En 1862, le peintre Gustave Courbet séjourne en Saintonge et s’installe à Port-Berteau (commune de Bussac/Charente, à 10 km de Saintes), séduit par les variations chromatiques de la Charente. Près d’un siècle et demi plus tard, François Méchain, photographe et sculpteur, revisite le lieu, avec le regard et les questionnements d’un artiste contemporain. Son installation à Port-Berteau sert d’introduction aux trois expositions qui lui sont consacrées aux musées de Cognac, Saintes et Rochefort, jusqu’au 1er septembre 2002.
Développer des partenariats, notamment dans le domaine culturel, c’est le propos du réseau Charente-Océan qui réunit depuis 1992 les trois villes de Cognac, Saintes et Rochefort, avec le concours de la DRAC Poitou-Charentes. Le projet de travail sur la thématique du fleuve Charente avec un artiste contemporain – François Méchain en l’occurrence – s’inscrit dans cette démarche. La commande passée par les trois musées en 2001 vient après des expositions plus classiques autour des peintres du XIXe siècle sur les bords de Charente, tels que Gustave Courbet mais aussi Camille Corot ou Louis Augustin Auguin. « Les musées ont un rôle novateur et pédagogique explique Jean-Yves Hugoniot, conservateur des musées de Saintes. Imaginez ce que serait la collection de la ville de Saintes si, à l’époque de Courbet, l’on avait mesuré l’importance du travail du peintre. Nous avons aussi une fonction de défricheur. »
Originaire de Varaize, près de Saint-Jean-d’Angély, François Méchain est à la fois photographe et sculpteur. Avec ses parents propriétaires terriens, il fait très tôt l’expérience de la nature. Son père et lui ne se mettent-ils pas en disponibilité pour de mémorables chasses aux papillons. Après un passage de 1969 à 1974 à l’Ecole des beaux-arts de Bourges, le jeune charentais investit le domaine de la photographie et de la sculpture mais en gardant toujours ce lien avec le végétal et plus particulièrement avec l’arbre, « métaphore de l’homme ». L’artiste avoue une filiation avec le Land art, mouvement intellectuel et artistique qui trouve ses racines aux Etats-Unis entre 1960 et 1970. Briser les cadres, transgresser les frontières, inventer une relation entre l’art et la société… Le Land art crée un processus de dialogue avec l’environnement et invite le spectateur à découvrir l’œuvre en marchant. Il pose la question du rapport entre la « nature de l’art » et « l’art de la nature ». Le Land art se traduit souvent par des interventions à grandes échelles.
A Bussac, entre Taillebourg et Saintes, au lieudit Port-Berteau, François Méchain a posé sur les berges de la Charente un alignement de portières de voitures. A travers les vitres à moitié relevées, à moitié baissées, subtilement colorées aux tons changeant du fleuve, le regard hésite sur la ligne de flottaison. Ligne de partage, ligne du partage… A une époque où un écran s’interpose presque toujours à la vision du réel, où la vitesse change la perspective, l’artiste pose la question de la juste distance pour percevoir le monde. Il rejoint en cela sa problématique sur la photographie qui, entre netteté et flou, réinterprète l’existant. « Mon travail est simple, grand public. Je ne propose pas une réflexion philosophique haut de gamme. Pour le comprendre, il suffit de donner quelques clés, que les enfants captent sans difficulté car ils sont plus attentifs que les adultes. » Cet accompagnement de l’œuvre, les trois musées le réalise très bien à travers leurs expositions temporaires. A Rochefort, l’accrochage tourne autour de « l’arbre de Cantobre », du nom de l’hôtel particulier parisien qui abrite la Maison de la photographie. Il s’agit peut-être de l’exposition la plus pénétrante, celle qui introduit le mieux à la part de métaphysique contenue en chaque artiste. En 1998, le conservateur en chef du musée propose à F. Méchain une réflexion sur l’arbre qui se trouve au fond du jardin. Photographié, rephotographié, agrandi, réduit, réagrandi, voici l’arbre arrivé à l’acte ultime de la représentation, tons de gris et du grain, définition même de la photographie. « Nous finirons tous comme cela ! » De la sciure mélangée à de la terre d’un ancien cimetière. C’est la « vanité » que propose F. Méchain, imprégné de la relativité de toute chose. « Un artiste ne change rien sur le fond. C’est un observateur qui passe son temps à écouter, à regarder. Il propose simplement un déplacement de sens, un changement de point de vue sur le monde. Il s’agit toujours d’une proposition relative. » A Saintes, le musée de l’Echevinage, à découvrir pour ses collections, offre un beau panoramique de l’installation de Port-Berteau. Il permet également de porter un regard sur des œuvres antérieures, notamment tout un travail réalisé en Grèce. A Cognac, la promenade se fait plus personnellement, plus intime. La jeune conservatrice Laurence Chesneau-Dupin a été touchée par « l’envers du décor », « l’avant création ». Alors qu’il était artiste invité à Toronto, F. Méchain a tenu un carnet de dessins préparatoires, présenté à Cognac, face à l’œuvre achevée. Toronto, capitale économique du Canada, 3 millions d’habitants, des gratte-ciels foisonnants, une tour deux fois plus haute que la tour Eiffel… face à une petite île sauvage, à la flore riche et dérisoire, préservée comme un sanctuaire. La ville va-t-elle aspirer l’île ? L’artiste renverse le propos et fait de la ville le cadre de l’île, un cadre vide et flou sous l’effet du brouillard, face à un centre plein, plein de ces infimes brindilles ramassées sur l’île. Champ, contre-champ, regard qui fait sens.
D’avril à juin, les trois musées de Rochefort, Saintes et Cognac ont conduit une vaste action pédagogique pour sensibiliser le jeune public à l’art contemporain. Un site internet permet de préparer ou de compléter la visite des expositions – www.alienor.org/sculpture-paysage. Quant au catalogue publié par le réseau de villes Charente-Océan, il déborde de sa mission traditionnelle pour se faire véritable livre d’art, rétrospective du travail de François Méchain depuis quinze ans. Diffusé par les Ed. Gallimard, complètement bilingue à la demande de l’artiste, il a bénéficié de deux contributions importantes, celle de Colette Garaud, une des meilleures spécialistes du paysage et du Land art, auteur entre autres de L’idée de Nature dans l’art contemporain ; et de Michel Guérin, philosophe et écrivain, professeur à l’université d’Aix-en-Provence, familier du travail de l’artiste. Parmi les partenaires ayant sponsorisés le projet, deux partenaires privés, Jas Hennessy et la tonnellerie Taransaud. Ouvertes jusqu’au 1er septembre, les trois expositions dans les trois villes permettent une déambulation renouvelée sur les berges de Charente.
Courbet, le peintre de la rupture
En mai 1862, Gustave Courbet se rend en Saintonge chez son ami Etienne Baudry. Il pense y rester quelques semaines. Il y demeure finalement plus d’un an, inspiré par les subtilités chromatiques de la Charente. Et peut-être aussi par les charmes de sa maîtresse du jour, « La dame au chapeau noir » (Cleveland Museum of Art). Car Courbet est un « avaleur de vie ». Grand mangeur, grand buveur, grand chasseur… et le reste, il a une relation forte au réel. Rien à voir avec l’écran subliminal ou la vitesse traîtresse. C’est à pied ou à dos d’âne qu’il « déplace sa tente » avec toile, pinceaux, couleurs et chevalet. Courbet est également un homme de la fracture. En 1849, il peint pour la première fois un enterrement, « Un enterrement à Ornans » (Musée d’Orsay). La toile fait scandale. Quoi ? S’intéresser au commun, aux gens de peu alors que l’époque est encore aux sujets mythologiques, à la représentation des puissants, à l’académisme. Courbet récidive dans le scandale avec « L’origine du monde », tableau exécuté en 1866 et qui disparaîtra quasi aussitôt pour ne réapparaître que dans les années 50, chez le psychanalyste Jacques Lacan. Il est aujourd’hui exposé au Musée d’Orsay. Contempteur de la nature vierge et féconde, adversaire des idées reçues, G. Gourbet fut loué par Baudelaire pour « son amour désintéressé, absolu de la peinture ».
Corot, le découvreur de paysages
Epoque bénie que cette année 1862. Quelques mois après Courbet, Camille Corot débarque à son tour en Saintonge, toujours à l’invitation d’Etienne Baudry. Cet « ami des artistes », fils d’un riche notaire, a comme intime le peintre saintais Pierre Athanase Bourgeois. Il lui a fait connaître les peintres Auguin et Pradelles. A leur tour, ceux-ci attirent à Rochemont, la propriété d’E. Baudry près de Port-Berteau, Courbet d’abord puis Corot, qui se trouvait à La Rochelle. Les paysages saintongeais, et notamment la Charente, inspirent une vive joie artistique à l’artiste, si vive qu’on lui doit quelques lignes enflammées, bien dans le goût de l’époque. « Ces lieux seront mes Champs-Elysées. Quand j’aurais quitté la vie, c’est ici que viendra errer ma pauvre ombre. Ce sera ma promenade éternelle. » Une exposition des toiles de Courbet et de Corot est organisée à l’hôtel de ville de Saintes en 1863.
0 commentaires