« L’Ouverture Exclut Pas La Vigilance »

22 mars 2009

Bon connaisseur du marché russe et de ses opérateurs, Lilian Teissendier classent les investisseurs présents à Cognac parmi les « gens motivés », aimant le Cognac et dotés de vraies structures de distribution dans leur pays. Pour autant, « ce ne sera pas facile pour eux et il convient de rester vigilant. »

« Le Paysan Vigneron » – Quel regard portez-vous sur les opérateurs russes implantés à Cognac aujourd’hui ?

teissendier_1_opt.jpegNous connaissons à peu près toutes les grosses structures russes spécialisées dans les spiritueux, dans la mesure où notre société intervient dans les pays de l’Est, surtout au titre des brandies d’ailleurs. Franchement, on a tort d’avoir peur de ces gens-là. Les Russes sont francophiles et ils aiment vraiment le Cognac. Si aujourd’hui les Russes ne consomment pas davantage de Cognac, c’est que leur niveau de vie ne le leur permet pas. Que des sociétés de ce type investissent dans la région constitue une excellente nouvelle. Ces entreprises possèdent de vrais réseaux de distribution, mettent en œuvre de vraies politiques marketing, développent une vraie vision de marché. Et puis au moins est-on sûr que ces sociétés investissant dans le Cognac ne passeront pas au tout Whisky. Car il faut savoir que l’alcool de malt est en train d’inonder le marché russe. Maintenant, cela ne signifie pas que nous devions leur signer un chèque en blanc. Toutes les sécurités et précautions d’usage doivent être prises pour assurer la défense de l’AOC Cognac, dans le respect des us et coutumes de la région.

« L.P.V. » – D’où viennent ces sociétés ?

Souvent, ce sont des sociétés un peu nouvelles. A l’origine, beaucoup vendaient de la Vodka ou des eaux-de-vie de vin, qui en Arménie, Ukraine, Azerbaïdjan. Après avoir fait leurs armes avec des brandies moyen/haut de gamme, elles ont eu la tentation de passer au stade supérieur, c’est-à-dire à l’alcool le plus noble qui soit, le Cognac. En somme, c’était la suite logique. Difficile de présumer du succès qu’elles remporteront avec le Cognac. Il est trop tôt pour le dire. Mais une chose est sûre : elles y mettent beaucoup de volonté et de moyens. Elles y croient dur comme fer. Pour une société comme la nôtre, qui propose des Cognacs prêts à la mise, il est très intéressant d’avoir en face de soi des gens aussi motivés. Nous travaillons en bonne intelligence avec eux. Quand nous organisons des dégustations, je suis toujours assez étonné de voir le plaisir que les Russes prennent à goûter le produit. Ils aiment le Cognac pour ce qu’il est et non pas pour ce qu’il représente. Ce sont des gens assez humbles, qui nous font énormément confiance. Ils sont très attachés à la qualité.

« L.P.V. » – Sur le créneau du Cognac, ces sociétés occupent quelle part de marché en Russie ?

Je ne suis pas persuadé qu’elles représentent tant que cela en volume. Les plus grosses ventes de Co gnac en Russie sont faites par les maisons de Cognac. Je pense qu’il faudra beaucoup de temps à ces investisseurs pour avoir la puissance, l’expertise, la capacité à vendre des grandes maisons de Cognac, toujours très bien structurées.

« L.P.V. » – A votre avis, que recherchent vraiment ces investisseurs en s’installant à Cognac, quelles sont leurs motivations réelles ?

J’ai le sentiment qu’ils ont envie de se faire plaisir en pouvant dire : « Nous sommes propriétaires terriens dans la région de Cognac. » Ils souhaitent mettre un pied dans la région pour essayer de comprendre son fonctionnement. A l’ex Union syndicale, nous avons vu assez vite arriver des demandes d’adhésion. Bien sûr, cette implantation à Cognac peut leur servir en terme de communication, d’image.

« L.P.V. » – A l’égard des investissements russes à l’étranger, est parfois évoquée la notion « d’argent sale ».

Le système français est très clair sur le sujet. Dès qu’un investisseur étranger engage des sommes importantes sur le territoire français, les banques ont le devoir d’informer Tracfin, la cellule française anti-blanchiment, dépendant du ministère de l’Economie et des Finances. Si des enquêtes officielles ne sont pas lancées, c’est que l’Etat juge toutes les opérations régulières. Moi qui connais les sociétés russes ayant investi à Cognac, je peux témoigner que ces sociétés existent, s’appuient sur des structures, des réseaux de distribution, des forces marketing. Après, dire qu’il n’existe aucun problème de blanchiment de l’argent, c’est difficile d’en apporter la preuve. Comme nous n’avons aucune preuve de l’inverse. Dans ces conditions, la seule attitude qui vaille est de faire confiance. Aujourd’hui, nous savons tous que des structures puissantes gagnent beaucoup d’argent en Russie et investissent dans de nombreux domaines de par le monde. Comme des sociétés françaises voire cognaçaises peuvent le faire dans d’autres pays. Malgré tout ce que l’on peut entendre, on aura toujours intérêt à ce que les sites de production restent à Cognac, pour le Cognac comme pour le brandy. Regardez ce qui se passe chez Pellisson, délocalisé en Ecosse. A la clé, ce sont quarante emplois supprimés. Les Russes présents à Cognac sont tous également producteurs et distributeurs de brandies. Ils viennent à Cognac chercher notre savoir-faire en matière d’eaux-de-vie de vin. Ils savent que nous sommes des professionnels, que nous avons la capacité de dupliquer notre expertise du Cognac sur les brandies.

« L.P.V. » – Sous quelle forme les sociétés russes expédient-elles leurs Cognacs en Russie ?

Si certaines font mettre en bouteille dans la région délimitée, je crois qu’une bonne partie des volumes part en vrac, pour être mis en bouteille sur place.

« L.P.V. » – Ces expéditions en vrac ne sont-elles pas de nature à poser problème ?

Toutes expéditions en vrac ne débouchent pas sur une utilisation frauduleuse de l’appellation Cognac. Le Cognac peut très licitement servir de bonificateur à des brandies, à partir du moment où il est déclassé en brandy. C’est d’ailleurs fréquemment le cas ici même, à Cognac. Par contre, il est évident qu’une mauvaise utilisation de l’appellation Cognac serait dramatique pour notre région. Etre ouvert aux investisseurs étrangers n’exclut pas d’être extrêmement vigilant en terme de protection de l’appellation. Les deux attitudes ne sont pas incompatibles. C’est vrai que des problèmes peuvent venir d’entrepreneurs russes agissant dans des domaines autres que ceux où ils ont fait fortune. Ils se font plaisir en investissant dans le Cognac mais ils n’ont pas la capacité de le distribuer. Ils vont être très vite confrontés à la réalité de marché. Le Cognac est un produit difficile à vendre. Le marché des spiritueux n’est déjà pas facile mais le marché du Cognac est encore plus difficile. A l’inverse, existe des sociétés russes sérieuses, MVZ, Kin, Aroma, d’autres encore, spécialisées dans la vente de spiritueux dans leur pays d’origine. A la limite, ces structures peuvent nous aider à chasser ce qui pourrait agir à l’encontre du Cognac.

Les Principaux investisseurs russes Dans la région de Cognac

l Aroma – Société d’origine moldave – A racheté la société de négoce A. de Fussigny, rue des Gabariers à Cognac (Cognac Nakhimov, Brandy Cherny Aist, Cognac A. de Fussigny, autres produits alcoolisés…).

l Tigran Arzakantsyan (Arménie) – A repris Euro-Négoce, ZI de Souillac, à côté de Jarnac. Distribue alcools, Brandy arménien, Cognac…

l Hrayr Hatobyan (Arménie) – Possède le domaine de Chatenay à Cognac et le domaine de Marville. Distribue Yerevan Champagne, Wine Factory, vins, Vodka, Brandies, Cognac…

l Société Kin – Poids lourd du secteur des alcools en Russie – Armen Eganyan est propriétaire de domaines viticoles à Touzac (domaine des Broix) et Viville.

l MVZ – Importante société russe – A racheté la maison de Cognac Jenssen SAS (Norvège) et son vignoble à Bonneuil.

l Russian Wine Trust – Appartient au député de Rostov à la Douma Vadim Varshavsky – A racheté la maison Croizet-Eymard à St-Même-les-Carrières et le vignoble – Possède également le château Lajasson en Fins Bois et une propriété à Sireuil.

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