« Le Paysan Vigneron » – Une Chambre régionale d’agriculture qui va chapeauter12 départements, de la Corrèze aux Pyrénées-Atlantiques en passant par la Gironde et les deux Charentes… Avec untel périmètre, ne peut-on craindre le phénomène de dilution ?
Xavier Desouche – C’est évident, plus on s’élargit, plus le risque de dilution existe. C’est bien pour cela que les chambres départementales doivent tout faire pour conserver un ancrage très fort à leur territoire. Si nous voulons faire reconnaître et défendre notre identité, nos spécificités, ce sera au prix d’une gestion de proximité, au plus près des attentes des agriculteurs. A ce titre, il est clair que notre initiative d’achat des murs du bureau décentralisé de la chambre d’agriculture, à Segonzac, s’inscrit dans cette logique (voir encadré).Avec la nouvelle chambre régionale, l’idée n’est pas non plus de créer une super structure dotée de tous les pouvoirs. Les chambres départementales ont vocation à constituer la base de la pyramide, à garder, à conforter la capacité de décision départementale. C’est une volonté forte des élus. Mais, pour discuter des enveloppes régionales, nationales, voire européennes, il fallait bien trouver un échelon en phase avec le nouveau découpage. Cette mise en cohérence était indispensable. Très vite par exemple, va s’imposera nous la négociation de la future PAC 2020et ses fameuses enveloppes du second pilier cogérées par les régions à travers les PDR (programmes de développement ruraux). On peut même se demander si en2017, date prévue pour une révision partielle des PDR 2015-2020, il n’y aura pas une tentative de rapprochement des trois politiques Aquitaine, Limousin et Poitou-Charentes. En effet, comment une seule e même région pourrait-elle défendre trois politiques différentes ? Parallèlement, l’Administration est en train, elle aussi, de se réorganiser. DRAAF, DREAL, Direccte,DRJS, d’autres services encore vont bientôt déménager.
« Le Paysan Vigneron » – Quelle ville va accueillir la future capitale régionale ?
Xavier Desouche – Bordeaux, bien sûr. Il n’y a même pas eu besoin de réfléchir. La réponse allait de soi. A noter toutefois quel es choses s’annoncent un peu moins évidentes que prévues. Après arbitrage politique,il a par exemple été décidé fin juillet que la DRAAF n’irait pas à Bordeaux mais à Limoges. Par ailleurs, la tendance existe de privilégier des implantations multisites,en les spécialisant. Ainsi, FranceAgriMer pourrait s’éclater en trois pôles :un à Poitiers pour les céréales, un à Bordeaux pour la vigne et un à Limoges pour l’élevage. En Charentes, nous avons la chance de ne pas être trop éloignés de Bordeaux. Car il ne faut pas trop rêver !Des problèmes de distance se poseront. Aujourd’hui, il est beaucoup question de visio-conférence. Mais ce ne sera pas la solution miracle. A huit ou dix personnes autour de la table, c’est déjà assez compliqué.Alors imaginez douze présidents de chambre, leurs douze directeurs, plus le président et le directeur régional en train de discuter devant un écran. C’est de la pure fiction !
« Le Paysan Vigneron » – Au final, ce redécoupage des régions offre-t-il devrais avantages ?
Xavier Desouche – Sans doute. Notre région tout particulièrement va avoir un énorme potentiel. Tant en termes de surface que de valeur ajoutée, elle sera la plus grosse région de France. L’équivalent de la Belgique ou de l’Autriche.«
Le Paysan Vigneron » – Comment s’appellera-t-elle ?
Xavier Desouche – On ne le sait pas encore. Aujourd’hui, elle existe sous le nom d’ALPC pour Aquitaine, Limousin,Poitou-Charentes, mais il s’agit-là d’un libellé provisoire, qui n’a pas vocation à durer.
« Le Paysan Vigneron » – En viticulture, la région ALPC constituera un poids lourd.
Xavier Desouche – Tout à fait. L’addition des trois vignobles – Gironde, Charentes,Sud-Ouest – donne un potentiel d’environ220 000-230 000 ha, entre les 120 000 ha de Bordeaux, les 80 000 ha de Cognac et les 20 000 ha du Gers et des autres régions iticoles du Sud-Ouest. Ce sera le secondbassin viticole français, juste après celui de Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussilon.
« Le Paysan Vigneron » – La planète Cognac ne risque-t-elle pas d’être aspirée par celle de Bordeaux ?
Xavier Desouche – Ce sera le rôle des professionnels et des élus d’être vigilants pour se faire entendre, afin de ne pas compter pour portion congrue. L’idée !Veiller aux bonnes clés de répartition des enveloppes ; être suffisamment forts sur le terrain pour justifier des programmes et transferts financiers ; être suffisamment unis pour véhiculer un discours audible au niveau régional. Mais nous ne partons pas battus ! Pour ne considérer que l’aspect développement chambre, Bordeaux affiche un « Vinopôle » d’environ 80 personnes,plus les équipes de l’IFV. A y regarder de plus près, ce réseau est relativement atomisé. A nous de défendre nos particularités,de rationaliser nos méthodes .En viticulture, nous fonctionnons déjà en« interdépartemental » avec nos collègues de Charente-Maritime. Des rapprochements sont sans doute à construire, à intensifier avec d’autres partenaires de la filière vigne et vin. Je pense notamment à la Station viticole du BNIC, pour la partie viticole des programmes de recherches. Ce qui ne nous empêchera pas de partager des outils avec la Gironde. Après tout,entre Bordeaux et Cognac, l’agronomie viticole n’est pas si différente.
« Le Paysan Vigneron » – En termes d’emplois, la fusion des trois chambres ne va-t-elle pas se traduire par une révision des postes, voire une perte d’emplois ?
Xavier Desouche – Que constate-t-on ?Les trois chambres régionales partent avec des périmètres variables : 13 salariés et un certain nombre de mises à disposition pour le Limousin, 18 personnes plus des mises à disposition en Aquitaine,38 personnes et des mises à disposition pour le Poitou-Charentes. Mais, à la différence des deux autres, notre chambre régionale s’occupait de l’identification des animaux (10 salariés) et de l’informatique, déjà mutualisée à l’échelle des quatre départements (également dix personnes). On ne va pas se le cacher ! Une forte inquiétude existe au niveau des salariés. Ils se demandent ce qu’il va advenir de leurs postes en cas de doublons, voire de triplons, si le mot existe. Pour l’instant, les modalités de la réorganisation ne sont pas définitivement arrêtées. Beaucoup d’incertitudes demeurent. Cependant, il est clair que les fonctions supports – DRH, finances, informatique – ont vocation être partagées. Est-ce à dire qu’il y aura des suppressions de postes ? Aujourd’hui, je ne pense pas que ce soit tellement le sujet, tant les chambres départementales ont besoin d’expertises, d’ingénierie, dans tous les domaines. Pour développer nos nouveaux services auprès des agriculteurs, nous devrons nous appuyer sur des hommes et femmes d’expérience.
« Le Paysan Vigneron » – La nouvelle chambre régionale fonctionnera avec quel budget ?
Xavier Desouche – Ce sera certainement la compilation des trois budgets précédents. Mais sur ces aspects aussi quelques arbitrages restent à prendre. Ici et là, des oppositions de principe se sont fait jour, lorsque nous sommes entrés dans des discussions très pratiques, très précises. D’ailleurs, les dissensions n’apparaissent pas forcément là où on les attend. J’ai confiance dans le principe de réalité. En règle générale, il permet de surmonter les obstacles.« Le Paysan Vigneron » – Quels syndicats agricoles vont se retrouver dans la nouvelle entité ?Xavier Desouche – Deux départements sont Coordination rurale – Lot-et-Garonne et Charente – et tous les autres sont FNSEA-JA. En Poitou-Charentes, des tensions ont toujours existé mais elles étaient plutôt dues à des visions différentes qu’à une grille de lecture purement syndicale. Si l’approche syndicale nous fait nous opposer sur certains sujets, dès que l’on entre dans le détail, les divergences s’aplanissent. Tous, nous essayons de travailler pour le bien de l’agriculture. Nous poursuivons le même but.
« Le Paysan Vigneron » – Demain, dans la grande région, comment s’articulera la représentation des différents départements?
Xavier Desouche – Pour l’instant et jusqu’aux nouvelles élections chambres de2019, la fusion se traduira par le maintien de l’ensemble des élus chambres dans la nouvelle structure, soit environ 150 personnes,puisque chacune des chambres régionales compte aujourd’hui entre 45 et47 élus. Mais ensuite, il y aura sans doute une réduction des effectifs. Si l’on table sur un format de 24 élus pour la nouvelle entitié, cela donnera deux élus par département.Ces élus devront être disponibles.Et ils auront une sacrée charge de travail. En plus d’une grosse responsabilité, il faudra qu’ils se fassent entendre.
« Le Paysan Vigneron » – Le 29 octobre prochain va avoir lieu la session d’installation de la nouvelle chambre régionale. Qu’est-ce que cela signifie ?
Xavier Desouche – La nouvelle chambre régionale va se mettre en ordre de marche pour être opérationnelle le 1er janvier 2016.Si l’on regarde un peu en arrière, l’APCA n’a lancé le processus de fusion qu’au printemps dernier. Cela veut dire que le chantier a été conduit en un temps record. Les présidents et directeurs de chambres se sont rencontrés trois fois : à Périgueux en avril, à La Rochelle en juin et à Limoges le 9 septembre dernier. Ces sessions de deux jours ont permis de débattre entre nous des principales questions. C’était la volonté du ministère de l’Agriculture et de l’APCA de coller au plus près du calendrier de la réforme administrative.Toutes les chambres consulaires ne sont pas si avancées que nous. Tout en défendant ses valeurs et son territoire,l’agriculture sait qu’une vision nombriliste est souvent contre-productive .
Station IFV de Segonzac : sur le départ Le 31 décembre prochain, l’IFV (Institut français de la vigne et du vin)ne renouvellera pas son loyer auprès de la commune de Segonzac. Après une quinzaine d’années de présence à Segonzac, la station IFV ferme ses portes, même si l’IFV demeure présent en Charentes, sous une autre forme.« Il y a quinze ans, l’IFV s’est implanté en Charentes pour permettre un retour de la taxe ANDA versée par les viticulteurs. C’était la seule façon d’organiser ce retour vers la filière », se souvient un témoin direct. Quand la station IFV se met en place à Segonzac,on lui assigne une mission bien particulière : le développement des vins de pays charentais. Conformément à cette feuille de route, l’équipe de deux ou trois techniciens va conduire de façon active des études terroirs pour trouver les cépages les plus appropriés via des micro-vinifications, etc. Au cours de ces années, l’IFV connaîtra au niveau national certaines difficultés qui se répercuteront en région. Plus récemment, un agent démissionne, un autre est muté. Au final, les locaux sont quelque peu désertés alors que l’Institut juge le loyer assez élevé. En Charentes, l’IFV préfère changer de braquet. L’Institut technique recrute un nouvel ingénieur qui, par convention, est hébergé au sein de la Station viticole du BNIC. Il n’est pas exclu que l’IFV procède à un second recrutement en 2016. Station viticole et IFV développent en commun des programmes surtout axés sur les aspects viticoles, notamment dans le cadre du plan Ecophyto.
Antenne viticole de Segonzac :la chambre d’agriculture acquiert les murs Sans doute la chambre d’agriculture s’est-elle dit qu’il valait mieux être propriétaire que locataire. Au final, cela coûte moins cher. Et puis, tandis que la nouvelle grande région se dessine, il faut peser d’un poids suffisant aux côtés du voisin bordelais. Xavier Desouche, le président de la chambre d’agriculture de la Charente, fait de cette acquisition un élément stratégique. « Plus le périmètre s’élargit, plus nous devons penser à faire valoir nos particularités. Le fait d’acquérir les murs de notre antenne viticole de Segonzac nous ancre dans le territoire, prouve notre envie de participer à un pôle de recherche et de développement ici, dans le bassin Charentes-Cognac. »En septembre 2010, quand le bâtiment est inauguré, le discours tenu par Alain Lebret, l’ancien président de la chambre de Charente, est à peu près le même : faciliter le fonctionnement d’un outil phare de la chambre, son laboratoire d’oenologie dirigé par Patrick Vinet ; participer au pôle viticole qui émerge à Segonzac avec la station de l’IFV, le Centre international des eaux-de-vie (CIEDV), la Spiritech… C’est la Communauté de communes de Grande Champagne qui porte le coût de la construction du bâtiment (1,2 million d’euros pour 900 m2).L’Etat y contribue pour 350 000 €, une aide décrochée dans le cadre du pôle d’excellence rurale « Vins et spiritueux », auquel la commune de Segonzac a candidaté en 2006.Aujourd’hui, si la chambre souhaite devenir propriétaire des murs, c’est sans doute en partie pour diminuer ses charges mensuelles. Avec la part d’autofinancement qu’elle va y consacrer, le remboursement de l’emprunt lui reviendra moins cher que le loyer. Et améliorer son patrimoine. Tout en se disant un peu surprise par cette initiative, Véronique Marendat, la présidente de la CDC de Grande Champagne et maire de Segonzac, n’a pas de mal à la comprendre. « Nous sommes avant tout des facilitateurs » déclare-t-elle avant de préciser « qu’en aucun cas ce rachat dénature la politique d’excellence rurale ».Pour elle comme pour Xavier Desouche, la nouvelle grande région commande d’être « dans un schéma offensif et non défensif ». « Nous devons avancer, mutualiser les actions, nouer des partenariats. »Partenariat ! Le mot est lâché. Très clairement, le président de la chambre verrait bien se constituer à Segonzac un pôle de développement viticole et oenologique constitué de techniciens chambre et de la partie viticole de la Station viticole du BNIC. Aux uns (IFV, Station viticole du BNIC)une recherche plus pointue ; aux autres (techniciens chambre) la mise en application sur le terrain. « Nous ne sommes pas là pour nous marcher sur les pieds mais pour nous faire grandir mutuellement. Le bassin Charentes-Cognac mérite un tel investissement dans le vignoble. »Les 800 m2 de bâtiments techniques (laboratoire, chai de vinification, chambre froide) que l’IFV s’apprête à laisser en décembre prochain (voir encadré page 11) semblent une opportunité à Xavier Desouche pour construire ce pôle viticole. Qu’en pense l’interprofession du Cognac ? Jean-Bernard de Larquier, le président du BNIC, reste prudent. « Un groupe de travail a été constitué pour réfléchir à la question des locaux de la Station viticole. Il est évident qu’il faut faire quelque chose. Mais aujourd’hui, aucune position n’est prise. Rien n’est acté. Faut-il rester sur Cognac, se délocaliser en partie ailleurs ? Les anciens locaux de l’IFV à Segonzac pourraient-ils correspondre à nos besoins ? La réflexion est en cours. »