Le luxe oui mais plus tellement le luxe à la française. En Chine, la génération post-80 – celle de l’enfant unique et de « l’ouverture de la frontière » – se dévoile. Avec elle la consommation statutaire cède le pas à la consommation plaisir. Son maître mot : « l’attitude », mélange d’argent plus facile, de désir aspirationnel des marques, d’un certain anticonformisme, sous l’œil omniprésent du Net. A Cognac, le Forum Spirit Valley a défriché les nouveaux sentiers du luxe en Chine.
D’origine chinoise, Ya Li fait partie de cette génération post-années 80. En tant que manager export Asie, la jeune femme travaille pour l’agence de design-packaging Linéa, à Angoulême, agence spécialisée dans les vins et spiritueux. Lors du Forum Spirit Valley organisé par l’association Atlanpack le 11 avril dernier, son intervention, affûtée, a livré quelques-uns des codes de cette frange de nouveaux consommateurs chinois, celle qui fabrique la mode et la tendance d’aujourd’hui et surtout de demain. Glamour, plaisir, précurseur, identité, transgression, confiance, fashion, « rupturisme » (1)… ces mots, ces concepts se sont affichés en lettres capitales sur l’écran, comme autant de marqueurs d’une certaine jeunesse dorée chinoise.
« L’époque est révolue où le Cognac en Chine se traduisait par “XO”. L’image du luxe à la française est en train de se perdre » a pointé du doigt la jeune manager export. Comme partout dans le monde, le consommateur chinois « trendy » aspire à l’émotionnel et à l’affectif. Il a besoin de « story telling », d’une belle histoire. La rareté le séduit, l’expérience le tente. Il faut dire que les trentenaires d’aujourd’hui sont le fruit d’une double politique : la politique de l’enfant unique et la politique dite de « l’ouverture de la frontière ». Grâce aux économies de leurs parents, beaucoup ont fait de solides études. Ils disposent d’un bon pouvoir d’achat. Ceci dit, en tant qu’enfant unique, ils ont hérité d’une très lourde responsabilité, celle de s’occuper de leurs parents. Ainsi, s’investissent-ils « à fond dans les études, le boulot ». En retour, ils ont envie de se faire plaisir. Ils aspirent à davantage de liberté. Pour cette catégorie de personnes, le Cognac XO – symbole d’une certaine consommation statutaire « type costard-cravate » – n’est plus tout fait à l’ordre du jour. Commentaire de Ya Li : « Ces jeunes, nés entre 1980 et 1989, commencent à avoir une certaine homogénéité de comportements. Ils sont plus ouverts d’esprits que leurs parents. Mais ils sont aussi plus zappeurs, moins adeptes d’une consommation réflexe. A travers eux, tout l’enjeu consiste à anticiper la consommation de demain. »
« Comment rendre le VS premium ? »
« Comment rendre le VS premium ? » s’est interrogée la jeune femme. Une chose est sûre : il n’est plus question de développer un produit unique pour la Chine mais des produits pour des Chinois selon les zones. « La Chine est 17 fois plus grande que la France » a rappelé opportunément la jeune manager export. D’où des comportements différenciants en terme de consommation. Exemples de Shanghai et de Canton (Guangzhou), deux villes à peine distantes de 1 300 km. Rien à l’échelle de la Chine. Pourtant, les deux mégapoles « ne jouent pas dans la même cour ». A Shanghai, la longue présence anglaise a laissé des traces tangibles. Les Shanghaiens apprécient rien tant que les cocktails ; ou encore de boire leur café dans des « lounges ». Ils ne sont pas fans des couleurs noire, rouge et or, le code traditionnel du luxe en Chine. Si Canton est elle aussi une ville portuaire, la culture occidentale y est beaucoup moins palpable. Au final, d’une ville à l’autre, les différences de goût sont énormes. « L’attitude », le côté « Hype » de Shanghai différera de celui de Guangzhou ou de Pékin.
« Etre lue pour être vendue »
François Bobrie est sémiologue. A la lisière entre sciences humaines et marketing, la sémiologie est l’étude des systèmes de communication entre les hommes (communication verbale mais aussi par les signes). Consultant en marques, F. Bobrie est maître de conférence associé à l’IAE de Poitiers où il dirige l’une de ses antennes, le Centre européen du packaging-emballage. Lors du Forum de la Spirit Valley, François Bobrie a parlé de l’utilité, pour une marque, d’être lue par tout le monde. A première vue une tautologie. Mais pas tant que cela en Chine. Le marché chinois pose le problème spécifique de la transposition de l’écriture latine en idéogrammes chinois. Il faut gérer à la fois la charte graphique et la traduction, c’est-à-dire le sens. Devant la complexité de l’affaire, certaines marques ont préféré botter en touche et conserver leurs caractères latins. Bien mal leur en a pris. La nature ayant horreur du vide, elles se sont vite retrouvées confrontées à des transcriptions « sauvages ». Telle cette montre suisse de luxe « du golfeur » qui fut affublée de 17 noms chinois différents. Une véritable pétaudière !
Pour la traduction, quel parti prendre ? Faut-il tenter de se rapprocher de la phonétique de la marque d’origine ou, au contraire, opter pour le sens ? Depuis des lustres, les marques de Cognac se sont forgées leurs propres doctrines. Rémy Martin s’est totalement éloigné de la phonétique, pour privilégier la transcription de son logotype, le centaure. Ren Tou Ma signifie l’homme à la tête de cheval. En se prononçant Xuan Ni Si, Hennessy se rapproche de la phonétique. tout en ménageant un sens à sa marque. Son nom chinois traduit l’image mentale d’un poème (Si) écrit par un grand homme. Une impression positive. La marque Martel se traduit par Ma Di Li, ce qui ne correspond pas à grand-chose. Par contre la traduction en chinois de Cordon bleu est bien plus belle et valorisante. Pour les Chinois, Cordon bleu est à peu près synonyme de XO. Dans l’empire du milieu, la marque Cordon bleu a pris le dessus sur Martell. D’un point de vue réglementaire, l’obligation de mentionner un nom chinois ne concerne que la contre-étiquette, au dos de la bouteille. Mais F. Bobrie attire l’attention sur le merchandising : « Dans les linéaires d’un supermarché, dit-il, vous n’allez pas demander au client de tourner systématiquement la bouteille pour voir ce dont il s’agit. » Son conseil ! Ne pas attendre que la marque soit introduite en Chine pour penser à la traduire en caractères chinois. « Vous devez le faire dès le départ. » Et bien sûr enregistrer l’idéogramme de la marque auprès des autorités chinoises.
« La contrefaçon, une activité très rentable »
En France, la protection des marques, c’est la spécialité de l’INPI (l’Institut national de la propriété intellectuelle). La responsable de l’antenne régionale de l’INPI, Laëtizia Canezza était l’invitée du Forum Spirit Valley. « Au plan global, a-t-elle indiqué, la contrefaçon rapporte plus que le trafic de drogue, avec un risque infiniment moindre. » La Chine dispose d’un droit de propriété intellectuelle bien établi et ce depuis longtemps. En Chine, à 90 %, les litiges concernent les autochtones eux-mêmes. Sur tous les grands salons, l’administration chinoise dispose d’un stand, histoire de pouvoir procéder rapidement à une saisie, en cas de fraude ou de détournement. La salariée de l’INPI n’a qu’un conseil à délivrer aux futurs exportateurs : « Ne pas aller seul en Chine. Il vaut toujours mieux, dit-elle, travailler avec un partenaire bien établi, en sachant que la marque est incontournable en Chine. Il n’y a pas d’affaires qui se fassent dans ce pays sans l’appui de la marque. »
Un jeudi par mois, l’INPI assure une permanence au BNIC. Laëtizia Canezza conseille gratuitement les opérateurs sur la protection de la marque, des logos, en France comme à l’étranger. Les rendez-vous sont à prendre auprès de Martine Chaduteau (05 45 35 60 47). Au BNIC, Martine Chaduteau s’occupe de toutes questions d’étiquetage, pour l’ensemble des produits de la zone délimitée (Cognac, Pineau, Vins) et l’ensemble des destinations. Un centre de ressource unique, sur lequel les opérateurs peuvent s’appuyer avec profit.
« Une approche ultra professionnelle »
« Les PME et les PMI qui souhaitent faire des affaires en Chine doivent avoir une approche ultra professionnelle, encore plus qu’ailleurs. » Qui s’exprime ainsi ? Pierre Dhomps, « 30 ans de Chine au compteur ». Ce consultant, directeur de l’agence de conseil Energie 7 international, connaît la Chine sur le bout des doigts. Son dada ! L’interculturalité. « Il ne faut pas vouloir raisonner à partir de la culture française. Le Chinois ne vous comprendra pas. »
« Pour réussir en Chine dit encore P. Dhomps, il vaut mieux choisir le marathon que la course de vitesse. » Le consultant en est persuadé : « Qu’on le veuille ou non, la Chine deviendra le futur n° 1 de l’économie mondiale. »
(1) Rupturisme : technique de merchandising qui consiste à apporter de la surprise dans le banal, le trop familier.
Des tendances et des modes, un univers produit et une culture d’origine
Ya Li, de l’agence de design-packaging Linéa, est l’expression même de ces profils recherchés aujourd’hui par les agences. A la fois des personnes très sensibles aux modes, aux tendances, connaissant bien les codes du luxe de leur secteur d’activité et porteuses de la culture de leur pays d’origine.
Manifestement, Karine Lagarde, Business manager de l’agence Linéa, préfère parler de son équipe plutôt que de flécher sur l’un de ses membres. « Une agence, dit-elle, est avant tout un ensemble de personnes. Elle exprime le savoir-faire de toute une équipe. » Yes madam mais Ya Li ! « Ya Li, consent-elle à répondre, vient de la mode. Le parfum, les cosmétiques, la mode représentent pour les spiritueux de luxe des univers essentiels, des univers qui nous touchent. Tendances et créativité s’y expriment de manière privilégiée. Mais attention, prévient-elle, des agences comme les nôtres ne recherchent pas des profils stéréotypés, plutôt une sensibilité particulière, une créativité qui transpire. » « Par ailleurs, poursuit K. Lagarde, une culture très riche n’empêche pas d’être parfaitement au fait de l’univers très codé des spiritueux. » Dans la demi-seconde, la Business manager en vient à l’autre versant de son métier, le marketing. « Nous n’oublions jamais que nous avons en face de nous des marketeurs. La formation de base de notre équipe conseil est le marketing : une maîtrise, un master et derrière une spécialité. » C’est le cas de Ya Li qui, après avoir travaillé dans la mode, a fait l’IAE de Poitiers. Et l’aspect nationalité ? « Ya Li vit en France et adhère à la culture française mais elle est de culture chinoise. Et qui peut mieux qu’un Chinois appréhender le marché chinois ? » K. Lagarde fait remarquer que chez Linéa « une Galloise s’occupe des pays anglo-saxons, des marchés américain et australien ; une russe de la Russie et des pays de l’Est. » Une internationalisation présentée comme un atout.
Depuis 2001, l’agence Linéa fait partie du groupe Sparflex (Epernay), de même que l’imprimerie Litho-Bru.
Repères :
Avec un chiffre d’affaires de 57 milliards de dollars, l’Asie est le plus gros marché des spiritueux, après l’Europe et l’Asie. Potentiellement, la population asiatique consomme environ 85 milliards de litres de spiritueux par an, avec un taux de croissance de 6 % l’an.
l Etat continent, la Chine se situe juste derrière la Russie et le Canada en terme de surface. Pays le plus peuplé, elle concentre 18 à 20 % de la population mondiale.
l On estime que 2,5 millions de Chinois sont très riches (exemple de la petite fille détentrice d’un sac Vuitton à l’âge de la primaire). Appartiennent à la classe aisée 80 à 100 millions de personnes et la classe moyenne émergente représenterait aujourd’hui environ 300 millions de personnes, essentiellement concentrées sur la zone côtière (Shanghai, Canton) et à Pékin.
l Le nombre d’hypermarchés Carrefour dépasse les 200 en Chine. Il s’ouvre un ou deux magasins par mois. A priori, 400 millions de personnes seront susceptibles de « pousser un caddie » en 2014-2015.
l Le e.commerce (la vente en ligne) est devenu un phénomène de société en Chine. Résultat de l’attractivité de la toile qui, tous les jours, fait des adeptes en Chine. Le nombre d’internautes s’élève à 600-650 millions. « Nos amis chinois sont totalement accrocs à internet » souligne un observateur.
Quelques conseils pour réussir sur le marché chinois
Pierre Dhomps, responsable de la société de consulting Energie 7 International, s’inspire de quelques repères typiquement chinois pour illustrer les éléments de réussite d’un étranger en Chine.
Le repère du jeu de go – Sur le damier du jeu de go, pions noirs et pions blancs se partagent l’espace. Quand il s’agit de déloger l’adversaire, le joueur de go n’attaque pas frontalement mais « tire sur les côtés ». Il pratique la stratégie de l’encerclement. Le consultant y voit une métaphore du business. « Quand un Chinois distribue sa carte de visite, celle-ci reflète rarement sa véritable fonction. Un « économist » peut très bien travailler dans l’Administration. Un Chinois ne se découvre pas. »
Le taoïsme et le paradoxe – En Chine, on n’oppose pas le bien et le mal, le vrai et le faux. Les Chinois ne parlent-ils pas d’une « économie souhaitée de marché ».
Le rapport du ying et du yang – Il s’agit de deux forces contraires mais complémentaires. Si la négociation avec un Chinois s’étire, quand il a envie de conclure, une certaine harmonie se découvre. Il vaut mieux envisager la course comme un marathonien que comme un sprinteur. Pour un Chinois, négocier est une seconde nature.
La sagesse de Confucius – En Chine, on respecte l’autorité du chef d’entreprise mais ce dernier ne se met jamais en avant. Les plus jeunes parlent, lui se tait. Le décryptage est parfois délicat.
L’interprétation non verbale – Une bonne traduction consisterait surtout à interpréter ce qui ne se dit pas. « L’invisibilité » des choses est à garder à l’esprit.
L’importance de la face – Il s’agit d’un élément fondamental. Il est très important de ne jamais faire perdre la face à quelqu’un, patron ou collaborateur. « L’homme a besoin de face pour vivre, comme un arbre a besoin de son écorce. »
Plus concrètement, P. Dhombes délivre quelques conseils pour lancer une marque en Chine – « Les Chinois adorent les histoires familiales. C’est bien de les mettre en valeur. Il convient de passer quelques heures à réfléchir à « l’interculturalité ». Inutile d’arriver avec sa plaquette toute faite. La Chine est essentiellement un pays de réseautage : il faut savoir avec qui agir ; repérer tel importateur qui va pouvoir vous aider. Ensuite, il faut oser se lancer. Et s’accrocher. Cela demande toujours un peu de temps. Pour intéresser un Chinois, mieux vaut investir ; et aussi se déplacer de temps en temps sur le marché, pour nouer des liens personnels et durables. Les Chinois sont fidèles. Mais, a priori, il convient de refuser toute exclusivité. »