité aux BA (Bénéfices agricoles) étaient intéressants. Et le restent d’ailleurs (Déduction pour investissements…). A une époque pas si lointaine, les périodes de forts stockages ne correspondaient pas non plus à des périodes de forts revenus. C’étaient même tout le contraire. Les choses sont en train de changer. Fort heureusement, les entreprises se développent, le rapport de nos jeunes à l’entreprise évolue. Parallèlement, nous assistons à un rapprochement de la fiscalité, via la CSG. Par exemple, dans le passé, les revenus prélevés par les associés non exploitants (revenus fonciers) ne subissaient pas de charges sociales. Aujourd’hui, ils sont taxés à la CSG. Tout ceci a fait évoluer nos réflexions, et celle de nos adhérents.

Vous vous êtes convertis à l’IS ?

Le CER ne nourrit pas d’idéologie particulière à l’égard de l’IS. Aujourd’hui, nous ne disons pas que tout le monde doit adhérer à l’IS. Même si le régime se développe, seulement 10 % de nos adhérents y sont soumis. Après étude des dossiers, un tiers des gens renonce à l’option l’IS. Le système d’imposition correspond aussi à une phase de vie. Clairement, ce n’est pas la solution adaptée à chaque cas. Par contre, chez ceux qui y passent en toute connaissance de cause, il y a un sentiment de satisfaction généralisée.

A quoi tient cette satisfaction ?

La première satisfaction tient sans doute à la baisse des prélèvements. A l’IS, les charges sociales MSA ne s’appliquent qu’à la rémunération du travail , c’est-à-dire au salaire du chef d’exploitation ; et non aux revenus professionnels. D’où une économie de coûts. Par contre, le côté irrévocable de l’option à l’IS laisse en suspens une série d’inconnus. Selon la théorie des vases communicants, ne verra-t-on pas un jour les dividendes socialisés ? D’ailleurs, c’est déjà en partie le cas avec la CSG. Non, à notre sens, le vrai bonus de l’IS consiste à clarifier les choses. A l’IR, les gens avaient l’impression de payer pour des revenus qu’ils n’avaient pas. Quand des associés exploitants (frères, sœurs, parents) ne prélevaient rien dans la société, ils étaient quand même fiscalisés sur des revenus qu’ils ne percevaient pas. A l’IS, ils ne paient que s’il y a dividendes et que si ces dividendes sont réellement versés. De surcroît, cela amène à bien identifier les besoins de chacun, à avoir une communication plus facile, plus élargie. On identifie les besoins de l’entreprise et les besoins personnels. On y voit clair. Si le père et le fils n’ont pas les mêmes besoins d’argent eh bien c’est dit ! Cela oblige aussi à être rigoureux sur les questions de prélèvement par l’entreprise.

L’imposition à l’IS est donc l’outil idéal.

Bien sûr que non. L’IS recèle aussi ses limites.

Lesquelles ?

Le problème principal réside dans l’endettement foncier hors bilan, hors société. Si le foncier est inscrit dans le bilan de la société, il n’y a pas de souci. L’ennui, c’est quand l’associé doit prélever une partie de la trésorerie de la société pour rembourser à titre personnel le foncier. Il est alors obligé de se verser des dividendes, des dividendes qui sont fiscalisés. C’est également vrai quand le jeune rentre dans la société et rachète les parts sociales de la société. Sur un certain nombre de dossiers, nous sommes en train de voir comment contourner le problème.

Et alors ?

Le système de la holding permet de refinancer les acquisitions professionnelles hors bilan de l’entreprise. Plus généralement, l’idée de la holding, c’est qu’une société détienne le capital d’exploitation, le foncier, les immeubles, les activités « autres » et qu’elle permette à une activité d’en financer une autre, sans passer par le biais du versement de dividendes. Il va s’agir de faire vivre ensemble des structures qui ont chacune leur rentabilité, leurs déséquilibres, leurs disponibilités, leurs patrimoines. Le système offre la possibilité de faire remonter du résultat dans la holding qui, elle-même, va le réinjecter dans une autre activité. En ce sens, la holding est génératrice de leviers financiers. Elle aide à « gérer pour gagner ». Elle permet aussi de gérer la richesse de plusieurs personnes ayant des objectifs différents. A proprement parler, la holding n’est pas un outil fiscal mais un outil de gestion financière et patrimoniale. Elle doit être créée en cohérence avec les projets, les objectifs des associés. Quand il y a plusieurs enfants, des parents qui sont en train de tracer des trajectoires personnelles, c’est intéressant de structurer des patrimoines différents, de redistribuer du résultat aux bonnes personnes, à la bonne place. Par contre, il faut que tout cela soit fait dans un souci de cohérence. Sinon, on peut aller à la catastrophe.

C’est compliqué à gérer, une holding ?

Il faut démystifier la holding mais pas non plus la mettre à toutes les sauces.

Est-ce coûteux ?

La tenue comptable d’une holding est très limitée. Il n’y a pas d’opération, pas de stock. Par contre, le conseil nécessaire au suivi de fonctionnement s’avère un peu plus conséquent, notamment sur l’aspect prévision de trésorerie.

Vous savez faire ?

De longe date, nous suivons des holdings sur le territoire. La première holding que nous ayons faite sur une exploitation cognaçaise remonte à plus de 20 ans. Donc oui, on sait faire, il n’y a pas de souci (sourire). Dans les mois qui viennent, nous allons développer auprès de nos adhérents davantage d’informations autour de la gestion du foncier. Comme déjà dit, se posent des problèmes financiers mais aussi des problèmes de transmission. Comment organiser le foncier pour pouvoir le transmettre, le vendre ? La holding n’est pas le seul outil. Existent aussi les sociétés immobilières. La holding n’est qu’une solution parmi d’autres.

Peut-on dire que la réflexion autour de ces outils soit nouvelle en Charentes ?

Non, elle n’est pas nouvelle, elle s’est simplement amplifiée. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’à Cognac en ce moment le prix et le volume de foncier détenu augmentent plus vite qu’ailleurs, dans d’autres vignobles. Finalement, la holding ou d’autres dispositifs pourront peut-être aider des groupes familiaux à mieux résister à des intérêts purement capitalistiques. Rémunérer les actionnaires, les associés ! C’est une problématique fondamentale en agriculture. Face à des capitaux importants, les revenus peuvent augmenter sans être forcément disponibles pour les exploitants et les non-exploitants. Avant, quand vous aviez une exploitation de 15 ha, le fils qui reprenait versait une soulte à la famille. Quand l’exploitation représente 70 ha et que tout le foncier est détenu en propriété, c’est une autre affaire. Cela nous oblige à nous ouvrir à de nouvelles structurations. A contrario, il faut faire en sorte que ces montages restent en cohérence avec le réalisme du fonctionnement quotidien. Il ne faut pas que ces sociétés deviennent des « usines à gaz ». L’optimisation fiscale recherchée à haute dose peut amener les gens dans le mur.

Ce risque de dérapage existe-t-il au sein des organismes comptables ?

Peut-être mais je dirais que le risque est limité, en tout cas chez nous, où clients et structure évoluent de concert. Une interaction permanente existe entre nous. Bien sûr, le technicien se doit d’avoir une longueur d’avance mais, c’est clair, nos clients nous font évoluer. Sur des projets, nos clients sont surprenants. Ils nous amènent à avancer avec eux.

Une organisation en territoires
Depuis plusieurs années déjà, le réseau CER France est organisé en grandes régions et en territoires. Au sein de la région Poitou-Charentes, qui compte treize territoires, la zone viticole Cognac couvre trois territoires : le territoire de Jarnac/Cognac dirigé par Patrice Fradet, le territoire de Saintes dirigé par Thierry Pain et le territoire de Jonzac/Barbezieux dirigé par Florence Swistek. En tout, CER France Poitou-Charentes emploie 530 collaborateurs.

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