La piste régionale des biocarburants

12 mars 2009

Dans un régime d’affectation parcellaire, les excédents produits au-dessus du rendement Cognac serviront-ils un jour à fabriquer du diester ? Une piste évoquée mais loin d’être réalisée.

L’idée a pris forme en fin d’année dernière. Jacques Barbier, professeur-chercheur à la faculté de sciences de Poitiers, par ailleurs P-DG de Valagro (voir encadré) et Gérard Chartier-Talzac, directeur de Charente-développement (1), sont venus à la rencontre de la filière viticole charentaise. Leur attente ? Voir s’il n’existerait pas des rapprochements possibles entre le projet biocarburant régional et le souci de la région délimitée de traiter au moindre coût ses éventuels excédents. On sait en effet que la DO article 28, exutoire naturel des volumes en excédents, disparaît avec la réforme de l’OCM viti-vinicole. Par ailleurs, la région a décidé que dans un régime d’affectation parcellaire, les quantités produites au-dessus du rendement Cognac ne pourront pas aller à la consommation humaine, ni pour produire des jus de raisin ni à fortiori des brandies. Mais alors que faire de ces excédents, surtout si on ne veut pas que leur destruction « coûte » au viticulteur ? C’est là que pourrait intervenir le « joker » des biocarburants. La région Poitou-Charentes a en effet obtenu deux agréments pour la production de bio-diester à partir de graines de colza et autres oléagineux sur deux sites, l’un à Chalandray dans la Vienne et l’autre à La Pallice, en Charente-Maritime. Si l’unité de Chalandray fonctionne déjà, le démarrage de celle de La Rochelle est programmé en 2009. Particularité de l’unité de La Pallice : elle fonctionnera sous un process original mis au point par Valagro, centre de recherche & développement « pour la valorisation industrielle des agro-ressources ». Pour extraire l’huile végétale, ce procédé consiste à « shunter » une étape, celle de la trituration. Comment ? En se servant de l’alcool estérifié comme d’un réactif qui va attaquer directement la graine broyée. D’où économie de coût attendue. La sica Atlantique (2) – qui regroupe les 43 organismes stockeurs de la région Poitou-Charentes – a racheté le brevet à Valagro pour l’exploiter sur sa plate-forme de La Pallice, d’abord à l’échelle semi-industrielle (10 000 tonnes de diester représentant 50 000 tonnes de graines), sachant que l’agrément a été obtenu pour la production de 60 000 t d’huile végétale. Le professeur Barbier ne nourrit pas de craintes sur la réussite de l’unité expérimentale. « Quand on investit 8 à 10 millions d’€ sur un prototype, on est à peu près sûr qu’il marche. » Dans ce schéma, quelle pourrait être la contribution du vignoble charentais ? Celle de fournir l’alcool servant à extraire l’huile végétale, même si la fonction alcoolique peut provenir d’autres sources, blé, maïs ou biomasse telle la paille. Reste que « l’effet d’aubaine » est clairement apparu au professeur Barbier, entre un besoin agro-industriel situé géographiquement à La Pallice et la nécessité, pour une zone limitrophe, de trouver un dégagement à ses sous-produits. Pour rendre le procédé opérationnel, faudrait-il encore transformer l’alcool en esther, c’est-à-dire passer d’un titre alcoométrique de 92 % obtenu par passage en colonnes à celui de 99,9 %. Un procédé existe, celui de la déshydratation, qui consiste à éliminer les molécules d’eau par une technique membranaire. La France compte à ce jour trois unités de ce type dont une à Fosse-sur-Mer, la société Deulep et une autre à Dunkerque. L’idée serait de construire une nouvelle usine de déshydratation polyvalente à La Pallice, pour réduire les coûts de transport, toujours prohibitifs dans ce genre de modèle économique. « En fonction de la distance, la distillation des sous-produits peut s’avérer soit une charge, soit une rémunération » commente un spécialiste. A juste titre, un observateur averti parle de « l’étincelle politique qu’il faudrait pour déclencher les prises de décision »

(1) Financée à 80 % par le conseil général de la Charente, le sode par des communautés de communes et entreprises, Charente-développement est, comme son nom l’indique, une agence de développement chargée d’accompagner les entreprises, débusquer les innovations et travailler sur quelques filières plus particulières comme la filière image, le bois-énergie, l’innovation. A ce titre, elle s’est tout de suite sentie concernée par les bio-carburants. « Pourquoi pas en Charente ! » D’où l’initiative de son directeur de jouer les « go-between » entre les mondes universitaire, industriel et viticole.

(2) Le projet biocarburant de La Rochelle est en fait porté par la sica Bionergy Pilot (à l’anglaise dans le texte). Cette structure compte trois partenaires : le pétrolier régional Picoty (marque Avia), le poids lourd national du secteur industriel des oléoprotéagineux, Sofiproteol (fabrication de bio-diesel, trituration, huile Lesieur…) et l’holding financière HAI (Holding Atlantique Invest). Cette dernière, majoritaire dans la sica Bionergy, repose elle-même sur trois entités : la sica Atlantique, qui regroupe les 43 organismes stockeurs de la grande région Poitou-Charentes, coopératives et négoce confondus, la FRCA (Fédération régionale des coopérative agricoles) et le groupe Centre Atlantique qui représente le syndicat du négoce. En possédant 51 % des parts de la holding financière, la sica Atlantique est ipso facto majoritaire au sein de la sica Bionergy.
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une filière « 100 % Verte »

Si, en Charentes, l’idée de valoriser les excédents viticoles dans une filière de développement durable « 100 % verte » séduit, elle pose aussi questions. Certains s’interrogent sur « l’aventure financière » que pourrait représenter un tel projet. « Certes intéressant techniquement, l’outil n’a-t-il pas vocation à devenir une “usine à gaz” qui, à terme, pourrait nous coûter de l’argent ? » interjecte un professionnel. Mais l’interrogation majeure concerne l’approvisionnement, le gisement potentiel. « Serions-nous capable de fournir tous les ans les quantités d’alcool nécessaires ? » En régime d’affectation parcellaire, une approche théorique calibre la production d’alcool au-dessus du rendement Cognac à 150 000 hl AP (la transformation d’un million d’hl vol.). A quelque chose près, ce volume correspondrait aux besoins du site de La Pallice en phase de croisière. Mais, dans la réalité, à combien s’élèveront les excédents viticoles ? A 150 000 hl AP, à 50 000 hl AP ou à zéro ? Bien malin qui peut le dire aujourd’hui. « Imaginons que la QNV progresse à 10,5 » se plaisent à rêver certains. D’autres évoquent le vieillissement du vignoble ou la volonté des producteurs d’exercer leur capacité de tri. Selon les options collective et/ou individuelle, la surproduction pourra se « balader » dans une plage de 0 et 20 % de la récolte. « Sur la gestion de ses excédents, la viticulture a pas mal de cartes en main » confirme un opérateur. A ce train-là, personne n’est plus si sûr que la gestion des excédents constitue un vrai problème. Même si la date butoir se rapproche – changement de régime en 2008 – une fois de plus, la tentation du laisser-faire, laisser-aller taraude la région.

Valagro

Une plate-forme de recherche en Poitou-Charentes

Le dépôt de 56 brevets, la plus grosse propriété intellectuelle de Poitou-Charentes, 40 salariés… Jacques Barbier, le P-DG de la société Valagro, se défend d’être un « chercheur trouve-tout » à la tête d’une énième start-up. Ce professeur de chimie à la faculté des sciences de Poitiers, spécialiste de catalyse, ancien directeur du laboratoire de catalyse en chimie organique (LACCO) de l’université poitevine, revendique d’être à la tête de « la plus grosse plate-forme de recherche de Poitou-Charentes ». Cette société, qu’il a repris en 1999 alors qu’elle frôlait le dépôt de bilan, a investi le domaine industriel en cédant ses brevets à plusieurs entreprises. Elle s’est taillée une spécialité dans le monde de l’oléochimie, avec la multivalorisation des huiles végétales et de leurs dérivés. Elle intervient aussi dans le domaines des agromatériaux pour la conception et l’élaboration de nouveaux matériaux (plasturgie…) à partir de végétaux (bois, céréales, protéagineux). 

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