Une vision décomplexée

13 mars 2009

La Rédaction

Opérateur charentais intervenant de longue date sur les vins, Gilles Merlet temporise quelque peu l’approche « coup de poing » de Bruno Kessler, l’acheteur vins des Grands Chais de France. Il remet en perspective l’activité vins des Charentes par rapport à ses concurrents étrangers.

gilles_merlet.jpgSur le marché des vins de base mousseux, l’Espagne possède-t-elle toutes les cartes en main, au risque d’écraser les autres sources d’approvisionnement si ces dernières ne s’alignent pas ? Concernant le rapport qualité/prix des vins espagnols, effectivement imbattable aujourd’hui, le négociant de Chérac a son opinion. « Le prix payé au producteur espagnol, d’à peine 10 F le °hl, associé à des rendements qui ne sont pas colossaux, ne s’explique que par des coûts de main-d’œuvre très très bas rendus possibles par le recours à des salariés clandestins rémunérés à des prix de misère. N’ignorons pas cette réalité. » « Aujourd’hui, poursuit-il, l’Espagne est à la France ce que l’Italie était pour notre pays il y a quelques années. Depuis, l’Italie a taillé dans son vignoble, ses prix de revient ont grimpé et les transalpins s’avèrent des concurrents beaucoup moins agressifs que par le passé. » Gilles Merlet fait le pari d’une évolution similaire en Espagne, même s’il n’ignore pas que d’autres pays attendent à la porte pour occuper des positions de dumping. C’est donc plus sur la qualité que sur les prix qu’il faut raisonner. Et là encore les Charentes ne lui semblent pas outrageusement désavantagées. « Si les élaborateurs de vins mousseux veulent faire des produits qui tiennent la route, ils ont besoin d’incorporer un acidificateur naturel et à ce niveau, les Charentes se révèlent incontournables. » De ce rôle d’acidificateur, souvent présenté comme un pis-aller, lui a presque tendance à en faire un titre de gloire. « Cela nous suffit. » Quant aux cépages aromatiques des autres vignobles, ils lui inspirent un jugement mitigé. « Les Chardonnay d’Espagne, je ne me relèverai pas la nuit pour en boire ! » Cette appréciation, il a tendance à l’étendre à la production de vins blancs « déportée vers le sud », qui souffre, selon lui, d’un manque général d’acidité et de fraîcheur. Le négociant charentais n’oublie pas non plus de restituer la place de chacun. « Ne comparons pas l’Espagne avec ses 47 millions d’hl vol. et les Charentes qui, bon an mal an, ont besoin d’écouler sur le marché des vins 1,2-1,3 million d’hl vol., dans la mesure où l’on peut penser que les gros volumes de vins de table blancs des Charentes sont derrières nous. A ce compte-là, nous devrions pouvoir durablement trouver notre place. »

Un certain optimisme sur le marché des blancs

Moins encombré que celui des rouges, le marché des vins de table blanc lui semble porteur d’un certain optimisme. Quant aux vins de bases mousseux des Charentes, « ils jouissent d’une qualité moyenne reconnue qui intéresse du monde ». Gilles Merlet crédite ce débouché d’un potentiel d’écoulement de 500 à 600 000 hl vol. par an. « Les prix payés au producteur ne sont peut-être pas énormes mais nettement supérieurs à ceux payés en Espagne. » En fait, ils s’élèvent au double. Et le négociant de s’interroger sur l’avenir d’une filière espagnole des vins de base dont la matière première est sous-payée. L’enjeu réel du rapport Zonta, fondé sur une séparation des vignobles et des rendements différenciés lui semble être « que les viticulteurs tirent leur épingle du jeu et que les négociants s’intéressent à la commercialisation ». Par contre la mise en place rapide de nouvelles unités de vinification lui paraît utopique. « Cela se fera mais progressivement, à la charentaise. La valeur ajoutée dégagée ne le permet pas autrement. » Si, dans certains cas, la collecte de raisin peut apporter un « plus » qualitatif, Gille Merlet constate que la solution intermédiaire des moûts de vinification génère déjà une nette amélioration, « ne serait-ce que parce que ces moûts sont vinifiés comme des vins de table et non dans l’optique Cognac ». « Quand le débourbage, le sulfitage et le soutirage sont faits, la qualité est nettement supérieure, même sans parler de maîtrise de température. » Sur le risque de voir les acheteurs de vins de base mousseux déserter la région des Charentes, le négociant garde la tête froide. « Les acheteurs vont toujours là où leurs intérêts les poussent. En tant qu’élaborateurs français de vins, ils n’oublient pas que leur crédibilité est attachée à la production française. Ils ont intérêt à embouteiller des vins français. »

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