Cognac, Pineau… Les deux appellations, même asymétriques, ont toujours entretenu un dialogue fécond. Aujourd’hui, avec l’ouverture de nouveaux droits de plantation pour le Pineau, le vin de liqueur joue un peu les défricheurs. Quel regard porte Jean-Marie Baillif sur la vie syndicale et professionnelle de la région – sur l’UGVC et au-delà – lui qui a annoncé depuis un an qu’il ne briguerait pas un nouveau mandat de président ?
Avec son Plan de sauvegarde du potentiel de production, qui devrait se traduire par environ 500 ha nouveaux, le Pineau a en quelque sorte brisé un tabou, fait tomber des barrières. En êtes-vous conscient ?
Tout à fait. Quand, il y a un an, nous avons soulevé la question des droits de plantation Pineau, quelqu’un m’a dit – « Tu sais que tu vas ouvrir la boîte de Pandore ! » Aujourd’hui, dans la région, le sujet des droits de plantation Cognac est sur la table et, pour ma part, je considère que c’est une bonne chose. Je dirai mieux : plus vite nous en débattrons, mieux ce sera. Je sais que de très grosses craintes existent mais la crainte n’a jamais été forcément la meilleure conseillère. Nous savons tous que le Pineau et plus encore le Cognac sont des produits à cycle lent. Nous sommes toujours sur un fil. Produisons-nous trop, pas assez ? Pour autant, est-ce une raison pour rester figé et ne rien faire ? Selon moi, l’expression phare tient en trois mots : « éviter de suréagir ». Le négoce a besoin qu’on lui apporte des hectares. Si nous ne produisons pas, nous ne pourrons jamais satisfaire les marchés de demain. Maintenant, il est très important de le faire de façon mesurée, de façon étalée. Sur combien d’ha ? Ce n’est pas à moi de répondre à cette question même si j’ai ma petite idée. Des études sont en cours. Exploitons au mieux les renseignements qu’elles nous fournissent, en attendant de mener l’échange et la réflexion avec les viticulteurs. Dépoussiérons le débat, faisons-nous confiance. Les erreurs du passé – planter des surfaces importantes en peu de temps – ne se reproduiront pas. A mon sens, l’erreur serait au contraire de se dire : « Nous restons comme nous sommes et point barre ! ». Ce serait une erreur par rapport à la demande du négoce, une erreur par rapport au développement futur de nos marchés. Je parle bien de « nos marchés » car le Pineau, avec la production de 20 000 hl AP de Cognac utilisé pour le mutage des moûts, représente, quelque part, un gros producteur de Cognac. Le président du syndicat des producteurs que je suis le dit sans aucune vantardise (sourire).
Pour sa première année de mise en œuvre, comment a fonctionné votre Plan de sauvegarde pluriannuel de la production Pineau ?
Le bilan de la première année s’avère positif, voire très positif. Nous avions demandé à l’INAO 100 ha + 10 ha pour les J.A. Nous nous apprêtons à planter ces 110 ha en 2014. La deuxième phase du Plan va être prochainement présentée aux instances nationales par le CRINAO, en sachant que le Plan court sur une période de quatre ans (voir encadré NDLR). A travers cette initiative, la filière exprime sa volonté de construire une appellation forte. Viticulture et négoce y ont mis toute leur énergie. Aujourd’hui, de très beaux espoirs apparaissent et même plus que des espoirs. Au niveau des ventes, cela se passe plutôt bien. Clairement, la filière a besoin de Pineau des Charentes. Des projets passionnants émergent, tant du côté du négoce que de la viticulture et parfois ensemble. Nous assistons à un renouvellement dynamique de l’appellation. S’affirme une tendance à la montée en gamme des produits. Les entreprises cherchent à exporter, sur fond de développement des marques. A notre niveau – qui reste très modeste par rapport au Cognac – nous ressentons le même besoin de sécuriser notre production pour défricher les marchés de demain. Je cons-tate avec satisfaction que nos producteurs nous suivent, s’engagent dans l’appellation en augmentant leur production.
Le Syndicat des producteurs de Pineau et l’UGVC entretiennent quel type de relations ?
Les relations sont bonnes. Nous menons des actions communes. La dernière en date, conduite avec l’UGVC et les Vignerons indépendants, concerne les capsules-congés. Nous avons également rencontré ensemble Catherine Quéré, député de Charente-Maritime, sur les aspects de droits d’accises et de transmission. En marge de ces actions, des échanges réguliers existent entre nous.
Je regrette pourtant une chose. Jusqu’à une période récente, le président du Syndicat du Pineau était systématiquement invité aux conseils d’administration de l’UGVC. Ce n’est plus le cas. J’ai émis le vœu de relancer cette pratique. A priori, certains ne le souhaitent pas.
La réciprocité existait-elle côté Pineau ?
Si, au départ, l’initiative relevait du Syndicat du Cognac, nous convions bien entendu le président de l’UGVC à participer à chacun de nos conseils d’administration. Personnellement, je suis très attaché à ces échanges entre syndicats viticoles. Je trouve indispensable de créer des passerelles, d’établir des liens entre les personnes, les orga-nismes. Cette interruption des « bonnes pratiques » me semble d’une grande… absurdité, excusez-moi l’expression.
Nourrissez-vous de la rancœur vis-à-vis de l’UGVC ?
Non, pas du tout. Je suis toujours membre du Syndicat du Cognac. Il me semble important d’adhérer à l’UGVC. Un syndicat viticole unitaire est indispensable.
Dans la région, outre les syndicats,
existent-ils d’autres lieux de « médiation professionnelle » ?
Fort heureusement, nous disposons de la Fédération des interprofessions, qui représente une réelle opportunité pour discuter des sujets régionaux importants. Aujourd’hui, il est du devoir des responsables des différentes appellations – Cognac, Pineau, Vins – de travailler en bonne intelligence.
Lorsque vous avez voulu faire passer votre demande de droits nouveaux, les autres régions vous ont entendu. Cognac a un peu plus de mal semble-t-il.
Les choses ne sont pas comparables. Le Cognac leur fait un peu peur. Pas le Pineau, peut-être parce que nous sommes tout petits. Les autres régions viticoles font un procès au Cognac, procès que j’estime injustifié. Quand la région de Cognac a connu des déboires, c’est vrai qu’elle a déversé des hectolitres ailleurs que dans ses circuits classiques. Mais que firent les autres régions viticoles en période de désordre économique ? Elles aussi déversèrent des volumes de vins AOC sur le créneau des vins sans IG. Nous devons apporter des garanties aux autres régions viticoles pour apaiser leurs craintes. Par ailleurs, il convient de relativiser les enjeux.
Comment se passe la vie du Syndicat des producteurs de Pineau ?
Vous savez que le Syndicat des producteurs est reconnu ODG (organisme de défense et de gestion de l’appellation). A l’occasion de cette réforme, nous avons été amenés à mettre en place un conseil de suivi interne, géré de façon autonome par l’un des vice-présidents du syndicat, Philippe Guérin. Les professionnels, administrateurs et non administrateurs, vont sur le terrain. Cela fonctionne super bien. Nous avons eu envie de nous inspirer de cette expérience très positive pour proposer à la prochaine assemblée générale la création de trois groupes, gérés par trois vice-présidents. L’un se consacrerait sans changement au suivi interne, l’autre aux conditions de production et le dernier à la technique et à l’innovation. Eux aussi compteraient en leur sein administrateurs et non administrateurs. C’est une bonne façon, me semble-t-il, de redynamiser la vie syndicale que je trouve, à mon goût, un peu trop centré sur la personne du président. Il faut permettre au plus grand nombre de s’impliquer, en renforçant l’affectio societatis. C’est vrai, au Pineau, la vie syndicale marche bien, peut-être parce que les gens sont un peu moins stressés qu’ailleurs.
Lors de l’AG 2013, vous avez annoncé votre intention de ne pas solliciter un nouveau mandat de président.
En effet, voilà sept ans que j’assure les fonctions de président. C’est suffisant. Il est important de passer le relais. La suite se prépare. Nous nous y employons.
Plan pluriannuel Pineau – l’An II
Pour la deuxième année d’exécution de son plan de sauvegarde pluriannuel de la production, le Syndicat du Pineau s’apprête à demander 120 ha de droits nouveaux.
L’attribution de droits nouveaux porta l’an dernier sur 110 ha (100 + 10 aux J.A). Cette année, le Syndicat a manifesté l’intention de faire progresser sa demande de 10 ha, soit 110 ha + 10 ha pour les J.A (Jeunes Agriculteurs). Pourquoi cette progression ? Tout d’abord pour une raison purement mathématique.
Pour l’octroi des droits gratuits, le principal critère de priorité posé par le syndicat tient à l’évolution de l’affectation Pineau d’au moins 40 % l’année N + 1. Mais comme la base augmente, le besoin de surface croît parallèlement. En 2014, cela se traduit par un besoin supplémentaire de 7 ha.
Est-ce pour faire un compte rond que le syndicat demande 110 ha ? Pas vraiment. Jean-Marie Baillif justifie la requête du Pineau par le souhait de « récupérer » des producteurs traditionnels que le principal critère national de recevabilité avait mis hors course.
Que dit ce critère ? Qu’il faut avoir revendiqué 90 % des surfaces affectées au Pineau au cours des trois dernières récoltes pour pouvoir profiter de droits nouveaux. Or, certains producteurs, pourtant engagés de longue date dans la filière, n’avaient pu, pour des raisons x ou y, satisfaire à ce critère. Ils n’étaient qu’à 80 ou 85 % d’affectation.
La réglementation nationale autorise une dérogation jusqu’à 60 % mais le syndicat a demandé 70 %. Ce point est actuellement en discussion avec l’INAO.
Par contre, le syndicat ne varie pas sur le critère de priorité des 40 % d’affectation en plus. « C’est l’esprit du plan de sauvegarde qui est en jeu » commente le président du Syndicat. « Avec le critère de recevabilité de 90 % nous sommes dans le passé mais avec le critère de 40 % d’affectation supplémentaire, nous regardons l’avenir. »
L’affectation 2014 des surfaces moûts Pineau a progressé de 49 ha.
Pineau des Charentes Christian Paly, invité d’honneur de l’assemblée générale du syndicat
L’assemblée générale du Syndicat des producteurs de Pineau des Charentes aura lieu le 30 avril prochain, certainement à Cognac (lieu encore à finali-ser). Par contre, une chose est sûre : la réunion se tiendra en présence de Christian Paly, président du Comité national vins et eaux-de-vie de l’INAO. Il a donné son accord. La venue en Charentes d’un représen-
tant viticole national de cette envergure est assez rare pour être soulignée. On se souvient qu’il y a 7 ans, en mai 2007, le Champenois Yves Bénard, alors nouveau président du Comité national de l’INAO (et 1er issu des rangs du négoce), avait fait le déplacement à Cognac, à l’invitation du SGV. A l’époque, l’affectation parcellaire avait constitué le thème central du débat.
Pour sa prochaine assemblée générale, le Syndicat du Pineau annonce une partie statutaire resserrée au maximum, afin de laisser une large place à la table ronde. Christian Paly sera sollicité sur un sujet de fond : la notion d’appellation est-elle, oui ou non, compatible avec l’innovation ?