Hommage à René Mouche « Une personnalité exceptionnelle » par Jean-Marc Olivier

30 octobre 2014

p34.jpg« Il ne laissait personne indifférent.

Dès la première rencontre on était impressionné par son regard perçant, enjoué, un peu espiègle qui allait à l’évidence plus loin que les simples apparences.

Il arborait sans fausse honte ni modestie mais non plus sans ostentation, sa condition de paysan. Le verbe était clair, avec un accent charentais sans complexe que venait parfois dans la conversation, rehausser quelques expressions de ce patois qu’il aimait parler avec ses amis quand il en avait l’occasion.

Naturel, authentique, tout d’une pièce, il n’avait jamais l’envie de paraître ce qu’il n’était pas et il regardait toujours d’un air amusé ceux qui bombaient le torse ou jouaient un personnage.

Un cœur « gros comme ça » est une expression qu’il aimait parfois utiliser pour quelques personnes qu’il aimait bien et qui évidemment lui allait à ravir. Une vraie bonté et générosité, elles aussi sans ostentation. Pour lui c’était naturel d’aider quelqu’un dans le besoin si on pouvait le faire. Faisant en sorte de se rendre disponible que ce soit pour les habitants de Saint-Simeux dont il fut longtemps le maire, pour ses collègues viticulteurs, éleveurs, pour ses parents et ses amis, tout le monde savait pouvoir compter sur René. Il savait écouter, se mettre en toute simplicité à la portée de chacun, essayer de comprendre les difficultés et y apporter des solutions quand cela était possible. Cette générosité se voulait aussi dynamique. Il était attentif à l’énergie que mettaient les gens à se sortir de leur problème et n’avait pas de complaisance pour les paresseux et les assistés.

Son engagement professionnel poursuivait plusieurs objectifs : Le progrès

Il était convaincu qu’il restait encore beaucoup à faire pour améliorer les techniques, les performances, les conditions de travail, les organisations. Ce fut le sens de son engagement au sein de la chambre d’agriculture et des groupements de développement agricoles. Il fallait, disait-il, « aider les agriculteurs à regarder par dessus leur haie. » Le vrai progrès c’est celui qui emmène tout le monde. Un progrès raisonné. Ecologiste avant l’heure, il avait un profond respect de la nature et de tous les êtres vivants. A l’époque de la vache folle, il était atterré que des gens aient pu imaginer nourrir des ruminants avec de la poudre de cadavres d’autres animaux. Il était évident pour lui que contrarier la nature ne pouvait rien apporter de bon, il fallait essayer de la comprendre pour profiter de ses bienfaits.

La mise en place de structures économiques pérennes et viables

Pragmatique et réaliste, il savait que sans structures économiques solides on ne pouvait pas progresser. Il savait aussi que l’affrontement n’était pas générateur de solutions équilibrées et durables, car il appelle évidemment la revanche. C’est pour cela que lorsque je lui avais demandé en 1985 de m’aider à créer la Sica des Ba-ronnies, avec l’appui de Jim Ford, il avait
aussitôt répondu oui. Persuadé que le Cognac se gère sur le long terme, que son histoire est jalonnée de moments euphoriques mais aussi de grandes dépressions et que ce sera toujours ainsi, il fallait mettre en place des structures économiques partena-riales entre la viticulture et le négoce, dans lesquelles on puisse dialoguer, s’écouter et se comprendre, pour gérer les bons comme les mauvais moments. L’économie contractuelle lui paraissait la seule voie pour une gestion saine et respectueuse des intérêts des deux parties et il a fait en sorte que ce soit le cas à la Sica. Ceci sous-entendait bien sûr le respect de la parole donnée sans lequel rien n’est possible. Il fut très courroucé au début des années 1990 de voir que certains se défilaient de leurs engagements pour profiter de meilleures opportunités, quand il a fallu se résoudre à stopper l’opération de diversification de Montagan. Ceci n’a cependant pas ébranlé ses convictions. La décennie 90 fut particulièrement difficile à gérer pour les coopératives associées face à des maisons de négoce contraintes de s’adapter à la chute des marchés et à des viticulteurs confrontés à d’énormes difficultés économiques dans leurs exploitations. Il a fallu tout le bon sens, l’intelligence, l’humanité et la générosité de René Mouche pour passer cette période compliquée et quand il a décidé de mettre un terme à son mandat de président en 1996, « la standing ovation » que lui ont réservé les 1 000 viticulteurs de la Sica, a montré qu’il avait bien réussi.

La solidarité et l’entraide

Le mandat auquel peut-être il tenait le plus dans ses responsabilités professionnelles, était celui qu’il occupait au sein de l’UDSEA. Il était convaincu que seul on ne peut pas grand-chose, que s’enfermer dans son égoïsme peut donner l’illusion de faire mieux que les autres mais au bout du compte le résultat est peu valorisant et éphémère. Il n’était cependant ni dogmatique, ni homme à défiler derrière un drapeau. Il tenait à son indépendance d’esprit et de pensée, mais savait adhérer quand il était d’accord sur l‘essentiel. Il était alors mobilisable pour les combats tant que ceux-ci avaient un sens et étaient respectueux de ses valeurs d’humanité. Il était également convaincu que l’entraide entre les paysans était une valeur ancestrale qu’il fallait continuer à cultiver et mettre en avant, allant à contre-courant de l’évolution vers une société sans cesse plus individualiste, privilégiant le profit individuel parfois au détriment des valeurs collectives qui ont permis aux communautés rurales de survivre et se développer. Nous avions mis en place dans le cadre des groupements de développement agricole, les mutuelles coups durs qui permettaient à un groupe de viticulteurs de se fédérer pour se porter assistance gratuitement en cas de problème. Ce projet l’avait enthou-
siasmé, car il était absolument en ligne avec ses valeurs personnelles : la solidarité pour aider les autres en cas de besoin, sans notion de prix du service, l’engagement pour essayer de se tirer d’un mauvais pas en pouvant compter sur l’appui indispen-sable des autres pour quelque temps.

Son rôle de maire répondait aussi à cet objectif. Il a exercé ses mandats avec beaucoup d’humilité, soucieux d’aider la collectivité à s’adapter aux évolutions économiques et administratives, pour que son village se développe harmonieusement, en gardant son âme, son cachet et continue à attirer des jeunes familles. Soucieux également d’aider chacun quand il en avait besoin. Tout le monde connaissait « Tourtron » où on savait pouvoir le trouver, à n’importe quelle heure. On n’était jamais un intrus. Quelle que soit la question il prenait le temps d’écouter, de comprendre et s’il pouvait aider, c’était tout simplement naturel.

René était assurément une belle personne, comme on en rencontre peu au cours de son existence. Une personne rare qui rassemblait tellement de valeurs humaines avec un naturel et une authenticité qui vous mettaient rapidement sous le charme. Il vivait simplement. Sa maison, son exploitation étaient le reflet de sa simplicité, fier de ses vignes, de ses animaux, des cultures de légumes anciens qu’ils savouraient autant à cultiver qu’à déguster.

La famille était aussi une valeur qui faisait partie de son ADN. La maison a longtemps abrité plusieurs générations, parce que garder les anciens à la maison jusqu’à la fin de leurs vies était aussi une attitude naturelle.

Modeste, il l’était autant avec les siens. Sa fille avait un père agriculteur, c’est tout, et c’est en lisant la presse qu’elle a découvert que ce père qu’elle voyait chaque jour se lever aux aurores pour soigner ses animaux et travailler jusqu’à pas d’heure pour traiter ses vignes, était aussi une personnalité du monde agricole, reconnue, respectée qui exerçait beaucoup de responsabilités.

Modeste, il l’était aussi dans son érudition. On se rappelle de ses discours enflammés à la Sica, citant Tocqueville ou Clemenceau, ou des conversations au cours desquelles il aimait utiliser des références historiques ou des concepts philosophiques, toujours bien ajustés à ses propos.

Le départ de son père à la deuxième guerre l’avait promu avant l’heure soutien de famille mais privé de ses études secondaires et universitaires. Il en concevait une certaine amertume et un certain regret, mais l’autodidacte qu’il était devenu n’avait rien à envier aux grands diplômés, car cela lui avait permis de conserver une authenti-cité et une fraîcheur de pensée qu’il aurait peut-être perdues et une vision toujours plus pragmatique qu’idéologique.

René fait partie des grandes figures du monde viticole de cette deuxième moitié du XXe siècle qui ont su par leur détermination, leur bon sens, leur pragmatisme et leur charisme, faire évoluer les mentalités et les organisations, pour permettre au Cognac d’être ce qu’il est aujourd’hui. »

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