Force est de constater que le Cognac ne fait pas partie des produits les plus dangereux. Pas comme ces sacrées pizzas, pleines de bonnes choses prêtes à se décomposer sous nos yeux ou encore ces crottins de chèvres sur lesquels les mouches s’acharnent à poser leurs sales petites noires et velues derrière la vitrine du marchand ambulant. Sa principale dangerosité, au Cognac, tiendrait peut-être à l’abus de p’tits verres (hic) mais la double distillation élimine beaucoup de méchantes choses et sur les chaînes de mises en bouteilles, on ne s’amuse pas tous les jours à remplir les flacons de tessons de verre. Reste qu’il y a cette fichue réglementation avec qui il faut se mettre en conformité, une resucée de la Directive européenne « Hygiène des aliments » de 1993, qui s’est refait le portrait en 2002. Et puis l’on ne peut jamais prédire qu’un consommateur ne trouvera pas un « grain de folie » au Cognac. Comme la meilleure défense c’est l’attaque – ou en tout cas l’anticipation des problèmes – il est dit que « les entreprises doivent apporter la preuve que le produit est sain et sans danger pour le consommateur ». Les dangers, G. Ferrari, ingénieur à la Station viticole, chargé de projet HACCP, les classe en trois grandes familles : les dangers microbiologiques, mais on a dit que le Cognac y était peu ou pas soumis, les dangers physiques genre débris, toujours possibles mais statistiquement rares et enfin un danger qualifié de « plus sournois », le danger chimique, essentiellement par contamination. On pense aux produits de nettoyage mais aussi aux surfaces de contacts, plastique, métaux, verre… Eh oui, même le verre, pourtant réputé totalement inerte, ne le serait pas autant qu’il en a l’air. « On joue un peu à se faire peur avoue le technicien de la Station mais aujourd’hui, il est indéniable qu’un nouveau champ d’étude s’ouvre sur ces questions de migration d’un matériau au contact d’un produit alimentaire. La détection du risque potentiel réclame imagination et inventivité. »
De la directive Hygiène découlent quatre grandes obligations. La première concerne le respect des exigences essentielles de l’hygiène, avant même de parler d’HACCP. C’est ce que l’on appelle le respect des « prérequis », en fonction de la réglementation nationale existante. En d’autres termes, on vérifie « que le socle est bon » en matière de locaux, de personnel, de moyens mis en œuvre (exemple de cuves béton qui n’auraient pas été détartrées depuis dix ans !). Vient ensuite l’HACCP proprement dite « ou l’obligation pour toute entreprise de prévoir des moyens de maîtrise du risque alimentaire » (voir plus loin). La troisième obligation fondamentale touche à la formation du personnel à l’hygiène. « Les textes sont très précis en la matière » signale G. Ferrari. La quatrième obligation fait référence à l’enregistrement des pratiques. C’est le volet « traçabilité » qui consiste à identifier un lot et pouvoir le rapatrier en cas de problème. Cette traçabilité s’étend aussi à tout l’environnement de la production (conservation des fiches de maintenance, des certificats d’alimentarité, des bons de livraison, des cahiers des charges, des attestations de stages…).
La méthode HACCP, dite aussi « norme HACCP », n’est pas à proprement parler une norme mais un outil et encore un outil recommandé (par le codex alimentarius de la FAO) et non imposé. D’ailleurs, si les professionnels d’une filière choisissent la « norme » HACCP, ils en conservent la main. Classiquement, l’HACCP se définit comme l’analyse des points critiques qui se manifestent au cours du processus de fabrication du produit. Sur une exploitation viticole, on ne trouvera peut-être que 2 ou 3 points critiques sur les 15 ou 20 listés dans le parfait manuel du pratiquant. Mais qu’importe ! L’objectif n’est pas de cocher l’ensemble des cases ni de « monter une usine à gaz ». « Dans l’ensemble, 90 % du travail est déjà fait mais n’est pas formalisé » constate l’ingénieur de la Station viticole, animateur du groupe de travail HACCP/traçabilité. Qui plus est « chaque exploitation est un cas particulier ».
Bon sens et sens de l’observation
En matière de détection du risque, les principales qualités s’appellent bon sens et sens de l’observation, exercées seul mais aussi en groupe. L’HACCP, c’est également « laisser du temps au temps ». En clair, définir ses objectifs et ensuite se fixer un plan d’action dans le temps. « On ne peut pas tout avaler d’un coup. Il faut se montrer pragmatique en affichant des objectifs légers et clairs, très concrets. »
Contrôle des intrants qui risquent d’être en contact avec les produits alimentaires, contrôle des nuisibles, plan de nettoyage et de désinfection des locaux, approvisionnement des bâtiments en eau potable, principe de la « marche en avant » qui consiste à aller du sale au propre, de la cour de ferme à la cuve de vinification… « De l’hygiène, tout le monde en fait, note G. Ferrari. Il faut simplement se montrer très rigoureux. » Ceci étant, il existe quelques grandes étapes. La première d’entre elles, comme on l’a vu, consiste à identifier les points à risques dans le process de fabrication (cuves, groupe de froid…). Ensuite, il va falloir mettre en place une surveillance et prévoir des mesures préventives ainsi que correctives en cas de « dérives ». Derrière cela, on vérifiera que le dispositif mis en place est « efficace et approprié », qu’il est « documenté » – qu’il en reste une trace écrite, d’où le terme de traçabilité – et qu’il est bien appliqué par le personnel, formé et sensibilisé à la question.
« Il faut franchir le pas, on n’a pas le choix. » Gérald Ferrari insiste sur le côté inéluctable du « passage à l’acte ». « La directive communautaire date de 1993, son actualisation de 2002. On peut considérer que 2003 a été une année de mise en jambe mais on ne pourra pas attendre 2004 et encore moins 2005 pour commencer. » Il rappelle que la Station viticole tient à la disposition des viticulteurs, et ce gratuitement, deux types de documents : un classeur traçabilité de la filière Cognac, composé de supports de traçabilité sous forme de fiches d’enregistrement et un manuel HACCP simplifié. Si les metteurs en marché – entendre les vendeurs directs en viticulture – furent les premiers à être concernés à « 100 % » par la démarche, les autres n’en sont pas exclus pour autant. « On pourrait s’interroger sur le cas des viticulteurs qui ne livreraient que des raisins, indique l’ingénieur de la Station. Mais en dehors de cela, à partir du moment où il y a transformation – vinification, distillation – tout le monde est dans le collimateur. » Et d’indiquer que les services de la DGCCRF (Consommation et Répression des Fraudes) ont déjà opéré des contrôles dans le Bordelais. Au-delà « de la peur du gendarme », la Station viticole du BNIC recommande de profiter de l’HACCP pour améliorer la qualité du produit ainsi que la sécurité du personnel. « Faisons d’une contrainte une opportunité. » Gérald Ferrari parle aussi du nécessaire « engagement » du viticulteur, de la volonté affichée de mettre en place une démarche réfléchie. « Il ne s’agit pas de foncer tête baissée mais de commencer à se renseigner et se former afin de ne pas partir un bandeau sur les yeux. »
Manuel HACCP du BNIC
4 000 classeurs distribués avant la fin de l’année
Selon les estimations de la Station viticole, d’ici la fin d’année, environ la moitié des viticulteurs de la région délimitée seront détenteurs du classeur HACCP/traçabilité de la filière Cognac mis au point par le groupe de travail piloté par l’interprofession. Considéré comme incomplet par certains, il est le fruit d’un compromis et représente une base de départ. Une façon de mettre le pied à l’étrier.
Des maisons l’ont distribué à leurs livreurs, des viticulteurs l’ont pris qui à la Station viticole, qui dans les Chambres d’agriculture… Le document, gratuit, comporte une trentaine de feuillets perforés et s’articule en trois parties. La première partie brosse le tableau général de l’HACCP, la deuxième rentre dans le détail des mesures (maîtrise des points critiques, guide d’autodiagnostic, modèle de plan d’hygiène, liste de documents à conserver…) et la troisième propose des fiches d’enregistrement vierges dans les différents domaines soumis à traçabilité.
Les professionnels ont demandé au groupe de travail « HACCP/traçabilité » animé par Gérald Ferrari, de la Station viticole, d’envisager la mise en place d’une version informatisée du support papier. Différentes solutions sont à l’étude – CD, disquette, accès extranet sur le site du BN – en sachant que la philosophie d’ensemble consiste à favoriser une convergence des initiatives et une harmonisation des pratiques. Pour l’interprofession par exemple, la solution extranet – celle qui consisterait à ce que les viticulteurs saisissent en ligne leurs fiches d’enregistrement sur le site internet du BN dédié aux professionnels – aurait le mérite de regrouper les informations sur une même base de données, au service de la communauté viticole. G. Ferrari accorde à l’option extranet l’avantage, pour le viticulteur, de solutionner la mise à jour des fichiers, de bénéficier d’un stockage sécurisé des données (en cas de panne de l’ordinateur) et de pouvoir utiliser n’importe quel PC, même ancien, pourvu qu’il soit doté d’un modem. Ne pas oublier cependant que les zones rurales, en règle générale, ne sont pas équipées de la ligne à haut débit et qu’une connexion à internet revêt un coup, celui du téléphone.
Sur le contenu du classeur lui-même, le responsable du projet HACCP à la Station admet volontiers qu’il s’agit d’une base de travail, destinée à être complétée. « C’est le résultat d’un compromis, long à obtenir, entre les exigences des uns et des autres. Ceci étant, si ce qui est proposé était déjà fait, ce serait très bien. »