C’est tout le charme de Jacky Ferrand. Un attachement sincère à ce qu’il fait, un bonheur de vivre qu’il fait rayonner autour de lui. Peut-être parce que les épreuves n’ont pas épargné cet homme et qu’il a su y gagner un supplément d’humanité. Et puis Jacky Ferrand a un « vocabulaire» ! Quand il parle de l’interprofession, il ne dit pas BNIC ni même BN mais « le Bureau ». Les viticulteurs ne sont pas de simples viticulteurs mais « nos ressortissants », avec la part d’affection et de respect mis derrière. Tutti quanti pour le directeur du BN qui n‘est ni « le directeur » ni « Alain Philippe » mais « M. Philippe ». Quant aux documents que son service examine, ils ne sont pas « bruts de décoffrage » mais « bruts de fûts ». Savoureux ! Avec Jacky Ferrand, qui part à la retraite le 31 décembre – excusez du peu – s’en va un représentant privilégié de cette accointance entre le vignoble et son interprofession. Cette proximité n’a d’ailleurs jamais vraiment fait partie des traditions maison, dont les cadres sont toujours venus d’horizons divers. Voilà pourquoi Jacky Ferrand servait si souvent de référant, de borne témoin, de mémoire vivante du Cognac. Il possédait le même bagage culturel que les viticulteurs.
« élevé aux pieds des vignes »
Né à Genté dans une famille de vignerons, « élevé aux pieds des ceps de vignes », J. Ferrand « tombe dans la marmite du Cognac » tout petit. En compagnie d’André Bilhouet, pour qui sa famille travaille, il compte les rimes de fûts, s’initie à l’arithmétique des comptes. A trois ans, « il tient la clé à tuyau ». Pas étonnant que bien des années plus tard, il se fasse le chantre du Cognac. « Le Cognac, c’est riche, dit-il, comme les grands vins, les parfums, la littérature, la poésie ! » Sa première incursion professionnelle dans le monde du Cognac remonte à 1973. Jeune technicien agricole, il rentre à la fondation Fougerat où il travaille avec Jean Lafont, directeur de la Station viticole. « J’en suis très fier » dit-il. Des raisons familiales le conduisent à quitter la Station viticole le 31 décembre 1980. Suit une parenthèse professionnelle de dix années où il exerce plusieurs métiers dont celui de la banque, sans grande satisfaction. Sa réintégration au BNIC le 1er août 1990 sonne comme un retour au bercail. A la Commission qualité jusqu’en 1994 où il s’occupe des prélèvements, il rentre au Service de la Viticulture, sa vraie vocation. Jacky Ferrand évoque ses « grands bonheurs » de travail, qui se résument parfois à des bonheurs tout simples, comme celui de voir s’aligner sur son bureau de « petits tas » de déclarations de récolte. Arrivent à lui les cas plus difficiles, qu’il les traitera… quand le téléphone ou l’accueil lui en laisseront le temps, c’est-à-dire souvent avant ou après les heures d’ouverture. Car le service de la viticulture concentre à lui seul plus de la moitié des appels téléphoniques du BNIC.
jours de pluie
Alain Philippe avait souhaité ouvrir le service à l’extérieur. Un vœu exhaussé au centuple. Par expérience, les appels tombent en masse les jours de pluie ou quand une nouvelle sort dans le journal. Jacky Ferrand assiste aux effets « pires que la peste » de « radio chinte de vigne ». Il temporise, corrige, complète. « C’est notre rôle. L’information constitue l’une des premières missions du Bureau. Quelque part, nous sommes ici aux avant-postes de la communication. » Face à des viticulteurs que le changement inquiète – Plan d’adaptation viticole, affectation de récolte, organisation de campagne… – ses collègues et lui expliquent, rassurent. « Certains nous disent : “ma question va vous paraître idiote”. Nous leur répondons toujours qu’il n’y a pas de question idiote, qu’il vaut mieux savoir car l’ignorance peut coûter cher à la sortie. » Le service n’a pas la science infuse pour répondre à toutes les questions. Mais il sait où chercher la bonne réponse. « Nous faisons appel au réseau, en interne mais aussi auprès des Douanes, de l’ONIVINS, de l’INAO. » Jacky Ferrand et son équipe ont appris à reformuler les questions, pour faire tomber la pression et surtout être sûr d’avoir bien compris ce que les personnes veulent dire. « C’est une technique qui nous sert beaucoup. » Parfois aussi, le Bureau n’est pas loin de jouer le rôle d’assistante sociale. « Des gens se sentent isolés. Ils expriment leur angoisse, ce qui les tracasse. Nous leur remontons le moral. Ils nous font confiance. Naturellement, tout ceci s’exerce dans la plus parfaite confidentialité. Même si les choses changent, toucher au stock d’eau-de-vie, c’est un peu comme toucher au compte en banque. »
« grand bonheur »
La formation à la dégustation aura représenté un autre « grand bonheur » professionnel pour Jacky Ferrand. Passage obligé pour tout nouvel arrivant au BNIC : un « petit cours » avec Jacky. Mais le responsable du service de la viticulture sort aussi de ses frontières. « Je suis allé dans des lieux – Maxim à Paris… – où je n’aurais jamais mis les pieds. » Il raconte comment les gens se montrent attentifs au discours sur le Cognac. « Ils sont bien plus intéressés que l’on ne croit. Il y a énormément de travail à faire. »
Depuis un an et demi, Nicolas Jadeau se forme aux côtés de Jacky Ferrand. Ce jeune homme diplômé d’une école de commerce lui succédera à son départ. Originaire de Cognac, il connaît le milieu. Avec son empathie habituelle, J. Ferrand parle de Nicolas Jadeau comme de son « fils spirituel ». « Il a ce fond de passion et d’humanisme indispensable à notre fonction. » Le tuilage, exceptionnellement long, a été voulu par la direction.
Heureux dans son travail « malgré les soucis, malgré les difficultés », Jacky Ferrand regretterait presque d’avoir ces « dix ans de trop », qui l’empêcheront d’assister à la mutation informatique du service (voir page 47). « Je ne m’inquiète pas. L’informatique ne va pas enlever du travail au service. Bien au contraire. Elle permettra d’apporter une meilleure qualité de réponse à nos ressortissants à qui nous devons un service en retour. » Quand on vous disait que Jacky Ferrand avait le sens du service chevillé au corps ! S’il quitte le BN fin 2006, ce n’est pas un adieu sans retour. « Je n’ai jamais dit que je n’y remettrais plus les pieds. Si on me demande de venir parler du Cognac, je reviendrais. » Ultime aveu du « gentleman de la viticulture » : « J’aime le BN, c’est clair. »
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