Jacques Blois, la vie d’un homme engagé

20 novembre 2013

Une fois à la retraite, Jacques Blois a consacré 15 ans de sa vie à l’Afrique et au développement. Un engagement sans concession, exigeant, fraternel, nourrit par un parcours hors du commun. Alors qu’il a quitté l’école à 13 ans, il milite à la JAC (Jeunesse agricole chrétienne) et au MRJC. Compagnon de route de Michel Debatisse, il co-fondera l’IFOCAP, l’Institut de formation des cadres paysans, puis s’impliquera dans la coopération, jusqu’à diriger la Coopérative des fermiers landais de Saint-Sever. Homme de conviction, il croit à la promotion collective et à « l’homme complet », dans ses dimensions tant économique, technique, politique que philosophique et religieuse.

 

 

p37.jpgNé à Réparsac, en Charente, Jacques Blois y achèvera sans doute sa vie. Avec son épouse Marie-Annick, il s’emploie au service des autres. Dans le bulletin municipal, J. Blois retrace régulièrement la mémoire des anciens de la commune. Cet intérêt porté à l’humain devait déjà l’animer enfant. Second d’une fratrie de six, il arrête l’école tôt, à 13 ans, suite à un accident. Aveugle durant quelques mois, une opération lui rendra en partie la vue. En même temps qu’il travaille avec son père sur l’exploitation, il milite à la JAC (Jeunesse agricole chrétienne) et au MRJC (Mouvement rural de jeunesse chrétienne). Au milieu des années 50, il se retrouve secrétaire général de la JAC à Paris. Il succède à Michel Debatisse, le charismatique leader paysan du Puy-de-Dôme. Avec lui et d’autres jeunes issus du monde rural mais aussi aux côtés de René Rémond, universitaire, spécialiste de l’histoire politique et religieuse des sociétés contemporaines, ils co-fondent l’IFOCAP, l’Institut de formation des cadres paysans. L’idée ! Offrir à des jeunes responsables professionnels (membres de la coopération agricole, des caisses de crédit, de la MSA…) une formation de haut niveau, à la fois universitaire et sociale. En un mot, humaniste. L’école se situe en banlieue parisienne. Les jeunes agriculteurs, hommes, femmes, effectuent un stage de trois mois, divisé en trois périodes de trois semaines. Science politique, économie, gestion, initiation à l’art, visite des musées parisiens, découverte du monde ouvrier à l’usine Renault de Flins, journée dans la mine… Tout est mis en œuvre pour décloisonner les esprits, susciter la réflexion. « Nous voulions former des hommes complets. Pas question de se borner aux sciences de la terre. » Quelqu’un comme Michel Pelletier, futur président de la coopérative de l’île de Ré, suivra le programme. J. Blois devient le premier directeur de l’IFOCAP. Il y exercera pendant une dizaine d’années. Mais son ami Michel Debatisse l’invite déjà à partager un nouveau chantier, la relance de l’aviculture française, au sein du Comité interprofessionnel des œufs et volailles. « A l’époque, se souvient le vieil homme, l’aviculture, c’était trois poules de ferme qui couraient dans le pré. En même temps, l’agriculture évoluait très vite. Il fallait s’adapter. » Après l’épisode – assez bref – du Comité interprofessionnel des œufs et volailles, J. Blois retrouve ce qui l’intéresse vraiment : l’animation collective au service d’un projet économique. Il prend la direction d’un organisme national de formation lié à la coopération, le Synercau (Syndicat national d’études et de recherches pour les coopératives agricoles et leurs unions). Au Synercau, il peut réaliser ce qui le passionne : vivre et partager les préoccupations des hommes qui produisent ; animer les groupes ; se projeter dans l’avenir ; travailler la gestion et l’économie. « Nous étions un peu devenus les “pompiers volants de la coopération” observe J. Blois. Nous intervenions en appui de structures en difficulté, avec une équipe de trois ou quatre ingénieurs agricoles, dont des anciens de Purpan. » C’est sans doute de cette façon qu’il rencontre les Fermiers Landais, la sica de Saint-Sever, 1er label rouge dans le domaine de la volaille. Appelé à la rescousse, il va s’engager aux côtés de la coopérative une dizaine d’années. Il la remet sur les rails…et part vers d’autres horizons. Car Jacques Blois n’est pas du genre à « pantoufler », ni s’installer dans le confort d’un emploi. « Je ne suis jamais resté plus de dix ans dans un même poste, déclare-t-il. « De deux choses l’une : ou vous réussissez et, à un certain moment, l’entreprise n’a pas plus besoin de vous ; ou vous ne faites pas l’affaire et la conclusion s’impose d’elle-même. » « Dans le domaine de la coopération, poursuit-il, j’ai vu des gens s’accrocher au poste de directeur pendant toute une vie. Ils avaient tort. Quand un dirigeant a effectué deux ou trois mandats, il est préférable qu’il cède sa place. D’ailleurs, il vaut toujours mieux partir quand ça va bien. Et puis, dans une vie d’homme, les changements sont nécessaires. »

« Responsable des charges et des produits »

Après Saint-Sever, le voilà donc ouvert à de nouveaux projets. Comme à son habitude, il appelle quelques amis. Des propositions tombent, dont celle de devenir directeur de chambre d’agriculture. Il décline poliment. « Par principe, je n’en voulais pas. Une chambre d’agriculture, c’est une entreprise où l’on décide des charges mais pas des produits. Et moi, l’approche qui me convient, c’est d’être responsable des deux : charges et produits. » Pour Jacques Blois, l’appel de la coopération reste le plus fort. A la demande d’amis charentais (maritimes), il accepte de devenir directeur adjoint de la « Départementale 17 », autrement dit la coopérative de Rochefort. Sa mission ? Préparer la fusion avec la coopérative de Saintes. Il y ajoute une partie diversification (déshydratation de luzerne…). La coopérative Océane est mise sur pied. Bientôt, elle disparaîtra à son tour pour se réincarner – une puis deux fusions plus tard – en Synthéane puis Charentes Alliance. Mais ceci est une autre histoire. Alors qu’il approche de l’âge de la retraite, J. Blois quitte l’Océane, suite à un désaccord avec le directeur de la nouvelle structure. « Avec l’ancien directeur de la coopérative de Rochefort et trois ou quatre cadres, nous avions réussi à créer une vraie ambiance d’équipe. Ce n’était plus le cas. J’ai démissionné. » Cette expérience en demi-teinte ne remet pas en cause son attachement au modèle coopératif. « Je persiste à dire que la coopération est une forme moderne de gestion, contrairement à ce que beaucoup pensent. La coopérative est capable de s’adapter à toutes les évolutions. Et sans doute mieux que les sociétés capitalistiques. Pourquoi ? Pour la raison majeure que, dans une société capitalistique, les capitaux n’ont pas de patrie. Ils peuvent “foutre le camp” à la première occasion. Une coopérative, elle, ne quitte pas le territoire. Ses statuts délimitent strictement sa zone géographique d’intervention. Un autre aspect m’intéresse beaucoup : c’est la notion de coopérative “prolongement de l’exploitation”. La tentation existe souvent de considérer que coopérative et exploitation constituent deux entités différentes. Eh bien non ! La coopérative n’est pas un “truc externe” à l’exploitation. Elle fait partie intégrante de l’exploitation. Ce concept n’est pas évident à saisir. Il faut le dire et le répéter. Cela induit des engagements – de livraison, de capitalisation – mais aussi des droits en conséquence, notamment en terme d’exigence. Plus je suis engagé, plus je peux me montrer exigeant. Certes, il serait facile d’écrire le livre noir de la coopération. Une solution n’est jamais idéale à 100 %. Mais l’idée, c’est de s’en rapprocher. »

L’Afrique comme une évidence

Au moment de la retraite, l’Afrique s’impose comme une évidence à Jacques Blois. « Je m’y étais préparé. » Ses amis de toujours – de la JAC, de la MRJC – lui lancent un appel du pied : « Viens avec nous au Tchad avec AFDI. Là-bas, nous avons une équipe qui fait du boulot. » Durant les 15 années qui suivront, le Tchad constituera la terre d’élection de J. Blois et de son épouse. Pour eux, le développement passe avant tout par l’organisation des hommes et des femmes ; plus que par des enseignements pratico-pratiques – « la culture de la terre, ils savent faire ». Ils vont travailler à la mise en place de groupements : groupements de matériel agricole, groupements féminins, greniers communautaires… La formation à la gestion (notion de charges et de produits) le dispute au partage de savoir-faire (des forgerons apprennent à souder « fer contre fer »). Et parce que Jacques Blois a le parcours qui est le sien, il n’oublie pas de faire au passage de la science politique. « C’est indispensable » commente-t-il. La décentralisation ou la démocratie s’inscrivent parmi ses thèmes de formation.

La formation ! Un exercice de haute voltige, plus encore dans un pays pauvre. L’ancien directeur d’instituts de formation exprime toute son admiration à l’égard d’hommes qui consentent à parcourir 50 km à vélo – dont la moitié dans le sable – pour venir se former. « Quand ils arrivent, note-t-il, ils sont tellement épuisés qu’ils ne peuvent pas commencer tout de suite. Ils doivent d’abord manger, se reposer, dormir. Voyez-vous des gens faire ça en France ? J’entends parfois dire que nous leur “payons la formation”. On leur paie quoi ? Une toute petite partie de leur investissement personnel. La formation leur coûte beaucoup plus qu’à nous. »

Rien en dehors du collectif

Au fil du temps, Jacques Blois comprend mieux les ressorts de la société africaine. « Un homme qui réussit est perçu comme un danger par ses pairs et se retrouve donc lui-même en danger. La leçon s’impose d’elle-même : en Afrique, le développement ne peut passer que par le collectif : rien en dehors du collectif ! Et quand vous montez quelque chose, n’oubliez pas de mettre le chef de village président d’honneur. Chaque homme a besoin de considération. Ce n’est pas une anomalie. » Autre constat : « Un homme sans religion n’existe pas en Afrique. Il est animiste, musulman, chrétien ; parfois les deux ; il pratique plus ou moins mais un homme sans religion, non, ça n’existe pas. »

En 1998, Jacques Blois était parti pour un premier séjour de deux semaines. Par la suite, il enchaînera les missions d’un mois voire plus, souvent deux fois dans l’année. J. Blois parle de la fraternité, quelque chose d’important pour lui.

« Vous avez tout, ils n’ont rien. Dans un premier temps, le don ne crée pas la fraternité. La fraternité, c’est de considérer l’autre comme un frère. C’est différent de l’amitié. Cela ne va pas de soi. La fraternité entraîne une exigence de vérité. Il faut du temps pour en arriver là. Ce n’est qu’au bout de 4-5 ans que je me suis senti devenir “frère” avec certains amis tchadiens. »

Les séjours au long cours altèrent quelque peu la santé de Jacques Blois et de son épouse. La vigilance du début se relâche au fil du temps. Comment ne pas partager un repas, ne pas boire l’eau du puits quand on a soif : amibes (« on vit en bonne intelligence avec » dit le vieil homme), crises de paludisme… Une dernière attaque, plus forte que les autres, accompagnée de problèmes pulmonaires, a raison de la plongée de J. Blois en terre africaine. « J’ai arrêté. Il y a un âge pour chaque chose. Mes relations avec le Tchad se poursuivent mais sur un autre mode. Je suis toujours autant engagé auprès d’AFDI. » Aujourd’hui, Jacques Blois décline sa devise : « me désencombrer ». Il y parvient d’autant mieux que le sens de l’essentiel a inspiré toute sa vie.

 

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