Institutions européennes : Le partelemnt vu de l’intérieur

14 mai 2012

Plongée avec Elisabeth Morin-Chartier et l’un de ses attachés parlementaires dans la vie des députés européens, leur emploi du temps, leur manière d’agir, leurs leviers, leurs réseaux.

Le siège officiel du Parlement européen se situe à Strasbourg. C’est là où se tiennent les sessions plénières, les réunions de finalisation des groupes politiques. Par contre, Bruxelles concentre la majorité des institutions européennes : Commission, Conseil des ministres, Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement. D’où un tropisme fort vers la capitale belge. Le Parlement y possède un lieu de travail. Il s’y réunit en commissions, y tient quatre mini-sessions chaque année. Ce type d’organisation voue au nomadisme les députés européens et leur staff : directeurs, administrateurs, assistants parlementaires… Tout le monde effectue régulièrement la navette entre Strasbourg et Bruxelles. D’où les grosses cantines qui encombrent les couloirs de l’un et l’autre lieu. Britanniques et « Nordistes » (y compris les pays de l’Est) plaident pour le rattachement du Parlement européen à un seul lieu et ce lieu serait… Bruxelles. Leur argument principal tient à la mauvaise desserte de Strasbourg. L’aéroport international le plus proche est Francfort.

Prise de décision

p31.jpgAu niveau européen, comment se prend une décision ? Au départ, il y a les chefs d’Etat et de gouvernement. Ce sont eux qui décident des grandes orientations, donnent l’impulsion. Puis la Commission européenne est chargée de mettre en musique ces propositions. Elle prépare les textes législatifs. Ces textes sont ensuite soumis à l’examen du Parlement européen, dont les 750 députés exercent un travail législatif somme toute classique.

Quand il reçoit la proposition de texte, le Parlement européen a des questions à se poser, des choix à faire. Première question : à quelle commission de travail prépondérante revient l’examen du texte ? A la commission Agriculture, à celle du Marché intérieur, aux Affaires économiques, à l’Environnement, à la Santé… ? Deuxième question : qui en sera le rapporteur ? Chaque groupe politique possède, parmi ses membres, un ou plusieurs spécialistes de tel ou tel sujet. Le coordinateur va être désigné en fonction du poids de chaque groupe politique. « Mais ça tourne » est-il précisé. Il y a aussi la nomination d’un « shadow rapporteur » (comme le shadow cabinet du 10 Dorwing street à Londres).

Le rapporteur travaille dans sa commission mais demande très souvent l’avis d’autres commissions, qui se situent en périphérie de son sujet. Le rapporteur a un rôle de consultation très important. Ce rôle est carrément institutionnalisé. Négociateur attitré entre les différents groupes, le rapporteur récupère les amendements, veille à la cohérence du texte. Il travaille aussi avec les représentations permanentes des Etats membres auprès de l’institution européenne. In fine, il livre un amendement de compromis. Il faut dire qu’au niveau européen le compromis constitue l’alpha et l’oméga. Sur l’OCM unique, Michel Dantin, député européen de la région Rhône-Alpes est rapporteur sur la PAC.

Une fois le texte de compromis élaboré – ce qui réclame en moyenne six mois (un ou deux mois sur des textes de moindre envergure) – le document est proposé au vote en commission puis en session plénière. Le vote en commission de travail est très important. Très souvent il oriente le vote en session plénière. « Les commissions parlementaires ont énormément d’influence » confirme Élisabeth Morin-Chartier, l’un des neuf députés européens de la grande région Bretagne, Pays de Loire, Poitou-Charentes et, à ce titre, tête de pont du Cognac (le siège de sa circonscription est à Poitiers). Les groupes politiques donnent des indications de vote mais ces indications ne sont pas toujours suivies d’effet. Les députés européens s’exonèrent assez facilement des recommandations de leur groupe. « Au niveau de l’Europe, le vote s’avère très libre » confirme Christophe Lorioux, attaché parlementaire d’Elisabeth Morin-Chartier, chargé, entre autres, des relations avec les médias. Par contre, chacun peut savoir comment le député a voté. Une fiche de vote suit chaque parlementaire.

Quand le Parlement a adopté le texte, celui-ci part en Conseil des ministres (mécanisme de la codécision institué par le traité de Lisbonne). Sur un dossier, il arrive parfois que la Commission, le Conseil des Etats membres et le Parlement expriment des positions divergentes. Le rapporteur devient alors le négociateur du « trilogue ».

Une fois le texte voté par le Conseil, il est transposé dans les lois nationales. Mais il peut advenir que l’accord ne se fasse pas et que le texte soit bloqué, à l’initiative du Parlement par exemple.

Avant le traité de Lisbonne, le Conseil des ministres occupait une position prépondérante. C’est un peu moins vrai aujourd’hui. De même la Commission « a dû mettre de l’eau dans son vin ». Un spécialiste témoigne : « Schuman – autre nom de la Commission, tiré de son adresse à Bruxelles – avait une attitude très dure. Elle faisait ce qu’elle voulait. Elle était maître de la négociation. Un changement s’est opéré. » A préciser que la Commission européenne est censée être la garante « de l’intérêt général ». Parmi ses missions, figure celle « d’arriver à faire monter tout le monde dans le même train ». Autrement dit, à créer les conditions de « l’harmonisation ».

Normalement, tous les députés ont la capacité de déposer des amendements, d’intervenir sur tous les sujets, dans toutes les commissions. Mais comme personne n’est omniscient, une spécialisation s’opère, naturellement. « Ici, chaque député a sa spécialisation, confirme Élisabeth Morin-Chartier. On le sait. Il n’y a pas de député polyvalent. » Elle-même est spécialisée dans les affaires sociales, la politique de l’emploi, l’égalité homme/femme. Ses « manettes » – ses moyens d’influence – elle les doit à ses différents mandats. Vice-coordinatrice de la commission emploi pour le PPE, elle est également vice-présidente de l’égalité homme-femme, rapporteur permanent pour le Fonds social européen, un fonds qui gère 84 milliards d’euros par période. « Dans la commission emploi, précise E. Morin-Chartier, au moins 15 députés ont exercé des responsabilités à haut niveau dans leurs nations respectives (ministres…). Elle-même a pris la suite de Roselyne Bachelot quand celle-ci est devenue ministre de la Santé, en 2007. Du social à l’agriculture, l’écart semble bien grand. Mais comme, au sein de l’Europe, l’échange s’apparente à un art majeur, on peut imaginer que des tractations s’opèrent, d’une commission à l’autre.

Lobbying : une activité à temps plein

Comment s’exerce le travail de lobbying des parlementaires européens ? Par définition, les députés européens et leurs collaborateurs discutent en permanence avec leurs collègues. Pour eux le lobbying est « normal ». Il fait partie du job. Objectif ? Détecter la psychologie du partenaire, pour essayer de le convaincre du bienfait de son option. « Il faut repérer les leviers, vous appuyer sur les députés qui pèsent. Les parlementaires connaissent très bien leur réseau. Tout le monde s’observe. » Les fiches de votes sont examinées à la loupe. Comme partout, le grand sport consiste à aller à la « pêche aux indécis ». « Oui, les gens peuvent bouger » notent de bons connaisseurs.

Si la recherche du fameux compromis est le guide suprême, en toile de fond, le rapport de force donne le la. Sur le dossier des droits de plantation, tout le monde s’accorde à reconnaître à la France un rôle « pro-actif ». Et donc un rapport de force plutôt favorable. Mais sur plein d’autres sujets, la France est jugée « un peu attentiste ». Commentaire d’un observateur : « Nous avons vécu un moment très difficile après l’échec du traité constitutionnel. La France s’est retrouvée très affaiblie. Elle ne jouissait plus du tout du même poids. » Sur le dossier agricole, Michel Dantin, rapporteur pour l’OCM vin, livre une explication complémentaire. « Les pays peu agricoles – qui ont seulement quelques dossiers à défendre – n’ont pas trop de mal à trouver des monnaies d’échange. La France, elle, n‘a rien à lâcher. Du coton à la viande en passant par les bananes ou les céréales, elle ne peut pas quitter son siège. Il y a sept ou huit ans, un ministre de l’Agriculture français m’a dit qu’en Conseil des ministres, il avait toujours la bouche ouverte. »

Le planning d’un député européen est très séquencé. Il y a la semaine en commission de travail, la semaine en groupe politique, la semaine en session plénière… Des codes couleurs servent de balises. Pour discuter des textes, les députés s’expriment dans leur langue maternelle. Un bataillon de 3 000 traducteurs s’emploie à rendre tout ce petit monde audible. Chaque année, plusieurs tonnes de documents sont traduites en 23 langues.

Délégations nationales, groupes politiques squattent les étages du Parlement. A Bruxelles, le PPE français occupe le 13e étage. Au-dessus de lui, il y a le PPE allemand et au-dessous le PPE italien. Comme partout, les bars sont des hauts lieux de rencontres et d’échanges. A Bruxelles, on en cite notamment un, connu sous son sobriquet de « bar Mickey ». Ce nom, il le doit à de petits fauteuils club, nichés dans un coin. De couleurs « pétantes », ces sièges arborent de larges oreilles, comme Mickey.

Un député respecté et « qui pèse » est d’abord un député « qui bosse ». Sa présence en travaux de commissions est décomptée au « chouïa » près. La bonne « perf. » – connu des autres parlementaires – consiste à être présent à 100 % des travaux en commission (ou à un taux approchant). « Vous êtes malade, vous n’avez aucune excuse. Ici, le certificat médical n’existe pas ! » Un député qui « bosse » est reconnu par ses pairs « Chapeau bas ! » Par contre, celui ou celle « qui ne bosse pas » est blacklisté, mis sur la touche. « Vous n’êtes plus entendu par votre groupe politique, vous n’avez plus de temps de paroles à l’hémicycle. » Un temps de paroles qui se compte en minutes et en secondes. Mais la présence ne suffit pas. Encore faut-il être capable « de faire des majorités », autrement dit d’influencer des votes.

Ici comme ailleurs, le jeu politique est avant tout un jeu de stratégie : « peser » dans son réseau et détecter ceux qui « pèsent » dans le leur.

On est fait ou pas fait pour l’exercice. Des parlementaires adorent. Ils sont littéralement « choutés » au réseau d’influence. Au Parlement européen, on dit qu’il faut trois mandats pour se retrouver en situation de « peser » : un mandat pour apprendre, un mandat pour comprendre et un mandat pour diriger.

Le 29 mars, à l’heure du débriefing, E. Morin-Chartier s’est déclarée satisfaite. La veille, au cocktail offert conjointement par le BNIC et elle-même, elle avait repéré des « gens qui pèsent » sur le dossier des droits de plantation.

C’est en juin 2014 que le Parlement européen renouvellera ses 750 députés. Le scrutin se déroulera sur quatre jours, partout en Europe.

 

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