« Un marché tiré vers le bas »

24 juin 2009

Par la voix de Pierre Guyot, le premier acheteur français de jus de raisin, Foulon-Sopagly, reste sur sa réserve. Pas question de faire « rêver » les Charentais sur le débouché jus de raisin.

 

« Le Paysan Vigneron » – Pour plusieurs raisons, tant réglementaires que conjoncturelles, l’affectation connaît un regain d’actualité en Charentes. Mais, comme le disent les représentants viticoles, pour affecter, faut-il encore connaître les prix de marché. Qu’en est-il du prix du jus de raisin ?

jus_de_raisin_opt.jpegPierre Guyot – Nous n’avons jamais communiqué de prix à l’avance. Et aujourd’hui encore, nous ne le ferons pas. Non par mauvaise volonté ou par manque de transparence. Mais tout simplement parce que le schéma de marché qui gouverne les jus de raisin ne nous le permet pas. Notre construction de prix est étroitement dépendante du niveau européen. Aujourd’hui, je suis dans l’impossibilité de formuler une réponse intelligente. J’en conviens volontiers. L’affectation serait bien plus confortable si tout le monde connaissait « la fin de l’histoire ». Mais ce n’est pas le cas. Moi-même j’ignore la fin de mon histoire à moi, le prix de marché des jus de raisin. En retour, je pose une question : le vigneron charentais connaît-il le prix de vente du Cognac l’an prochain ? Il ne le sait pas mais cela ne l’empêchera pas d’affecter au Cognac. Qu’est-ce qui se joue à travers l’affectation ? Moins un exercice mathématique qu’une manière d’organiser sa propre vision des choses.

« L.P.V. » – Quels échos vous reviennent du vignoble charentais ? (interview réalisée fin avril).

P.G. – Ma société s’est éloignée des Charentes ces deux dernières années. Pour l’instant, je suis la situation d’assez loin. Qui plus est, vous savez que les acheteurs, quels qu’ils soient, se montrent très prudents tant que les gelées et la fleur ne sont pas passées. Nous retrouverons cette problématique en son temps, c’est-à-dire au mois de juin. Malgré tout, je n’ignore pas l’impact que la crise peut potentiellement avoir sur le Cognac.

« L.P.V. » – Selon vous, comment va jouer l’affectation cette année ?

P.G. – C’est vrai que jusqu’à présent, personne en Charentes n’a souffert de l’affectation ni même s’est vraiment posé la question de son application. Cette année sera peut-être la première où l’affectation déboulera dans le champ de vision des viticulteurs. Je le souhaite et, quand je dis cela, je veux dire que je souhaite à la région une grosse récolte. Ceci dit, je pense que les Charentais vont encore trouver le moyen d’affecter leurs volumes après récolte. Ils sont de ceux qui apprennent le code de la route en rentrant de promenade. En 2009, l’affectation va sans doute encore tâtonner.

« L.P.V. » – Quelle vision avez-vous du prix des jus de raisin ?

P.G. – J’ai la vision de prix européens et, aujourd’hui, les prix européens sont très bas. La récolte italienne, très importante en 2008, a débouché sur des prix très très bas. Conséquence : le marché des produits finis a lui-même était tiré vers le bas par nos concurrents italiens, sans qu’il se boive plus de jus de raisin pour autant. Même si le plus gros de la baisse est derrière nous, je pense que nous ne sommes pas au bout de la spirale.

« L.P.V. » – Par prix bas, qu’entendez-vous exactement ?

P.G. – Ce sont des prix plus bas que ceux qui se pratiquent en Charentes habituellement.

« L.P.V. » – Votre entreprise a-t-elle dû s’adapter à ce contexte ?

P.G. – En effet, nous avons dû réduire la voilure. Honnêtement, « nous nous sommes faits mal » même si le fait de ne pas avoir « rêvé » et d’avoir anticipé les problèmes a permis de temporiser un peu la situation. La campagne 2008-2009 aura été une campagne en demi-teinte, qui ne laissera pas un grand souvenir. Aux difficultés analytiques, sont venus s’ajouter les petits volumes.

« L.P.V. » – Vous parliez l’an dernier de vignobles dédiés aux jus de raisins. Où en est le dossier ?

P.G. – En effet, j’avais évoqué des plantations destinées aux jus de raisins. Nous sommes passés de la phase de gestation à celle de la construction stratégique. Aujourd’hui le dossier est dans les mains des coopératives. Je pense que les structures économiques concernées s’exprimeront plus volontiers d’ici quelques mois. Il s’agit d’un programme de longue haleine mais les vignes commencent à sortir de terre, dans le Languedoc, en Beaujolais, dans le Sud-Ouest. Les Charentes étant très accaparées par leur Cognac, nous ne leur en avons pas parlé pour l’instant. On verra comment la situation évolue à Cognac. Je pense notamment aux producteurs bio.

« L.P.V. » – La collecte charentaise vous intéresse toujours ?

P.G. – Entre les Charentes et nous, il n’y a pas de problème de cicatrice mais je dirais que nous sommes dans une spirale dégressive, dont nos concurrents ont la main, car ce sont eux qui détiennent la récolte. Nous, nous avons perdu la main, dans la mesure où nous avons perdu le bassin. A la limite aujourd’hui, je m’adapte à la récolte méditerranéenne.

« L.P.V. » – Quand vous parlez de bassin, vous visez bien le bassin charentais ?

P.G. – Oui, en terme stratégique, le bassin charentais nous donnait la main, en volume comme en prix, en tant que source dominante d’approvisionnement. En l’absence de volume depuis deux ans, nous avons perdu la main. A contrario on peut dire que cette situation a dopé nos concurrents. Sans le vouloir, les Charentais m’ont fait perdre pas mal d’éléments positifs dans ma stratégie. L’idée consiste bien sûr à tenter de reconquérir ces éléments de différenciation mais nous les retrouverons pas tous et surtout pas tout de suite.

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