Pourquoi les irlandais choisirent Cognac !

7 mars 2009

Ils s’appelaient James Delamain, Richard Hennessy, John Saul, Samuel Turner… jeunes hommes ambitieux dotés d’un fort sens pratique et d’un talent pour les affaires. La plupart nouèrent des alliances matrimoniales locales et certains bâtir des dynasties. Dans son nouvel ouvrage, le professeur Louis M. Cullen peint le portrait humain, nuancé de ces hommes et, accessoirement, répond à la question du choix de l’implantation à Cognac plutôt qu’à Bordeaux, La Rochelle ou Nantes.

 

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Louis M. Cullen et Catherine Simon-Goulletquer.

Si le XVIIe siècle appartint aux Hollandais, le peuple le plus riche de l’époque, les Anglais régnèrent sur le XVIIIe siècle, en tout cas pour ce qui concerne le choix des alcools. Dans les années 1750, les consommateurs les plus raffinés, les plus en vue se trouvaient à Londres. Ce sont eux qui créèrent le marché des eaux-de-vie de qualité. Et ils opèrent pour le raisin, le marché des eaux-de-vie de grain se montrant par trop aléatoire. En effet, en cas de mauvaise récolte, quand blé, orge ou l’avoine manquaient pour l’alimentation des hommes, difficile de penser à distiller. Mais pourquoi choisir Cognac alors que se fabriquaient des eaux-de-vie de vin un peu partout, en Italie, en Espagne, sur le littoral occitan, à Bordeaux, La Rochelle ou Nantes ? L’historien irlandais Louis M. Cullen livre une explication : quand les autres régions distillaient leurs surplus de vins, la région de Cognac avait déjà sélectionné un cépage – la Folle blanche – qui, par ses faibles degrés, se révélait particulièrement apte à la production d’eau-de-vie. Alors que l’Aunis et la région de Saint-Jean-d’Angély étaient connues dans toute l’Europe pour leurs vins doux, Cognac affichait la volonté délibérée de spécialiser son vignoble. Ainsi, inutile de chercher « midi à quatorze heures ». Cognac doit sa position de première région productrice d’eau-de-vie à des raisons éminemment qualitatives. Mais cette place, ce sont ses principaux clients, les consommateurs anglais, qui la lui concèdent. Le professeur M. Cullen établit à cet égard un parallèle éclairant entre le XVIIIe et le XIXe siècle. « Au XVIIIe, dit-il, Cognac était une très petite ville qui manquait “d’estime d’elle-même”. Au XIXe siècle, les choses changent. Les affaires se développent et les maisons de Cognac vont vouloir “dominer “le client. S’ouvrira l’ère de la propagande et de la puissance des marques. »

d’ambitieux jeunes gens

En plein essor dans les années 1760, le commerce des eaux-de-vie attire de jeunes anglo-saxons ambitieux et souvent peu fortunés. Dans la ville de Bordeaux toute proche, la colonie anglophone est à 95 % irlandaise, composée de protestants mais aussi de catholiques. Des rues, des maisons de commerce et des châteaux continuent de porter des noms irlandais. Les patronymes de Lawton, Barton et Johnston sont encore très connus à Bordeaux. Richard Hennessy arrive à Cognac en 1765, James Delamain l’a précédé de quelques années. Ils auraient pu s’installer à La Rochelle ou à Tonnay-Charente, ports d’embarquement des barriques de Cognac, mais les mauvaises fièvres des marais les en dissuadent. Cognac leur apparaît une ville plus saine. Elle présente aussi l’avantage d’être plus proche des fournisseurs viticoles. Très vite, une stratégie claire se dessine. Les jeunes irlandais (ou anglo-normand dans le cas de Jean Martell) apportent leurs talents commerciaux, leur sens pratique et leurs réseaux de parentèle en Angleterre, en Hollande, en Allemagne. En contrepartie ils n’auront de cesse de nouer des alliances matrimoniales avec les familles du cru, aussi intéressés à mettre un pied dans le vignoble que par les dots des demoiselles. Pour un « pauvre » Richard Hennessy déjà marié à une compatriote, Nelly, un Jean Martell (installé à Cognac dès 1718) épousera en première noce une demoiselle Brunet puis, en second mariage une demoiselle Lallemand, issue d’une famille encore plus puissante que la précédente. Au terme d’une intrigue amoureuse « sensationnelle », John Saul réussira à épouser Victoire Bernard, malgré le peu d’enthousiasme des parents de la jeune fille. Cette stratégie matrimoniale appliquée « à marier la viticulture au négoce » prendra un nouveau tour en 1795 avec le mariage de James Hennessy (fils de Richard) avec une demoiselle Martell. Et son prolongement dans l’union de Lucie-Hélène Hennessy, fille de James, avec Jean-Gabriel Martell en 1816.

Au XVIIIe siècle, à Cognac, quelle langue parlait-on dans ces familles composites de négociants où des Anglais avaient épousé des Françaises ? « Très vite, témoigne Louis M. Cullen, le français s’est imposé, aussi bien dans le cercle familial que pour les affaires. Le français était la langue de la vie active. » Les choses ont bien changé depuis.

 

Louis M. Cullen, professeur émérite au Trinity College, Université de Dublin

bruno_et_louis.jpgReconnu comme le grand spécialiste du commerce des eaux-de-vie au XVIIIe siècle, Louis M. Cullen connaît bien les Charentes. Voilà 30 ans qu’il les arpente régulièrement pour poursuivre ses recherches dans les correspondances personnelles autant que commerciales (souvent confondues) des maisons de négoce. A titre d’exemple, Richard Hennessy et John Saul auront échangé des lettres durant 25 ans, jusqu’à la mort de Saul en 1788. A l’égard du Cognac, le professeur M. Cullen parle d’une « richesse archivistique remarquable », composée de plusieurs « fonds » – fonds Martell, fonds Augier… – et bien sûr de « l’énorme » fonds Hennessy. Après avoir rédigé un premier ouvrage de référence, « Le commerce des eaux-de-vie sous l’Ancien Régime » (édition Le Croît vif, 2002), Louis M. Cullen poursuit son travail avec un nouveau livre « Le choix de Cognac, l’établissement des négociants irlandais au XVIIIe siècle », toujours publié au Croît vif, la société d’édition dirigée par Bruno Sépulcre. Les deux livres ont été traduits par Catherine Simon-Goulletquer (aidée pour le premier par Alain Braastad). Louis M. Cullen nourrit une autre passion et un autre sujet d’étude, l’histoire du Japon au XIXe siècle. Ainsi, quand on le croit à Cognac ou à Dublin, peut-être est-il à Tokyo ou à Kyoto.

« Le choix de Cognac, l’établissement des négociants irlandais en eaux-de-vie au XVIIIe siècle », Ed. Le Croît vif, 320 pages, 8 hors-texte, 15 illustrations, 2006, 25 €.

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