Jean-Bernard de Larquier : « Nous pouvons être fiers de notre outil interprofessionnel »

8 novembre 2017

Passionné, travailleur, sérieux, assidu… Les qualificatifs ne manquent pas pour cet homme qui a occupé pendant 3 ans la fonction de numéro 1 de l’appellation Cognac. Jean-Bernard de LARQUIER est un syndicaliste de la première heure, qui a su gravir un à un échelons, acquérir les compétences et la reconnaissance de ses pères avant de devenir tout naturellement le deuxième président viticulteur de l’histoire de l’interprofession du Cognac. Une mission qu’il a, une fois de plus assumé avec tout l’engagement qu’on lui connait. Ce mandat à haute responsabilité sera le dernier de sa carrière professionnelle. Les nombreuses responsabiliés qui lui restent au niveau national (CNAOC et CNIVE) et régional (SICA Cognac Grand Marnier, UGVC, Syndicat et Comité du Pineau…), seront progressivement transmises à ses sucesseurs. « Je n’ai pas vocation à m’accorcher aux responsabilités, quand le temps est venu, il faut savoir passer le témoin » avait-t-il annoncé de longue date.

 

Le 14 novembre prochain, vous quitterez la fonction de président de l’interprofession du Cognac que vous occupez depuis près de 3 ans. Quel est votre sentiment ?

 

À la fois un soulagement et une grande satisfaction. Un soulagement parce que ce sont 3 années intenses qui nécessitent un investissement complet en plus de l’activité de vigneron. Je pense que je vais maintenant apprécier de renouer avec des journées plus « raisonnables » (rires) Une grande satisfaction pour la richesse des dossiers qui ont été menés à leur terme au cours de mon mandat avec les professionnels élus et les équipes du BNIC. Je reconnais que j’ai profité d’une conjoncture économique plus que favorable qui nous a permis de travailler dans un climat de sérénité. Mais j’ai conscience que l’aisance n’est jamais bonne conseillère ! Chacune de nos décisions a été prise en conscience de l’histoire, de nos réussites et de nos erreurs passées.

 

La clarification du processus décisionnel a été l’une des mesures phares de votre mandat. En quoi cela consiste-t-il ?

 

Les professionnels passaient beaucoup de temps en réunion et les travaux étaient trop concentrés sur le seul Comité Permanent. Parfois, ce dernier pouvait refaire le débat des commissions et prendre une décision contraire à la recommandation. Le Comité permanent doit rester dans son rôle de supervision ; il fixe les orientations et valide les travaux des groupes. À ne pas responsabiliser ces commissions, nous découragions leurs membres avec des conséquences sur leur participation. Dorénavant, elles jouent pleinement le rôle de force de proposition et remettent leur travail dans les 15 jours qui précèdent chaque comité permanent pour approbation. Au risque de m’être parfois fait traiter de dictateur, j’ai toujours renvoyé aux commissions la responsabilité d’approfondir ou de retravailler un dossier qui n’était pas suffisamment abouti. Cette discipline permet que le temps consacré par les professionnels pour leur interprofession soit mieux réparti sur les nombreuses compétences que compte notre filière. Je tiens beaucoup à ce principe car c’est un facteur d’intégration et de formation pour les hommes et les femmes qui seront amenés à diriger le Cognac pour demain.

 

Et concernant la courroie de transmission avec les équipes administratives ?

 

La feuille de route des services du BNIC doit être claire pour que la volonté des professionnels soit appliquée jusqu’au bout. Le travail en commission associe les équipes et les directeurs des secteurs pour que la lettre et l’esprit soient bien en phase. L’important est que chacun soit responsabilisé à son niveau. Nous avons aussi beaucoup travaillé sur la segmentation de nos objectifs pour chaque chantier afin de ne pas nous disperser. La restructuration de chaque département concerne aussi l’aspect budgétaire. Les services préparent chaque année un projet de budget qui est affiné par la commission correspondante. La commission budget coordonne l’ensemble des projets à l’échelle de l’interprofession et rend des arbitrages si nécessaire.

En cours d’année, des ajustements sont faits de façon régulière selon les priorités du moment. Nous avons voulu un système dynamique qui soit en phase avec la réalité des entreprises.

 

Quel est le rôle des syndicats aux côtés de l’interprofession ?

 

Lorsque les syndicats ne sont pas structurés, les professionnels sont ultra-sollicités pour des questions parfois de second niveau. En tant qu’élus, nous sommes au service de la profession mais nous n’avons pour autant pas le droit de sacrifier nos entreprises. L’engagement syndical d’un élu de premier plan coûte environ 10 000 €an à son entreprise. Je suis donc très attaché à ce que chaque profession soit structurée au sein d’un syndicat pour que de directeur de l’interprofession ait un interlocuteur autre que les professionnels lorsqu’ils sont sur leurs entreprises. D’autre part, pour des raisons d’efficience, il est primordial que certains débats aient lieu dans les familles, en amont de ceux de l’interprofession. Coté viticulture, l’UGVC est aujourd’hui parfaitement structurée dans son organisation et la viticulture parle d’une seule voix. Par contre, Le SMC n’est pas suffisamment bien organisé à ce jour ce qui s’est fait ressentir dans la cohérence des dernières positions du négoce. J’ai donc demandé au président du SMC de travailler cette question, un audit est en cours, qui débouchera, je l’espère, sur une organisation plus adaptée à nos ambitions.

 

L’organisation régionale est une chose mais qu’en est-il de la place du Cognac dans les instances viticoles nationales ?

Aussi puissant que puisse être le Cognac, il est illusoire d’imaginer que nous pourrons défendre nos intérêts sans concertation avec les autres vignobles de France. J’ai toujours pensé que nous avions commis une erreur en nous désengageant de nos instances représentatives nationales. L’histoire nous a même parfois démontré que la politique de la chaise vide nous desservait. Les représentants élus et les directeurs de la région se doivent de siéger au CNIVE (Comité national des interprofessions des vins et eaux-de-vie d’appellation d’origine) et à la CNAOC (Confédération Nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie de vin à Appellations d’Origine Contrôlées) au risque de ne pas défendre comme il se doit nos intérêts. Aujourd’hui notre région a repris la place qui est la sienne. Et la viticulture française y voit aussi son intérêt car le succès du Cognac est un bel atout dans les arguments économiques que nous mettons en avant.

 

Concrètement, qu’est-ce que cela a changé ?

 

Cela nous a ouvert des portes, par exemple, sur le sujet épineux des vautours, la question n’aurait probablement pas abouti sans l’aide de la CNAOC. Notre présence autour de la table a permis de faire prendre conscience aux régions viticoles qu’il est important de ne pas opposer les intérêts des vins par rapport à ceux des alcools. Comme pour bien des sujets, nous allons plus loin lorsque nous sommes unis.

 

Le Business plan est devenu un objet central dans l’interprofession. Pouvez-vous nous rappeler son but ?

 

Le business plan vise à positionner le plus précisément possible les deux curseurs qui influent sur notre potentiel de production à savoir le rendement annuel et les nouvelles autorisations de plantation. Il comprend trois chapitres :

Un tableau de bord général avec une analyse macroéconomique des marchés et du contexte concurrentiel.

Des indicateurs qui nous permettent de connaître les tendances de l’évolution de la production et des stocks (coûts de production, proportion des CV10 dans le stock, part des achats de CV00 à 2 sur les achats totaux).

Les alerteurs qui nous obligent à prendre des décisions lorsque nous constatons des dérives (réalisations des ventes par rapport aux prévisions, écart entre prévisionnel de production et réalité, taux de couverture de CV0 à CV5 et de CV0 à CV10).

 

Et cela fonctionne ?


Globalement bien. Les 3 business plans développés à ce jour ont montré qu’ils étaient réactifs. Le premier avait dit qu’il fallait planter mais nous étions sous l’ancien régime des droits de plantation, le second a montré qu’il n’y avait pas urgence au vu des sorties, le troisième confirme à nouveau cette nécessité d’extension du vignoble au vu de la bonne forme des sorties.

Mais les limites que nous avions fixées pour les alerteurs étaient probablement trop lâches pour pouvoir réagir dans le contexte de croissance que nous connaissons. Nous constatons que tous les spiritueux blancs et bruns concurrents du Cognac (entre 35 et 90 $) progressent de 13 à 20 % par an depuis plusieurs années. Le Cognac qui n’a pas les volumes pour assumer ce niveau de croissance perd donc inévitablement en part de marché. Nous représentons aujourd’hui 1,4 % du marché mondial. Le plus gros risque serait de ne pas planter ! Nous devons assurer une progression lente mais soutenue pour conserver une bonne visibilité à l’échelle de la planète.

 

Qu’entendez-vous exactement par « Lente mais soutenue » ?


Pour 2018, le business plan nous a amené sur une progression du potentiel de 1 040 ha pour le Cognac soit environ 30 à 40 ares pour chaque exploitant. C’est un pourcentage acceptable que nous sommes à même de corriger annuellement avec le rendement si nous rencontrons un ralentissement temporaire du marché comme en 2015. Une progression soutenue de 2 à 3 % est également en cohérence avec la capacité de plantation des viticulteurs et de production de plants pour les pépiniéristes.

 

N’y a-t-il pas un risque en cas de retournement du marché ?


Bien sûr que si mais il n’y a jamais de succès sans prise de risque ! L’inconvénient est que le risque d’une surproduction chronique impacte surtout sur la famille viticole. La viticulture a des inquiétudes légitimes sur ce point et le négoce doit les entendre. Je recommande à la prochaine mandature de prévoir noir sur blanc ce qui sera mis en place en cas de scénario catastrophe. C’est le bon moment de mener une réflexion de fond sur ce point. Nous avons conscience que la viticulture n’a plus les moyens de supporter des niveaux de rendement trop faibles. Le rôle des élus est de prévoir dès aujourd’hui comment réduire les superficies en cas de crise durable. Nous pourrions, par exemple étudier la piste d’une clause suspensive sur les nouvelles autorisations. Je le redis, pour que les négociants obtiennent les progressions de vignoble qu’ils ambitionnent, ils devront apporter des réponses aux inquiétudes des viticulteurs.

 

Pourtant, le développement de la contractualisation pluriannuelle sécurise les viticulteurs.


Oui et c’est une bonne chose. D’ailleurs je me félicite qu’une bonne part des superficies découlant des nouvelles autorisations de plantation aient été contractualisées par le négoce. Mais ne soyons pas dupes, les viticulteurs connaissent bien les limites des contrats charentais. L’histoire nous a démontré qu’il s’agissait parfois de contrats léonins. Sur ce point aussi le négoce doit apporter des garanties et je pense que la filière est maintenant suffisamment mature pour la naissance d’un contrat-cadre interprofessionnel qui apportera plus de garanties.

 

En quoi un contrat interprofessionnel serait il plus sécurisant qu’un autre.

 

Je constate que le contrat-cadre interprofessionnel est applicable dans beaucoup de régions viticoles. Bien qu’il ne soit pas obligatoire, son existence uniformise les pratiques régionales et tout le monde fini par s’aligner aux clauses minimums qu’il impose. Son enregistrement à l’interprofession limite les abus et les contentieux. D’ailleurs, il est d’autant plus d’actualité depuis que la fonction commerciale du DCA a disparu avec l’arrivée du DAE. Enfin, l’enregistrement d’un contrat permettra d’une part d’avoir une vision plus claire des stocks libres et engagés vis-à-vis des négociants et d’autre part d’enregistrer tous les prix pour intervenir en cas de dérive.

 

Une intervention de l’interprofession sur les prix n’est-elle pas contraire aux principes communautaires ?

 

Les choses évoluent. L’Europe semble avoir enfin compris qu’il était dans l’intérêt de l’économie des bassins de production de réguler a minima les prix d’une AOC. Dans l’avenir, les interprofessions devraient pouvoir disposer d’outils pour gérer la valeur de la production. Ainsi, elles seront à même d’attaquer des opérateurs qui pratiquent des prix portant atteinte à l’AOC. Bien sûr, nous n’aurons pas les moyens de fixer des prix comme cela a été le cas par le passé mais nous serons habilités à observer et à réguler. Nous pourrions, par exemple, imaginer un prix plancher pour chaque compte de vieillissement.

 

L’une des signatures du passage de Jean-Bernard de Larquier aura été « l’ouverture des portes » de l’institution. Pourquoi ?

 

Au travers du BNIC, les viticulteurs disposent d’un outil extraordinaire qui place notre produit en tête des AOC françaises sur bien des sujets. Malheureusement, ils n’en sont pas toujours fiers puisque le seul contact qu’ils ont avec ce bâtiment et les personnes qui y travaillent concerne des tâches administratives qu’ils n’affectionnent pas vraiment. J’ai donc souhaité que les viticulteurs se réapproprient l’institution en organisant une journée porte ouvertes. L’occasion pour les permanents d’expliquer leur métier et les bénéfices de leur travail pour la région.

 

Quels sont les autres challenges que le BNIC devrait se fixer selon vous ?

 

Je constate que la station viticole est aujourd’hui trop à l’étroit dans les locaux qu’elle occupe. Son déménagement devrait, selon moi être l’occasion de remettre à plat ses missions pour envisager plus grand : Il manque à Cognac un lieu qui fasse le lien entre la ville et le produit, indépendamment des marques. L’Institut du Cognac (ce pourrait être son nom) serait ce lieu et permettrait à la fois de poursuivre les travaux de recherche dont nous avons besoin et d’assurer la formation du public est des prescripteurs qui veulent en savoir plus sur le Cognac.

J’espère que la prospérité de l’appellation permettra à ce projet de naître un jour…

 

 

L’engagement professionnel de Jean Bernard de Larquier

1978

Installation à Arthenac sur le domaine familial

Entre 1979 et 1990

Siège au CDJA (Secrétaire général adjoint), CRJA, Chambre d’agriculture 17, Syndicat de sélection 16 et 17 (président)

Entre 1985 et 1995

Administrateur FSVC et FVC

2001 à 2007

Président Syndicat des producteurs de Pineau des Charentes

2005 à 2008

Président du SGV Cognac

1982 à 2000

Grand maître de la Confrérie du Franc Pineau

2009 – 2012

Président du CNPC (Comité national interprofessionnel du Pineau des Charentes)

2012 – 2017

Président du CRINAO

Depuis 2012

Président de la Confédération nationale des vins de liqueur à AOC

Depuis 2014

Président du BNIC

Depuis 2009

Administrateur CNIV (Comité national des interprofessions des vins et eaux-de-vie d’appellation d’origine)

Depuis 2011

Administrateur à la CNAOC (Confédération Nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie de vin à Appellations d’Origine Contrôlées)

 

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