Innover pour tenir le rang : Le défi du cognac

12 décembre 2017

 

Jusqu’où peut-on innover lorsqu’on est appellation ? Depuis plusieurs années l’inventivité des marques de Cognac foisonne en matière d’évolution des pratiques de vieillissement et d’affinage pour satisfaire un consommateur toujours plus curieux, dit-on. Mais ces tendances sont-elles durables ou simplement des effets de mode ? La réponse doit être apportée rapidement car les marchés n’attentent pas et en l’absence de règles claires, les marques repousseront continuellement les limites de la typicité du produit. Un groupe de travail innovation récemment constitué au sein du BNIC va prochainement trancher ces questions pour aboutir peut-être sur une évolution du cahier des charges.

Le Cognac figure parmi les leaders mondiaux des alcools bruns premium. Un rang qui requiert le plus au niveau d’exigence dans bien des domaines. Les qualités comme le terroir, la finesse aromatique et gustative et les savoir-faire ancestraux suffisaient, jusqu’ici, à capter les amateurs de spiritueux. Mais les temps changent et les nouvelles générations de consommateurs ont bien des défauts. Ils sont curieux, ils aiment découvrir de nouvelles saveurs et de nouvelles histoires, il se lasse de la monotonie… C’est une évolution des mœurs qui vient bouleverser les pratiques et parfois les convictions des Cognaçais. « Ce qui distingue un leader de son challenger c’est l’innovation » disait un certain Steve Jobs, l’inventeur d’Apple. Si cette théorie semble couler de source dans l’industrie High-tech, il semble qu’elle soit aujourd’hui transposable à la production des spiritueux prémiums et donc, a fortiori, au Cognac.

Mais vouloir innover relève parfois du casse-tête surtout quand l’eau-de-vie en question est une AOC. Le monde des spiritueux de divise en deux grands modèles ou chacun aimeraient pouvoir s’approprier les avantages de l’autre sans pour autant abandonner ses acquis. Les Vodkas et Gins, parfois à court d’histoire à raconter s’inventent des liens avec un pseudo-terroir d’origine en faisant référence à une source ou des ingrédients locaux. Les Malts et autres Rhums adoptent des pratiques de Finishing qui « dévient » leur typicité originelle pour séduire de nouveaux adeptes.

En résumé, les repères que les producteurs voudraient toujours très clairs et bien définis ne le sont jamais car les marchés se nourrissent aussi de diversité.

 

Entre constance et créativité

 

Les règles de production qui permettent de garantir la durabilité du goût d’un produit, freinent la créativité. C’est d’ailleurs leur rôle ! Car sans un minimum de règles, le Cognac ne serait pas Cognac. Ce sont bien les savoir-faire, testés au fil de l’histoire qui ont permis de mettre au point les pratiques les plus à même d’exprimer le meilleur du terroir.

Toute la subtilité de l’écriture du cahier des charges est donc de trouver les justes mots pour que chaque maître de chai puisse forger une identité propre à sa marque, tout en restant Cognac. Si les conditions de production sont trop strictes et détaillées, elles font faire avorter toute initiative d’inventivité. Si elles sont trop lâches, elles risquent d’affaiblir la marque collective en embrouillant le consommateur.

 

L’évolution des règles figée à un instant T

 

Ce qui complique la donne c’est précisément l’analyse de l’histoire qui a conduit à l’obtention des règles de production car l’appellation est une matière vivante qui évolue continuellement pour s’adapter aux contraintes du moment, pour s’approprier des technologies ou pour satisfaire de nouvelles attentes du consommateur. Prenons pour illustrer ce propos l’histoire des cépages utilisés dans l’appellation. La folle-blanche, cépage roi de la période pré-phyloxérique a été partiellement remplacée par les cépages hybrides à partir des années 1920. Lorsque la pratique du greffage s’est ensuite généralisée, elle s’est avérée beaucoup moins adaptée aux objectifs de production de l’époque laissant la place à un certain Ugni-blanc quasi inexistant jusqu’au début du XXe siècle… Et demain, l’Ugni-blanc laissera probablement sa place à des cépages résistants aux maladies pour répondre aux exigences environnementales de la société et des consommateurs. Au fil de ces évolutions, la typicité de l’appellation a subi (ou subira) des évolutions substantielles. Un donc peut s’interroger. Que serait devenue l’appellation Cognac si le décret d’appellation de 1935 avait recensé toutes les pratiques de l’époque comme le fait l’actuel cahier des charges ? L’encépagement du vignoble et les pratiques de distillation auraient-elles été les mêmes qu’aujourd’hui ? Et qu’en serait-il des essences des futailles utilisées ou des fûts ayant préalablement contenu d’autres produits ?

 

Redécouvrir notre histoire.

 

Pour Alexandre Gabriel de la maison Pierre FERRAND, il convient d’aborder la possible évolution des pratiques de vieillissement sous 2 angles. D’abord, l’innovation a proprement parlé qui est la conséquence de l’accès à de nouvelles connaissances et techniques. Ensuite, les usages et savoir-faire historiques qui ont pu être momentanément mis de côté au profit de méthodes plus « uniformes » telles que pratiquées aujourd’hui. « L’histoire démontre que le Cognac, comme beaucoup de spiritueux, a utilisé des origines de fûts et de bois beaucoup plus variées que celles que nous retrouvons dans le cahier des charges. D’ailleurs, lorsque vous interrogez d’anciens maîtres de chai, vous comprenez que ces diversités de bois et de fûts jouaient parfois un rôle important dans l’élaboration des Cognacs ». Selon plusieurs acteurs prônant un « retour » à la diversité des futailles, certaines pratiques, comme le vieillissement en fûts d’acacia, de châtaigniers et autres merisiers, quoique minoritaires, étaient bien présentes autrefois. Comme la transmission des « secrets » des maîtres de chai s’est toujours pratiquée de façon orale à Cognac, les écrits qui prouvent l’utilisation de futailles diverses sont probablement inexistants. Et si des fûts de ce type existaient encore aujourd’hui dans les chais, serions-nous en mesure de les recenser ?

 

Le cas particulier des anciens fûts de vins.

 

Parmi des pratiques autorisées dans l’appellation Cognac, il y a l’utilisation de fûts de vins. Une référence aux pratiques vieilles de plus d’un siècle où le fût était le seul récipient disponible pour contenir les vins et les eaux-de-vie produits dans la région.

Selon Alexandre Gabriel, l’origine des fûts de vins utilisés pour le Cognac ne se limitait probablement pas à la région des Charentes. « Il serait réducteur de penser que des mouvements de barriques ne se pratiquaient pas entre les vignobles de France à cette époque notamment entre les vignobles adjacents ». Sur la base de cette hypothèse, plusieurs acteurs de la filière ont récemment créé de nouvelles gammes de Cognac vieillies en fûts de vins…

 

Pierre FERRAND « renegade barrel ».

 

La Maison Pierre Ferrand, vient de créer une gamme de produits appelée « renegade barrel » (traduction « barrique rebelle »). Une série à la désignation un peu « provoc » qui fait allusion aux pratiques ancestrales qu’il est, selon, le maître de chai, de bonne augure de remettre au goût du jour. La première bouteille est un Cognac ayant fait l’objet d’une finition en fût de Sauternes. Le produit, a séduit par son originalité. La revue des vins de France l’a d’ailleurs cité parmi les 10 flacons qui bousculent les règles du Cognac en titrant « un bouillonnement créatif s’est emparé du vignoble cognaçais et donne des résultats aussi étonnants que séduisants ». Le second produit de la gamme Renegade Barrel a été lancé en 2017. Cette fois-ci, l’audace de la maison FERRAND est montée d’un cran. Partant d’une eau-de-vie de Cognac, la double maturation s’est cette fois-ci terminée en fût de Châtaignier. Bien que l’alcool contenu soit à 100 % du Cognac, le produit est relégué à la catégorie « eau-de-vie de vin » et la maison ne fait aucune référence à l’AOC, ni dans sa présentation, ni dans les objets publicitaires. « Nous sommes respectueux des règles explique Alexandre Gabriel et nous avons confiance en la sagesse des acteurs de la région pour faire évoluer nos pratiques dans le respect de nos valeurs et de notre histoire. ». Selon la maison Pierre FERRAND, le Cognac est en mesure de produire des choses fantastiques, mais il est primordial qu’il s’astreigne à le faire dans la discipline et l’intégrité.

 

Courvoisier, une seconde maturation à l’accent espagnol

 

« Le secteur des spiritueux a toujours été créatif et dynamique, et les choses se sont accélérées ces dernières années, explique Patrice PINET, le directeur de la maison. Sur le marché « duty free » qui est une vitrine pour nos marques, le Cognac perd des parts de marché. On nous reproche souvent de manquer de créativité contrairement à certains de nos concurents tels que les Malts, les Rhums ou les tequilas ».

Après plusieurs mois de recherche, la maison Courvoisier s’est donc lancée, elle aussi dans l’aventure de la double maturation. La gamme « Master cask collection » promet au consommateur des rendez-vous réguliers pour faire découvrir de nouvelles approches de maturation pour le Cognac. Le premier né est un « Sherry cask », un Cognac vieilli quelques mois en fûts de Xérès spécialement sélectionné pour l’expérience. « Le type de Xérès que nous avons sélectionné (Pedro Ximenes) confère au produit douceur et richesse aromatique. C’est un Cognac qui plaît par son originalité tout en restant dans le style de l’AOC ». La qualité a d’ailleurs été distinguée d‘une médaille d’or au « Travel retail spirits masters 2 017 » dans la catégorie Cognac. Pour le directeur de Courvoisier, il est vital que le Cognac occupe le terrain de la créativité. « C’est un moyen d’apporter de la dynamique à la catégorie et de démontrer à nos interlocuteurs toute la modernité de notre filière ».

 

Bache Gabrielsen, le style Cognac peaufiné.

 

La maison Bache-Gabrielsen, de son côté, a pris le parti de travailler un style de chêne particulier. Le chêne américain (Querqus Alba) ne pousse pas sur le continent européen. Il est pauvre en tanins mais riche en composés aromatiques dits « gourmands » avec les notes de Pâtisserie et fruitées parfois exotiques comme la noix de coco. Le chêne américain n’est pas une essence utilisée traditionnellement pour le Cognac (alors que sont utilisation est assez répandue dans les vins) mais le cahier des charges ne l’interdit pas.

« Nous avons sélectionné les bois et conçu, avec notre tonnelier, Seguin Moreau, des fûts justement toastés pour obtenir le contenant idéal. Nous recherchions une belle harmonie entre la qualité spécifique de notre eau-de-vie, le vieillissement en chêne Français et la finition en chêne américain. Il nous a fallu faire plusieurs essais mais nous l’avons trouvé », explique Philippe Bergier, le maître de chai de la maison. L’idée n’était pas de faire un le buzz marketing mais de réaliser une nouvelle composition de Cognac gourmande et agréable ». Ce VSOP + que l’on pourrait croire prédestiné au marché américain ne rencontre pas le succès imaginé outre-atlantique. C’est au contraire en Norvège, et en Russie que les ventes décollent le plus vite, preuve que pour le commerce, comme pour l’innovation, il n’existe pas de recette prédéfinie. Les succès ne se révèlent que lorsqu’ils sont confrontés aux à la réalité des marchés.

 

La commission innovation pour arbitrer

 

Si toutes ces questions semblent simples au premier abord, on constate que chaque innovation en appelle toujours une autre un ton plus audacieuse. Les contours de l’appellation ne sont pas en péril à ce jour mais ils pourraient bien le devenir en l’état actuel de la réglementation. Car ce qui est incommode dans cette affaire, c’est le cadre mou qui délimite les pratiques de vieillissement. En l’absence de règles claires, les entreprises ne peuvent pas sereinement exprimer tout leur talent en matière de créativité. Les plus audacieux pousseront les limites de l’interprétation réglementaire jusqu’à leur extrême au risque de l’infraction. Les plus respectueux des règles resteront cloîtrés dans leur modèle en priant pour que le consommateur ne se lasse pas de l’histoire immuable qui accompagne leurs produits.

Les règles de vieillissement de l’appellation doivent donc être redéfinies, c’est une évidence. Mais la question est maintenant de dire où poser les limites.

Pour ce faire, les membres de la commission innovation devront probablement tenter de prendre position pour dire ce qu’est précisément la typicité du Cognac. Et, sur le sujet, chacun a sa propre opinion. Un avis toujours très clair et précis mais généralement différent de celui du voisin…

Au final les conditions de vieillissement et d’affinage retenues passeront une fois de plus par le consensus car la typicité correspond toujours à la qualité qui convient au plus grand nombre… À méditer…

 

 

Thierry FABIAN de l’INAO

Renforcer les liens à l’origine et non les distendre.


La commission eau-de-vie de l’INAO s’est dernièrement saisi de la question du finishing. Pour l’INAO, il existe une insécurité juridique ax multiples conséquences qu’il convient de clarifier. En premier lieu, il y a la question de la typicité de l’indication géographique concernée et les éventuelles conséquences sur son image ou sa notoriété. En second lieu, il y a les conséquences pour le produit qui a « typé le contenant ». En clair, l’utilisation du terme « Sauternes » dans le cadre des finish ne pourrait-elle pas avoir, dans certains cas, des effets dégradants pour le prestigieux vin Bordelais ?

Pour Thierry Fabian, les innovations doivent être l’occasion de renforcer des liens géographiques et non de les distendre. Car c’est précisément ce lien, qui prouve l’antériorité et qui permet aux AOC de se protéger lorsqu’elles sont attaquées.

La pratique du Finish s’est avérée être un excellent moyen de séduire de nouveaux adeptes et la plupart des spiritueux du monde s’y sont convertis. Mais aujourd’hui, les eaux-de-vie inscrites sous signe de qualité, comme, par exemple, les Rhums, sont souvent les seules de leur catégorie à ne pas se permettre ces mentions très prisées du public.

La culture du finish en fûts de Xéres et de Porto pour les Scotch Whisky a pour origine l’utilisation traditionnelle des fûts d’importation de ces vins en Écosse. « Nous ne pouvons pas avoir la même approche que pour le Whisky mais la commission eaux-de-vie s’interroge sur la façon de faire entrer de la diversité dans les gammes des appellations ». Selon l’agent de l’INAO, la question du finishing va inévitablement imposer aux professionnels de mieux définir ce qu’est le vieillissement « initial » du Cognac, c’est-à-dire le socle commun à partir duquel il sera éventuellement possible de débuter une étape de finish.

 

 

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