Quand Cognac invite l’Europe

1 mars 2009

aziz.jpgDu 11 au 13 avril, le BNIC a reçu une délégation de 27 délégués européens dont 22 représentants des Etats membres, négociateurs dans le cadre de la réforme du règlement européen sur les spiritueux. Le but de cette visite informelle de deux jours : mieux faire connaître les spécificités du Cognac et l’organisation interprofessionnelle régionale. Aziz Allam, directeur des affaires juridiques, économiques et fiscales du BNIC, fut la cheville ouvrière de cet événement.

« Le Paysan Vigneron » – Pourquoi avoir lancé une telle initiative ?

Aziz Allam – Avec cette rencontre, il ne s’agissait pas de donner le sentiment de vouloir interférer dans les négociations. Nous n’avons donc pas tenu de réunions de travail à proprement parler mais nous avons privilégié la visite informelle de la région avec, au programme, présentation générale des fonctions et des missions du BNIC, visite d’une entreprise de négoce, d’une distillerie ainsi que du vignoble sous la houlette de Roger Cantagrel, directeur de la Station viticole. Pour finir, la délégation a rencontré l’ensemble des professionnels. Si ce type de contacts ne débouchent pas sur des résultats immédiats, ils se révèlent généralement payants à terme. Au moment de parler d’eau-de-vie de vin et d’interprofession, les délégués se souviendront de ce qui s’est dit et de ce qu’ils ont vu dans la région.

« L.P.V. » – De tels déplacements sont-ils fréquents ?

A.A. – Ils étaient plus habituels il y a une quinzaine d’années mais ils se sont raréfiés depuis, pour des raisons essentiellement budgétaires, la charge matérielle revenant à la région accueillante. Pourtant, pour des négociateurs européens qui, malheureusement, n’ont pas forcément de connaissances techniques, c’est une bonne occasion d’approcher les réalités.

« L.P.V. » – Qui sont ces personnes et comment peut-on les décider à venir à Cognac ?

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La délégation européenne devant le BNIC.

A.A. – Dans le cadre du projet de réforme du Règlement spiritueux, les négociateurs européens présentent des profils différents selon l’organisation administrative de chaque Etat membre. Cependant, dans tous les cas de figure, ils sont mandatés par leurs autorités techniques et politiques pour défendre les orientations de leurs pays. Sur 25 Etats membres, 22 représentants étaient présents, plus deux observateurs des pays candidats à l’entrée dans l’U.E, la Roumanie et la Bulgarie. Faisaient également partie de la délégation deux représentants de la Commission, M. Markus Klingler, responsable du secteur spiritueux à la direction générale de l’Agriculture et M. Russel Mildon, directeur de cette même DG Agri, ainsi qu’un haut fonctionnaire du Conseil des Communautés. Nous avions profité d’une réunion de travail à Bruxelles pour lancer notre invitation qui a été acceptée. Je dois dire que cette initiative a « pris de court » tout le monde et notamment nos amis suédois et britanniques de la Vodka et du Scotch Whisky. C’est peut-être à l’aune de l’envie suscitée que l’on peut mesurer le succès d’une entreprise.

« L.P.V. » – Pourquoi est-ce si important pour le Cognac de se faire mieux connaître des négociateurs ?

A.A. – Notre objectif consistait à leur faire prendre conscience du caractère original du Cognac, qui n’est pas seulement un produit agricole mais un produit industriel élaboré à partir d’une matière première agricole. Il s’agit donc d’un produit transformé, pour lequel on ne raisonne pas comme dans le secteur purement agricole. Entre autres, l’interprofession y joue un rôle prépondérant de par l’importance du négoce dans la filière. Contrairement au secteur vin par exemple, on ne peut pas s’en remettre simplement à l’INAO. L’interprofession a un rôle essentiel à jouer dans la défense du produit, de l’appellation et de sa protection sur les marchés mondiaux.

« L.P.V. » – Quel rapport avec la réforme du Règlement spiritueux ?

A.A. – Au risque de me répéter, je dirais que l’interprofession se présente comme un partenaire incontournable dans la défense de l’IG (indication géographique). Par ailleurs, le caractère du Cognac – un produit industriel obtenu à partir d’une matière première agricole – doit conduire à une certaine souplesse dans les conditions d’élaboration ainsi qu’à une vision réaliste en matière de présentation des produits. En ce qui nous concerne, ce sont les trois points essentiels qui guident notre intérêt à la négociation sur la révision du Règlement 1576/89.

« L.P.V. » – Qu’entendez-vous par « souplesse d’élaboration » ?

A.A. – Il est important de prendre en compte la nécessité d’une certaine souplesse dans notre secteur, pour permettre des évolutions en matière d’élaboration de produits composés. Sur la base de critères qui ne sont pas « confrontables à la réalité », on ne doit pas pouvoir interdire d’utiliser un nom d’appellation, dès lors que le produit composé comporte 100 % de l’AOC concernée.

« L.P.V. » – Vous voulez parler de la dénomination « liqueur au Cognac ». Elle est autorisée aujourd’hui.

A.A. – Oui mais une attitude dogmatique conduirait certains à vouloir réserver l’appellation aux seuls produits d’AOC. Dans le domaine des produits industriels, ce n’est pas acceptable. Même chose pour les produits dérivés, correspondant à des segments « de niche », qui n’ont pas vocation à être exportés. Je pense à des produits de type « Verveine du Velay » ou « Mirabelle de Lorraine ». A partir du moment où ils répondent aux conditions spécifiques d’élaboration dans le lieu considéré, ils doivent pouvoir continuer d’utiliser des IG sans avoir besoin d’en référer aux autorités nationales ou communautaires. Une proposition de la Commission soutenait pourtant le contraire. Aujourd’hui, le Cognac n’est pas directement concerné. L’Allemagne et ses produits « pour touristes » le sont beaucoup plus que nous. Mais il y a des solutions dont il ne faut pas se priver pour l’avenir. Il ne faudrait pas qu’un jour, un hypothétique « apéritif du Poitou-Charentes » soit recalé sous prétexte de textes trop restrictifs.

« L.P.V. » – Nourrissez-vous d’autres attentes ?

A.A. – Nous aimerions que le nouveau Règlement consacre de façon incontestable les processus d’élaboration, de manière à ce qu’ils ne soient plus sujet à interprétation par les uns ou les autres. Pour nous par exemple, il est hors de question de remettre en cause des pratiques traditionnelles dans la mesure où elles n’ont pas d’effets négatifs sur le consommateur.

« L.P.V. » – La négociation sur la réforme du règlement 1576/79 a débuté quand ?

A.A. – Elle a commencé en janvier 2006, il y a donc moins de six mois. Nous en sommes au tout début. Un problème « plombe » cependant les discussions. C’est celui de la Vodka. Les pays du Nord de l’Europe souhaiteraient limiter la nature des matières premières mises en œuvre. En l’absence de liste, aujourd’hui, on peut élaborer de la Vodka à partir de différentes matières premières : pommes de terre, céréales, betteraves, produits d’origine vinique… C’est justement le succès remporté par ces Vodkas issues de produits viticoles, sur le marché américain notamment, qui a provoqué la montée au créneau des producteurs traditionnels. La Finlande, la Suède, la Pologne et sans doute en arrière-plan la Russie, voient d’un très mauvais œil le développement de produits concurrents. Ces pays souhaiteraient s’opposer à ce qu’ils considèrent comme un dérapage. La solution proposée, qui consisterait à qualifier la Vodka en lui associant la référence aux matières premières mises en œuvre, en tant que de besoin, n’agrée évidemment personne. Ce dossier constitue un point de blocage et pèse sur la négociation.

« L.P.V. » – La réforme du Règlement européen sur les spiritueux constitue-t-elle une réforme de fond et quand aboutira-t-elle ?

A.A. – Il s’agit en effet d’une réforme d’envergure, surtout par les questions de procédures qu’elles soulèvent. A travers ce projet, la Commission entend développer ses prérogatives au détriment du Conseil, en répartissant différemment ses domaines de compétences. Normalement, la règle veut que le Conseil traite du principal tandis que la Commission se charge de l’accessoire. Or, dans le cas d’espèce, la Commission a tendance à considérer que beaucoup de choses relèvent de l’accessoire. Ce faisant, elle s’arroge un droit d’intervention important, laissant aux Etats membres peu de marge de discussion. Mais tout ceci doit se régler au niveau politique. Sur la question du timing, je parlerais d’un délai d’un an ou d’un an et demi, en sachant qu’un gros dossier doit également arriver sur la table du Conseil en fin d’année, la réforme de l’OCM vin, gérée par la même Direction générale agricole.

« L.P.V. » – Existe-t-il des interférences entre les deux ?

A.A. – A l’évidence oui, ne serait-ce que par le biais des alcools viniques. Le sort des distillations conditionne le marché des alcools viniques. De même, la réforme de l’OCM vin n’est pas neutre sur la définition de ces alcools viniques, telle qu’elle figure dans le projet de Règlement 1576/89 qui sera abrogé. J’ai le sentiment que l’on attendra d’avoir le projet d’OCM vin pour boucler le règlement spiritueux. C’est une démarche qui me paraîtrait en tout cas assez judicieuse.

« L.P.V. » – Pour revenir à l’initiative du BNIC, pensez-vous que la délégation a été satisfaite de son séjour à Cognac ?

A.A. – Les retours que nous en avons eus me laissent à penser que oui. A la veille des vacances scolaires, avoir pu accueillir 22 représentants des Etats membres sur 25 me semble témoigner de l’intérêt accordé à la visite. Je ne vous cache pas non plus que le BNIC sert et servira de modèle d’organisation aux nouveaux pays adhérents ou en passe de l’être. Nous devrions prochainement recevoir une délégation bulgare et d’autres contacts sont en cours.

 

* Le règlement 1576/89 du Conseil sur les spiritueux établit les règles générales relatives à la définition, à la désignation et à la présentation des boissons spiritueuses dont les eaux-de-vie de vin, catégorie à laquelle appartient le Cognac. Etabli il y a 17 ans, ce texte va faire l’objet d’une refonte complète dans les mois qui viennent.

 A quand l’OCM vin ?

Interrogé sur la date d’application de l’OCM vin, Aziz Allam se montre très prudent. Sur ce sujet, la circonspection semble de mise. Il livre pourtant quelques repères.

Certes, beaucoup d’incertitudes pèsent sur la date d’application de l’OCM vin. Néanmoins, quelques balises se détachent avec un peu plus de netteté. Elles ont trait à la procédure de consultation, un sujet sur lequel la Commission s’est elle-même fixée des échéances, qu’elle aurait donc mauvaise grâce à ne pas tenir, à quelques mois près. Selon toute probabilité, sont attendues vers juin-juillet de cette année les premières communications au Conseil et au Parlement européen suite aux consultations professionnelles lancées depuis plusieurs mois déjà dans les différents Etats membres. Ce tour de table donnera une orientation générale. Il s’effectuera sous présidence finlandaise au Conseil (de juillet à décembre 2006). Fin décembre 2006 mais plus certainement début d’année prochaine, le bureau du Conseil des Communautés européennes devrait recevoir le projet d’OCM vin. Et ensuite ? C’est là que tout a pu être dit ou écrit et qu’aujourd’hui la circonspection l’emporte, pour se ménager une marge de sécurité. Car du dépôt du projet à son application, il y va comme de la coupe aux lèvres… un laps de temps très aléatoire. La refonte de l’OCM vin peut-elle être adoptée sous présidence allemande (janvier à juin 2007) ? Aziz Allam se refuse à répondre à la question, invitant à se reporter aux enseignements du passé. « Regardez le temps nécessaire à toutes les réformes de l’OCM vin, il a fallu au minimum six mois et souvent plus. » Les options restent largement ouvertes.

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