Une fois à la retraite, Jacques Blois a consacré 15 ans de sa vie à l’Afrique et au développement. Un engagement sans concession, exigeant, fraternel, nourrit par un parcours hors du commun. Alors qu’il a quitté l’école à 13 ans, il milite à la JAC (Jeunesse agricole chrétienne) et au MRJC. Compagnon de route de Michel Debatisse, il co-fondera l’IFOCAP, l’Institut de formation des cadres paysans, puis s’impliquera dans la coopération, jusqu’à diriger la Coopérative des fermiers landais de Saint-Sever. Homme de conviction, il croit à la promotion collective et à « l’homme complet », dans ses dimensions tant économique, technique, politique que philosophique et religieuse.
« Responsable des charges et des produits »
Après Saint-Sever, le voilà donc ouvert à de nouveaux projets. Comme à son habitude, il appelle quelques amis. Des propositions tombent, dont celle de devenir directeur de chambre d’agriculture. Il décline poliment. « Par principe, je n’en voulais pas. Une chambre d’agriculture, c’est une entreprise où l’on décide des charges mais pas des produits. Et moi, l’approche qui me convient, c’est d’être responsable des deux : charges et produits. » Pour Jacques Blois, l’appel de la coopération reste le plus fort. A la demande d’amis charentais (maritimes), il accepte de devenir directeur adjoint de la « Départementale 17 », autrement dit la coopérative de Rochefort. Sa mission ? Préparer la fusion avec la coopérative de Saintes. Il y ajoute une partie diversification (déshydratation de luzerne…). La coopérative Océane est mise sur pied. Bientôt, elle disparaîtra à son tour pour se réincarner – une puis deux fusions plus tard – en Synthéane puis Charentes Alliance. Mais ceci est une autre histoire. Alors qu’il approche de l’âge de la retraite, J. Blois quitte l’Océane, suite à un désaccord avec le directeur de la nouvelle structure. « Avec l’ancien directeur de la coopérative de Rochefort et trois ou quatre cadres, nous avions réussi à créer une vraie ambiance d’équipe. Ce n’était plus le cas. J’ai démissionné. » Cette expérience en demi-teinte ne remet pas en cause son attachement au modèle coopératif. « Je persiste à dire que la coopération est une forme moderne de gestion, contrairement à ce que beaucoup pensent. La coopérative est capable de s’adapter à toutes les évolutions. Et sans doute mieux que les sociétés capitalistiques. Pourquoi ? Pour la raison majeure que, dans une société capitalistique, les capitaux n’ont pas de patrie. Ils peuvent “foutre le camp” à la première occasion. Une coopérative, elle, ne quitte pas le territoire. Ses statuts délimitent strictement sa zone géographique d’intervention. Un autre aspect m’intéresse beaucoup : c’est la notion de coopérative “prolongement de l’exploitation”. La tentation existe souvent de considérer que coopérative et exploitation constituent deux entités différentes. Eh bien non ! La coopérative n’est pas un “truc externe” à l’exploitation. Elle fait partie intégrante de l’exploitation. Ce concept n’est pas évident à saisir. Il faut le dire et le répéter. Cela induit des engagements – de livraison, de capitalisation – mais aussi des droits en conséquence, notamment en terme d’exigence. Plus je suis engagé, plus je peux me montrer exigeant. Certes, il serait facile d’écrire le livre noir de la coopération. Une solution n’est jamais idéale à 100 %. Mais l’idée, c’est de s’en rapprocher. »
L’Afrique comme une évidence
Au moment de la retraite, l’Afrique s’impose comme une évidence à Jacques Blois. « Je m’y étais préparé. » Ses amis de toujours – de la JAC, de la MRJC – lui lancent un appel du pied : « Viens avec nous au Tchad avec AFDI. Là-bas, nous avons une équipe qui fait du boulot. » Durant les 15 années qui suivront, le Tchad constituera la terre d’élection de J. Blois et de son épouse. Pour eux, le développement passe avant tout par l’organisation des hommes et des femmes ; plus que par des enseignements pratico-pratiques – « la culture de la terre, ils savent faire ». Ils vont travailler à la mise en place de groupements : groupements de matériel agricole, groupements féminins, greniers communautaires… La formation à la gestion (notion de charges et de produits) le dispute au partage de savoir-faire (des forgerons apprennent à souder « fer contre fer »). Et parce que Jacques Blois a le parcours qui est le sien, il n’oublie pas de faire au passage de la science politique. « C’est indispensable » commente-t-il. La décentralisation ou la démocratie s’inscrivent parmi ses thèmes de formation.
La formation ! Un exercice de haute voltige, plus encore dans un pays pauvre. L’ancien directeur d’instituts de formation exprime toute son admiration à l’égard d’hommes qui consentent à parcourir 50 km à vélo – dont la moitié dans le sable – pour venir se former. « Quand ils arrivent, note-t-il, ils sont tellement épuisés qu’ils ne peuvent pas commencer tout de suite. Ils doivent d’abord manger, se reposer, dormir. Voyez-vous des gens faire ça en France ? J’entends parfois dire que nous leur “payons la formation”. On leur paie quoi ? Une toute petite partie de leur investissement personnel. La formation leur coûte beaucoup plus qu’à nous. »
Rien en dehors du collectif
Au fil du temps, Jacques Blois comprend mieux les ressorts de la société africaine. « Un homme qui réussit est perçu comme un danger par ses pairs et se retrouve donc lui-même en danger. La leçon s’impose d’elle-même : en Afrique, le développement ne peut passer que par le collectif : rien en dehors du collectif ! Et quand vous montez quelque chose, n’oubliez pas de mettre le chef de village président d’honneur. Chaque homme a besoin de considération. Ce n’est pas une anomalie. » Autre constat : « Un homme sans religion n’existe pas en Afrique. Il est animiste, musulman, chrétien ; parfois les deux ; il pratique plus ou moins mais un homme sans religion, non, ça n’existe pas. »
En 1998, Jacques Blois était parti pour un premier séjour de deux semaines. Par la suite, il enchaînera les missions d’un mois voire plus, souvent deux fois dans l’année. J. Blois parle de la fraternité, quelque chose d’important pour lui.
« Vous avez tout, ils n’ont rien. Dans un premier temps, le don ne crée pas la fraternité. La fraternité, c’est de considérer l’autre comme un frère. C’est différent de l’amitié. Cela ne va pas de soi. La fraternité entraîne une exigence de vérité. Il faut du temps pour en arriver là. Ce n’est qu’au bout de 4-5 ans que je me suis senti devenir “frère” avec certains amis tchadiens. »
Les séjours au long cours altèrent quelque peu la santé de Jacques Blois et de son épouse. La vigilance du début se relâche au fil du temps. Comment ne pas partager un repas, ne pas boire l’eau du puits quand on a soif : amibes (« on vit en bonne intelligence avec » dit le vieil homme), crises de paludisme… Une dernière attaque, plus forte que les autres, accompagnée de problèmes pulmonaires, a raison de la plongée de J. Blois en terre africaine. « J’ai arrêté. Il y a un âge pour chaque chose. Mes relations avec le Tchad se poursuivent mais sur un autre mode. Je suis toujours autant engagé auprès d’AFDI. » Aujourd’hui, Jacques Blois décline sa devise : « me désencombrer ». Il y parvient d’autant mieux que le sens de l’essentiel a inspiré toute sa vie.