Intérêt général vs. intérêts particuliers : une difficile équation entre équilibre spontané et intervention pour réguler le marché

16 février 2023

« Les vautours tournent autour, toujours… »

Alors que la filière Cognac avait réussi le tour de force d’obtenir, en 2018, la modification du règlement OCM lui permettant de plei- nement se prévaloir des mécanismes de gestion du potentiel de production intégrés en son sein – mettant alors fin à la problé- matique des « vautours » qui avait agité le vignoble dès 2016 – la situation du vignoble bordelais et de ses opérateurs, au cœur de la tourmente, fait à nouveau émerger un risque de « transferts », un autre « trou dans la raquette » ayant potentiellement été identifié. Si, à l’époque, la problématique se concentrait autour du statut « sans indication géographique » des vignes aptes à la production de l’eau-de-vie charentaise, dont la revendication de l’appellation n’est possible qu’après distillation, l’enjeu est aujourd’hui tout autre.

Alors que les filières cognac, pineau des Charentes, IGP Charen- tais, VSIG mais aussi et surtout – en l’espèce – IGP Atlantique coexistent sur notre bassin, des passerelles entre ces productions ont toujours été possibles, exploitées par les producteurs à l’échelle de l’aire délimitée. De fait, le cloisonnement entre les productions ne garantissait pas une étanchéité parfaite.

Si la filière Cognac active, depuis 2020 et dans le cadre de son dossier de demande d’autorisations de plantations nouvelles porté devant les instances pour l’année suivante (Conseil de Bassin, FranceAgriMer, INAO), une clause de détournement de notoriété, empêchant alors un phénomène de « vases communicants » entre les productions, les autorisations de plantations (et par ricochet de replantations) attribuées avant 2020 (2016, 2017, 2018 et 2019) ne sont pas concernées par cette mesure adoptée annuellement pour chaque nouvelle salve d’autorisations nouvelles demandées. Que cela signifie-t-il dans les faits ?

Si les conditions de productions inscrites dans le cahier des charges Cognac sont respectées (commune, cépage et densité de plantation notamment), une vigne d’appellation (IGP ou AOC) issue d’une autorisation obtenue avant 2020 et plantée sur l’aire délimitée Cognac peut voir sa production affectée à l’eau-de-vie charentaise.

Acte 1, scène 2…

Mais alors en quoi cette possibilité, déjà en œuvre aujourd’hui, pourrait-elle aujourd’hui impacter la filière Cognac pour l’avenir ? Alors que les autorisations de plantations (ou de replantations) attribuées le sont à l’échelle du territoire donné pour une appellation, l’IGP Atlantique peut être produite sur le territoire de la Cha- rente, de la Charente-Maritime, de la Dordogne et de la Gironde, ainsi que sur certaines communes du Lot-et-Garonne. De même, colombard B, folle blanche B, montils B, sémillon B, ugni blanc B et folignan B – soit l’intégralité des cépages aptes à la production de l’eau-de-vie charentaise – sont aujourd’hui inscrits au cahier des charges de cette appellation. Dans ce contexte et dans l’état actuel de la réglementation, rien n’empêcherait donc un opéra- teur disposant d’une autorisation de plantation ou de replantation antérieure à 2020 de planter (ou d’arracher en vue de replanter) une vigne en IGP Atlantique, sur une commune dépendant à la fois de l’aire IGP Atlantique et de l’aire Cognac, en respectant le cahier des charges de ces deux appellations, dans le but – in fine – d’affecter la production à l’eau-de-vie charentaise.

La situation de crise traversée par la filière bordelaise faisant état, rien que pour la Gironde, de plus de 1 372 exploitants en difficultés économiques sur les 3 880 exploitations viticoles du département, représentant plus de 35 000 hectares de vignes (voir article dans ce numéro), constitue alors potentiellement le fait générateur de transferts d’un département à l’autre, posant alors la question d’un risque de déstabilisation de la filière Cognac, et nécessitant de raisonner à l’échelle de la filière, dans l’intérêt collectif, et non pas par opportunisme.

Ne pas trop jouer avec le feu pour ne pas se brûler

Tout ne semble pas pour autant possible et les transactions visant ostensiblement à contourner une réglementation permettant d’assurer, rappelons-le, la protection des appellations d’origine seront sanctionnées.

Les opérations de mise à disposition de terres – d’un territoire à l’autre, d’un opérateur à un autre – en vue de leur transfert pourraient ainsi, à titre d’exemple, être qualifiées de frauduleuses, mettant leurs protagonistes face à leurs responsabilités et face à la règle de droit.

Au-delà et comme en 2016, c’est la question de l’intérêt collectif qui est aujourd’hui posée. Cette année-là, l’interprofession avait adressé, à tous ses ressortissants, un courrier d’opposition « à l’ensemble des mesures et des éléments perturbateurs qui pourraient être préjudiciables à la croissance économique de la filière, et qui iraient à l’encontre de son bon équilibre et de son dévelop- pement maîtrisé grâce au business plan ». La volonté était déjà de « conserver la maîtrise du dimensionnement du vignoble Cognac, toute évolution du potentiel de production devant se faire conformément au business plan, et non par des apports incontrôlés de vignes issues d’autres régions viticoles ».

La demande alors formulée pourrait être reprise in extenso au- jourd’hui, la filière enjoignant chacun à « bien respecter l’esprit du business plan », pour une « responsabilité tout à la fois col- lective et individuelle pesant aujourd’hui sur chaque opérateur de la région délimitée Cognac ».

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