Explications à la veille du grand soir

13 mars 2009

 

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Patrick Béguin, président du Syndicat des courtiers de Cognac.

Un peu moins d’un an avant la date annoncée du changement, les courtiers de la région délimitée Cognac se sont offerts un cours de rattrapage sur ce qui attend la viticulture à l’horizon 2008. Revue de détail.

 

 

 

 

Une impression de redite allait-elle sourdre de la Journée des Courtiers qui se tenait le 10 septembre dernier à Cognac ? Car les mêmes sujets avaient mobilisé les mêmes intervenants deux mois plus tôt, lors des réunions publiques d’information sur le Schéma d’avenir viticole ? Eh bien non, l’intérêt fut au rendez-vous, preuve que les orateurs savent renouveler leurs discours mais aussi et surtout que le besoin d’information est immense quand de telles mutations profondes sont en jeu. Mais pour construire le présent, il faut savoir intégrer le passé. Ou, pour paraphraser la vieille formule, « savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va ». Janine Bretagne, du BNIC, s’est chargée du flash-back historique. La juriste chargée des affaires viticoles au BNIC a rappelé que le régime actuel de la double fin tirait son origine de l’OCM de 1982. C’est en effet à cette date qu’est apparue pour la première fois la distillation de retrait article 40 pour les régions productrices d’eaux-de-vie (Cognac et Armagnac). Le principe de la distillation article 40 consistait à instaurer un plafond de QNV (quantités normalement vinifiées). A l’intérieur de cette QNV, tous les débouchés se géraient de manière globale. Au-dessus de la QNV, existait la possibilité de tirer un revenu des excédents, jus de raisin, vins de pays tiers, distillation obligatoire… L’OCM vitivinicole de 1987 a maintenu sans problème ce dispositif.

Les choses commencèrent à se gâter en 1999, lors d’une nouvelle révision de l’Organisation commune de marché. Au très grand interventionnisme du début a fait place un esprit nettement plus libéral. Sous l’impulsion des nouveaux pays membres de l’UE, les cordons de la bourse agricole se resserrèrent. Surgit sur ces entrefaites une « sale affaire » pour la France. C’est la fameuse demande d’apurement de 5 millions d’€ déposée par Bruxelles pour cause de trop livrés à la D.O par les Charentes. Car le deal de départ, pour la région délimitée, était de livrer au moins 7,4 millions d’hl vol. au Cognac, le reste pouvant aller à la destruction aidée. Sauf, qu’au détour de la crise, ces volumes ont fondu. Au milieu des années 90, c’est à peine 5 millions d’hl vol. seulement qui partirent au Cognac, les volumes excédentaires piochant d’autant dans la cassette communautaire. Dossier brûlant car les autres pays de l’Union n’acceptèrent pas si facilement de passer l’éponge. Magnanime, Bruxelles accorda pourtant un moratoire à l’amende et même une révision à la baisse de l’obligation de livraison, fixée à 6 millions d’hl vol. mais « en contrepartie d’un changement profond du système ». J. Bretagne n’a pas oublié non plus de rappeler tout ce que la réforme devait aux professionnels du cru. Dans les années 1998 et suivantes, les viticulteurs phosphorèrent sur un nouveau schéma, sous l’impulsion de Jacques Berthomeau, missi dominici du gouvernement de l’époque. L’idée consistait à passer d’une gestion globale à une gestion par type de productions : vignes Cognac, « vignes autres produits viti-vinicoles », vignes Pineau des Charentes, vignes Vins de pays charentais, tout en conservant la nature double fin du cépage. Développer le revenu des viticulteurs et développer le chiffre d’affaires régional étaient les objectifs poursuivis, en sachant que la problématique du moment (début des années 2000) n’a rien à voir avec celle d’aujourd’hui. Antony Zonta, missionné sur le sujet, valida le projet au plan juridique et les politiques le confirmèrent à plusieurs reprises (décembre 2003, octobre 2006). L’organisation régionale étant totalement dépendante des règles de l’OCM vitivinicole, il faudra attendre le prochain changement d’OCM pour que le changement de régime s’applique. « Le 4 juillet dernier, avec le pré-projet présenté par Mariann Fischer-Boël, qui prévoit la disparition de toutes les distillations, nous avons eu la confirmation du caractère inéluctable du changement » a relevé J. Bretagne. « Nous sommes bien dans le droit fil de la démarche du Schéma d’avenir. Si certains en doutaient encore – en évoquant par exemple la possibilité de conserver une distillation non aidée – ces doutes doivent être dissipés. »

« UTILE À LA RÉGION »

Pour Florent Morillon, chargé de mission, non seulement le projet s’inscrit dans la mouvance des évolutions communautaires mais encore il sera utile à la région. « Pour l’instant, le Cognac marche très bien mais les deux autres filières en soufrent, par l’effet d’une sorte de siphonnage. La partie vins notamment fonctionne comme une filière d’excédents, qui apparaît et disparaît selon la fortune du Cognac. La philosophie du Schéma d’avenir consiste à pérenniser les débouchés jus de raisins, vins de table, vins de base mousseux, pour lesquels un marché existe. Essayons d’alimenter au moins a minima cette 3e filière, pour le jour où le Cognac marcherait moins bien. » Mais qui dit mixité du vignoble dit affectation parcellaire « car on ne conduit pas un vignoble pour le Cognac ou le Pineau comme un vignoble pour les vins de base ou les jus de raisin ». F. Morillon a voulu une nouvelle fois « tordre le cou aux rumeurs qui circulent dans les campagnes ». « Le choix, a-t-il dit, n’engage que sur une année. » A quel moment les viticulteurs devront-ils affecter ? Les deux premières campagnes voire la troisième, l’affectation est prévue de se faire le 1er juillet pour la récolte en cours. En période de croisière, l’affectation s’effectuera l’année N – 1 pour la récolte de l’année suivante. Objectif : que la région connaisse, un an à l’avance, quelles sont les superficies globalement affectées à chacune des filières, afin que les opérateurs anticipent leurs volumes, nouent des relations commerciales avec leurs acheteurs, des relations contractuelles avec les viticulteurs. Réaction dubitative de quelques courtiers dans la salle : « Tu crois que les négociants te diront leurs intentions un an à l’avance ! » Le chargé de mission a évoqué une obligation déclarative « la plus simple possible, en adéquation avec la déclaration de récolte ». Comme déjà dit au cours de précédentes réunions, le document d’affectation parcellaire devrait se matérialiser par deux volets, un volet restant sur l’exploitation, où figurerait l’affectation de chaque parcelle, et un document synthétique envoyé à la Fédération d’Interprofessions de bassin (FIB), encore à créer. Tout ceci assorti de modulations, pour tenir compte des cas particuliers. Ainsi, par exemple, en cas de reprise d’exploitation, la déclaration d’affectation ne lierait pas le nouvel exploitant, non tenu de se conformer aux choix économiques de son prédécesseur. De même, l’affectation parcellaire pourrait être révisable sous le coup d’une calamité agricole, grêle ou autre. « L’affectation parcellaire étant conçue comme un outil de gestion, il faut que cet outil soit le plus souple possible, dans une certaine limite cependant : que le système reste viable. » Florent Morillon a ainsi précisé que le respect de la déclaration d’affectation – inscrite dans le cahier des charges – représenterait une condition nécessaire pour pouvoir revendiquer l’appellation. Et donc qu’un viticulteur qui s’exonérerait de l’affectation parcellaire ne pourrait pas revendiquer l’appellation Cognac ou l’appellation Pineau des Charentes. A quand la mise en route de la réforme ?

« LA RÉGION SE PRÉPARE POUR 2008 »

Le chargé de mission a une nouvelle fois confirmé que la date prévue était le 1er août 2008. « Nous ne sommes pas maîtres du calendrier. La négociation à 27 de la future OCM peut traîner en longueur. Mais, en tout cas, la région travaille dans ce sens. » Il a dit un mot des aides liées au changement de régime. A côté des aides à l’information, un autre volet concerne les aides aux investissements destinées à développer la filière « Autres produits viti-vincoles ». Sont visés les équipements de vinification et de conservation (achat de cuveries, équipement de froid…) aussi bien pour les viticulteurs que pour les entreprises d’aval. Ces aides directes sont prévues de jouer à hauteur de 30 % du montant hors taxes des investissements, avec des minima de 5 000 € pour les entreprises d’amont et de
50 000 € pour les entreprises d’aval. Condition souhaitée : que les demandeurs s’inscrivent dans une démarche de contractualisation à l’intérieur de la filière vin.

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« Tu crois que les négociants te diront leurs intentions un an à l’avance ! »

Les réunions d’information du printemps dernier ont permis de mettre en exergue quelques points clés, questionnements dont Janine Bretagne s’est faite l’écho devant les courtiers. Le premier de ces points concerne bien sûr le « rien au-dessus des ha Cognac ». La juriste du BNIC a souligné en préambule que c’était « l’apanage des AOC qu’un ha se suffise à lui-même ». Mais au-delà de cette position doctrinale, quelle contradiction y aurait-il à ce que des jus de raisin soient produits au-delà du rendement Cognac ? A la différence du brandy, les jus de raisin ne viennent pas concurrencer le Cognac. Réponse de J. Bretagne : « Il faut savoir qu’à ce niveau-là, on se heurte à une règle communautaire qui veut qu’il n’existe pas de discrimination entre les produits destinés à la consommation humaine. Dans ces conditions, pourquoi ouvrir la porte aux jus de raisin et la fermer aux brandies ? Par contre la production de brandy pourra se faire sans difficulté sur le vignoble “autres destinations”. » Au cœur des discussions figure également en bonne place l’affectation parcellaire. En régime de croisière, comment affecter l’année N – 1 sans connaître la principale règle du jeu, le rendement ? Cette question a notamment été soulevée par le SVBC. J. Bretagne a indiqué que le président du SGV et d’autres professionnels y avaient répondu en évoquant la mise en place d’un mécanisme d’encadrement du rendement Cognac à 0,5 hl AP près, en plus ou en moins, d’une année sur l’autre. Mais le changement ne s’arrête pas là. Aujourd’hui, le calcul de la QNV s’établit sur les vignes plantées (pour la récolte 2007, vignes plantées en mars-avril voire juin 2007). Demain, virement de cap ! Le rendement se calculera sur les vignes en troisième feuille. Certes, le régime de plantation anticipée va permettre d’atténuer les effets de la mesure (possibilité, sous certaines conditions, d’attendre l’arrivée en production d’une vigne en 3e feuille pour arracher la surface équivalente). Mais quid des nouvelles plantations ou des vignes surgreffées en 2006-2007, en 2007-2008 ? Faudra-t-il attendre la 3e feuille pour qu’elles rentrent en production ? Il va être demandé qu’à l’ouverture du nouveau régime, le rendement se calcule sur toutes les vignes de l’exploitation, quel que soit leur âge, « pour ne pas laisser de surfaces à la traîne ». Par contre, dans un régime d’appellation, l’amalgame entre les crus est banni et cela dès l’ouverture du nouveau système. Sur une exploitation à cheval sur plusieurs crus, « plus question de produire plus de Petite Champagne que de Fins Bois, de Fins Bois que de Petite Champagne »

« libérer les rendements »

Présent à la Journée des Courtiers, le président du CIMVC (Comité interprofessionnel des moûts et vins du bassin viticole des Charentes), Hervé Pogliani a plaidé pour une libéralisation des rendements. « Nous ne demandons pas plus mais pas moins que nos confrères italiens ou espagnols. La concurrence est saine à condition qu’elle ne soit pas déloyale. Dans un marché européen toujours tributaire de cette même concurrence, une des premières solutions pour pérenniser nos débouchés consiste à jouer sur les volumes. » Il a fait appel à la mémoire des participants, pour relativiser tout sentiment de situation acquise, dans un sens comme dans un autre. « Souvenez-vous qu’en 2003, à l’heure où s’échafaudait le Schéma d’avenir, le Cognac absorbait la production de seulement 55 000 ha et 3 000 ha devaient disparaître. Et pourtant 2003, ce n’est pas il y a cinquante ans ! »

Au titre du Syndicat des vins vinés et des distillateurs agréés, Jean-Paul Latreuille n’a pas tergiversé. « Pour nous, les choses sont claires. Il ne doit pas y avoir de brandy au-dessus des ha Cognac. Mon syndicat et moi-même sommes défenseurs d’une certaine éthique, d’une clarté de la réglementation et d’une clarté des pratiques. Par contre, à partir du moment où le régime général vin de table l’autorise, rien ne saurait interdire la production de brandy ou de vins vinés sur le vignoble “autres produits vitivinicoles” charentais. Nous considérerions comme une déclaration de guerre qu’il en aille autrement, susceptible d’un recours contre la liberté d’approvisionnement. Tous les ans, il s’exporte environ 300 000 hl AP de brandy distillé en France. Il semblerait catastrophique que le brandy dit “français” dépende exclusivement d’un approvisionnement espagnol. » J.-P. Latreuille est revenu sur le Schéma d’avenir. « La réflexion a mis pratiquement dix ans à aboutir. Il faut savoir être patient dans cette région ! Le cadre réglementaire semble enfin acquis. Maintenant, il va falloir passer à la réalité économique. Et là c’est une autre histoire. »

 

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