La Définition Du Mot « Réussir »

8 mars 2009

Responsable des agences CER du Pays de Cognac, Jean-Marie Guilloton connaît bien son monde. Il porte un regard sans concession mais toujours empreint d’humanité sur l’évolution des exploitations viticoles.

« Le Paysan Vigneron » – Dans le transfert des exploitations, croyez-vous que le fermage ait encore de beaux jours devant lui ?

Jean-Marie Guilloton – Je crains qu’à terme il soit compromis. Les fermiers ont pourtant intérêt à ce qu’il perdure mais, pour ce faire, les bailleurs doivent y trouver leur compte. En Charente 16, le prix de l’hl AP arrêté préfectoral est resté inchangé depuis 1999. En Charente-Maritime, en PC, le prix du même hl AP arrêté préfectoral a chuté de 17 % et en FB, il a perdu 14,6 %. Certes, selon le mode de calcul en vigueur, le loyer payé aujourd’hui se réfère aux résultats constatés deux ans auparavant. Mais, d’un point de vue psychologique, on ne pourra pas empêcher des propriétaires de relever le différentiel entre un fermage revu à la baisse et une situation viticole en légère amélioration. Faut-il accepter sans broncher de voir convertir le capital vignoble en patrimoine bâti à usage locatif, comme la tendance est en train de se dessiner actuellement ? Les chefs d’entreprise de cette région ont-ils vocation à se muer en rentiers ? Sans démagogie, on peut sans doute penser qu’il y va de l’intérêt de tous que le fermage retrouve une certaine cohérence et une certaine consistance.

« L.P.V. » – Comment se comportent les prix ?

J.-M. G. – Il est des secteurs où les prix sont à la hausse, pour diverses raisons… parce que le négoce achète bien dans ces zones, qu’il y a des gens qui se positionnent sur « tout ce qui bouge » et qui, d’une certaine façon, font s’emballer le marché. Les prix observés ne se justifient pas toujours sur le seul plan économique. Il y a parfois des incohérences. L’avenir nous dira si ceux qui ont une certaine boulimie du foncier ont raison : d’ici 5 ans, la génération baby-boom aura à décider de ses surfaces. Y aura-t-il assez d’acheteurs ? A voir.

« L.P.V. » – Pourquoi les terres se libèrent-elles ?

J.-M. G. – Nous observons, et nous en sommes surpris, une nouvelle attitude de viticulteurs qui « jettent l’éponge ». Ils en ont « ras le bol » de ne pas percevoir la juste rémunération de leur travail, de vivre en permanence dans l’incertitude du lendemain, de devoir toujours et encore satisfaire à de nouvelles exigences, obligations réglementaires ou de marché…

« L.P.V. » – Peut-on parler d’une crise de la cinquantaine ?

J.-M. G. – Il me semble en effet que le nombre de quinquas qui sont en « panne de projet » est de plus en plus élevé. Après 15 ans de renoncement, certains donnent l’impression d’être victimes d’une « overdose » de tout ce qui jusqu’alors leur paraissait normal ! Ils n’ont sans doute pas tord de revendiquer le droit de faire enfin quelque chose qui leur plaît. D’autres n’ont pas envie que leur enfant vivent la même « galère » ! D’autres enfin estiment que leurs enfants ne sont pas suffisamment « blindés » pour vivre, endurer ce qu’ils ont supporté ! Il me semble que les « valeurs » qui ont animé les quinquas d’aujourd’hui ne sont plus au rendez-vous. Les gens réagissent spontanément. Ils se montrent très réactifs. Ils s’interrogent sur savoir quoi faire. En ce sens, leurs réactions sont très positives. A contrario, l’agrandissement m’apparaît souvent le fruit de décisions assez erratiques. Au lieu de situer leurs entreprises dans un environnement donné – aujourd’hui, en 2004, dans la région de Cognac… – les gens se jettent à l’eau, sans raisonner les modalités de conduite de leurs projets. Par exemple, ils occultent bien souvent les incidences de leur décision sur le parc matériel, sur l’organisation du travail… « De toute façon, on se débrouillera, on a toujours fait face » disent-ils. La crise a cela de néfaste qu’elle confère parfois une fausse assurance. Je pense au contraire qu’il conviendrait de sécuriser la démarche, se poser les questions du « pourquoi je double ma surface ? – pourquoi je vends mon vignoble ? – pourquoi je me lance dans la vente directe ? Quelle implication ce choix aura-t-il sur l’identité que je souhaite être la mienne ? » Sur un coup de tête, il arrive que des personnes se retrouvent à exploiter 60 ou 80 ha de vignes sans avoir du tout pensé à leur projet global. Ils ne se sont pas interrogés sur ce qui les motivait. Une fois placés devant la réalité – le doublement des surfaces par exemple – il leur arrive de se demander : « où est-ce que j’habite ? Finalement, je ne vis pas comme je l’espérais ». Dans un environnement donné, nous réagissons trop souvent au coup par coup alors que, finalement, c’est le projet qui devrait être le moteur de nos prises de décisions et non les opportunités. De ce fait, des gens s’exposent à des déconvenues et, accessoirement, nous adressent des reproches, à nous leurs conseillers. Je pense à un exploitant qui a démarré de zéro à 26-27 ans et se retrouve aujour-d’hui à la tête de 120 ha de terres et 30 ha de vignes… sans avoir le sou. Il bosse comme un fou, ne peut pas embaucher de personnel. Fiscalement, il dégage du revenu, paie des impôts, a un endettement important mais, ce qu’il n’a pas assimilé, c’est que ses acquisitions se sont faites sans générer d’amortissements fiscaux. Il en a marre et râle contre le comptable. Car tout le monde le sait bien ! Quand on ne fait pas de revenu, c’est la faute du comptable et quand on paie des impôts ou de la MSA c’est que l’on est mal conseillé ! Plus sérieusement, cette personne n’a pas pris le temps d’asseoir son projet : « voilà ce que je veux être, ce que je veux gagner, comment je veux m’organiser, quelles sont mes ambitions ». Il a toujours réagi à l’instinct, avec une obsession en tête : « c’est pas possible que ce soit mon voisin qui prenne ! » On peut le classer parmi les impulsifs, tout le contraire des raisonnables voire des calculateurs. Ceux-ci prennent le temps de construire leur développement. On les voit à l’affût, ils mettent des ha sous surveillance, négocient leur prise de possession, se montrent souvent assez flatteurs. Une autre facette de la personnalité.

« L.P.V. » – Sommes-nous partis vers une course effrénée à l’agrandissement ?

J.-M. G. – Non, non, je ne le pense pas. Sans doute certains chercheront-ils à s’agrandir coûte que coûte mais d’autres se montreront plus circonspects, sans pour autant baisser les bras. Ils verront de la cohérence à conserver une surface raisonnable. Cependant, il est clair que l’idée d’agrandissement séduit une majorité des viticulteurs.

« L.P.V. » – Pourquoi ?

J.-M. G. – Sans doute parce que nous ne sommes plus dans une logique de valeur par le prix mais par le volume. C’est tout le débat sur le niveau de QNV et l’argument des économies d’échelle. Certaines exploitations développent déjà une démarche quasi industrielle. Ce qui me surprend par rapport à cela, c’est l’individualisme des viticulteurs charentais. On pourrait imaginer que beaucoup plus de gens se fédèrent pour résister à la pression ambiante. Non, chacun négocie pour son compte. C’est le sauve qui peut qui l’emporte.

« L.P.V. » – Comment réagissent les jeunes viticulteurs vis-à-vis de l’augmentation de surface ?

J.-M. G. – Je constate que l’arrivée d’un jeune motive la plupart des agrandissements. C’est à la fois un raisonnement et une justification – je dirais presque un alibi – pour le père. Finalement, il se réalise à travers son fils. Le projet d’installation du fils a parfois bon dos pour justifier des investissements en foncier.

« L.P.V. » – La grosse exploitation, facteur de risque ou gage d’avenir ?

J.-M. G. – Il est évident que la grosse entreprise n’a pas la réactivité que peut avoir une petite affaire. Qu’est-ce qui a permis de dissimuler, toutes ces années, la crise du Cognac ? La capacité des petites exploitations à se serrer la ceinture, en jouant sur les investissements et les prélèvements privés. Les grosses affaires doivent nécessairement faire face à un parc matériel plus conséquent, du personnel à payer… Leur réactivité est bien moindre. Par contre, elles peuvent permettre d’optimiser les moyens de productions (un parc matériel pour 20 ha de vignes, ça ne se justifie pas toujours). Elles présentent aussi l’intérêt de peser sur le marché avec une offre suffisante. A une condition près toutefois : que l’on puisse rester maître à bord. Car certains ne réalisent pas toujours que faire évoluer sa surface c’est aussi, bien souvent, changer de métier. Passer de 20 à 50 ou 60 ha, c’est aller beaucoup moins sur son tracteur, ne plus perdre de temps à discuter avec son voisin, contrôler le travail, relancer la machine, passer du statut de producteur à celui d’organisateur. Tout le monde y est-il préparé ? Pour certains, cela risque de se traduire par des « gamelles ». Des personnes capables de commander un salarié ne sont pas forcément capables d’en diriger trois. Il faut pouvoir négocier avec les fournisseurs et ne pas s’en remettre à eux pour remplir le bon de commande. Face à ces nouvelles exigences, il faut sans doute se demander : « de quoi suis-je capable ? » Dans certaines situations, l’agrandissement se traduira par une énorme fragilisation. Un autre aspect me paraît très important, celui de la vie privée. La logique voudrait que pour bien piloter une grosse exploitation, on puisse déléguer les tâches de production pour se consacrer davantage aux tâches de gestion. Or, sur des exploitations trop fragiles économiquement, la surcharge de travail pèsera sur les épaules du chef d’entreprise qui continuera de jouer le rôle du « va devant », levé aux aurores, au bureau à 7 h 30, dans les vignes à 8 heures. L’activité professionnelle prend alors le pas sur toutes les autres activités, y compris la vie privée.

« L.P.V. » – A votre avis, quelle est la limite de surface à ne pas dépasser ?

J.-M. G. – J’ignore où la limite se situe et si même il en existe une. Ce que je sais, c’est qu’une entreprise à trois unités de main-d’œuvre se pilote encore facilement. Elle correspond à une unité de 50-60 ha de vignes. Au-delà, la difficulté vient du fait qu’il faut déléguer les tâches de management à un chef d’équipe. Effectivement, quand le chef d’équipe est bon, voire très bon, ça marche mais dans le cas contraire… Même chose pour la capacité du matériel. Si, avec un atomiseur, l’on traite en deux jours 60 ha de vignes, au-delà il faut s’équiper d’un nouveau matériel ou consentir à passer beaucoup de temps autour d’un même chantier. On ne joue plus dans la même cour.

« L.P.V. » – Est-ce qu’une grosse structure présente plus de risques financiers qu’une petite ?

J.-M. G. – Je ne le pense pas, quand on a affaire à une entreprise saine, bien structurée, bien managée, où la  croissance a été raisonnée. Pas forcément en tout cas ! Par contre, pour une affaire qui démarre, en phase de développement, prudence, prudence. Je remarque cependant que le nombre d’exploitations de 50-60 ha s’accélère à vitesse V et que les gens s’en sortent pas mal.

« L.P.V. » – Comment s’exerce le contrôle du foncier ?

J.-M. G. – Il me semble que, globalement, les projets se concrétisent sans trop d’embûches ou d’obstacles.

« L.P.V. » – Aujourd’hui, existe-t-il d’autres projets que celui de l’agrandissement ?

J.-M. G. – Bien sûr. Je citerai la vente directe pour laquelle se manifeste un mouvement constant de nouvelles recrues. Ceci étant, comme pour l’augmentation de surface, il convient de bien réfléchir à son identité et à sa propre capacité à aborder une telle activité. Il s’agit d’une alternative très intéressante à condition de lui donner de la consistance. Il ne faut pas « attendre le client » ou se contenter de « bricoler une foire par an ». Tour le monde n’en est pas capable, sans parler des dégâts collatéraux qui peuvent en résulter. Réussir dans la vie, cela peut vouloir dire : être reconnu pour ses produits, faire de la marge… Réussir sa vie, cela ne doit-il pas intégrer une autre réalité ? Par exemple voir grandir ses enfants, laisser de la place à sa vie de couple et de famille. A chacun de donner sa définition à Réussir !

« L.P.V. » – Dans ce contexte, la concentration des exploitations vous paraît-elle inéluctable ?

la_crise_confere.jpgJ.-M. G. – Honnêtement, je ne vois pas comment on pourra y résister. L’offre de foncier se nourrit de comportements qui n’existaient pas autrefois. Avant, les parents ne ressentaient aucune crainte à transmettre du foncier à leurs enfants. Aujourd’hui ils se disent : « ce n’est pas un cadeau à faire à nos enfants que de leur donner des ha de vignes ». La rémunération du fermage est largement insuffisante face au capital immobilisé. Dans un proche avenir jouera aussi sans doute le phénomène des cessations d’activité pour cause de mauvaises affaires. Quand les exploitations en difficulté comptaient 11 ou 12 ha, on trouvait toujours une solution. Demain, il sera beaucoup plus difficile de redresser une exploitation de 30 ha, pour laquelle banquiers, fournisseurs « y auront cru » et se seront engagés. Il faudra « taper dans le dur », c’est-à-dire vendre du foncier. Tout ceci s’opérera sans effet de presse, en silence mais participera au remodelage. Il y a aussi le divorce, dont l’importance est plus grande qu’il n’y paraît dans les ha qui se libèrent.

« L.P.V. » – A votre avis, comment risque de se structurer la viticulture charentaise dans les années à venir ?

J.-M. G. – Il y a ceux qui vont s’agrandir, mus par un désir personnel ou tout simplement par la peur, en se disant : « ils vont nous manger tout cru, on ne peut pas rester comme ça ». Il y a ceux qui ne chercheront pas de nouvelles surfaces ou très peu mais s’engageront dans la diversification et dans la vente autonome. Et il y aura enfin ceux qui disparaîtront, parce qu’ils ne pourront pas suivre le mouvement. Au-delà de ces clivages, j’ai la conviction que l’on se dirige vers deux grandes familles viticoles : une famille composée d’unités conséquente – je dirais 30 ha et plus – que la certification n’effraiera pas et qui aura à définir et maîtriser ses relations avec ses partenaires ; et une autre famille, qui ne fera pas forcément mal mais qui s’inscrira davantage dans une logique volume/prix.

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