Foncier viticole : Des prix, reflet du climat actuel

27 mars 2013

La progression des ventes de Cognac n’est pas sans effet sur le prix des vignes en Charentes. Apparaissent des niveaux de prix jamais ou rarement atteints dans la région. Cette évolution, si elle perdure, se traduira-t-elle par de nouveaux besoins « d’ingénierie » juridique et financière ? Débat ouvert lors de la Journée du Cognac.

Pour Vincent Nobileau, associé du cabinet PwC à Cognac, cette progression des prix du foncier viticole est à classer parmi les « défis de la croissance ». Courbe des expéditions, courbe du prix des vignes… de tout temps, ses deux courbes se sont chevauchées. Cela se vérifie encore aujourd’hui. Alors qu’en 2010 les prix s’étaient raffermis autour de 30-35 000 € l’ha (après avoir plongé en 2008-2009), en 2012-2013, ils se situent plus près des 44 000 €, voire 50 000 € l’ha. Une donnée « objective » citée par Antoine Mornaud, du Crédit agricole 16, tirée des relevés statistiques de la banque en décembre dernier. « Trop cher, pas assez cher ? » Le banquier a refusé de se prononcer. Juste a-t-il pris la précaution de dire « que toute la région n’était pas à vendre à 44 000 € l’ha ». « Le marché foncier est peu actif a-t-il précisé – quelques centaines voire milliers d’ha de vignes tout au plus – et il y a beaucoup d’investissements d’opportunité (entendre des parcelles « qui touchent » ou encore des achats consécutifs à des ventes d’eaux-de-vie).

« Est-ce rentable ? »

A ces niveaux de prix, une interrogation se pose très vite : est-ce rentable ? Pour la majorité des observateurs, « aujourd’hui, des achats à 50 000 € de l’ha en Charentes ne relèvent pas de la stricte logique financière. C’est un pari sur l’avenir. » Pari sur l’avenir en terme de rendement (meilleure rentabilité si les rendements sont élevés, pari sur la bonne tenue des ventes)…

Dans ce contexte, quel montage doit-on favoriser pour acheter le foncier ? En terme de financement, il est clair que les banques ne financeront jamais la totalité de l’investissement. Mais elles peuvent y contribuer. Antoine Mornaud n’a pas démenti. « Au vu des dossiers, la région apparaît peu endettée. C’est une force, un levier. La plupart des acteurs économiques ont la capacité de lever de l’endettement. » Le directeur des clientèles spécialisées a posé la politique de la banque : « Nous accompagnerons nos clients dans leurs besoins, en nous montrant extrêmement vigilants sur deux points : nous accompagnerons des projets réalistes et non des dossiers spéculatifs, y compris sur le foncier et sur le stock ; nous accompagnerons des projets économiquement soutenables. Notre approche est simple. Elle est cohérente avec le “bon sens” du Crédit Agricole. »

Cela dit, si les prix actuels du foncier devaient perdurer voire progresser, il n’est pas sûr que les mécanismes classiques pourraient suffire. C’est pour cela que V. Nobileau a évoqué des financements « innovants ». Sans rentrer dans les détails, l’associé du cabinet comptable a brossé un tableau relativement exhaustif de ces outils.

GFA investisseur – D’entrée de jeu, il a parlé du GFA investisseur, déjà utilisé dans certains vignobles de prestige. Le GFA investisseur acquiert des terres, qu’il met ensuite à disposition des agriculteurs. En plus de l’éventualité de se « faire plaisir », l’investisseur s’attire un certain nombre d’avantages fiscaux : exonération partielle de l’ISF, exonération des droits de donation et de succession à hauteur de 50 % (75 % dans limite de 100 000 €).

Société de capital risque – Encore extrêmement marginale pour ne pas dire inexistante en agriculture, la société de capital risque (ou encore les fonds financiers) pointe timidement son nez en viticulture. Les investisseurs font un pari sur l’avenir : celui de l’évolution du prix des vignes à terme de 7 ou 10 ans. Leur objectif : aller chercher les plus-values de cession d’actifs. A cet égard, Cognac – où les prix ont doublé en dix ans – s’avérerait objectivement un bon modèle.

Vente d’options sur stock – En citant la vente d’options sur stock Cognac, l’associé du cabinet PwC a pratiqué un exercice de science-fiction. A priori rien de tel existe aujourd’hui dans la région délimitée. Le vignoble de Champagne, lui, connaît de longue date un système approchant. Le négociant met de l’argent sur la table pour aider le vigneron à acquérir des vignes. En contrepartie, le viticulteur s’engage à livrer ses raisins pendant 20 ou 25 ans au négociant. Il s’agit peu ou prou d’un système d’intégration.

Portage de vignobles – Le portage du vignoble par des investisseurs institutionnels constituerait une sorte de variante de la formule précédente. L’intérêt de la coopérative ou du négociant : devenir propriétaire du vignoble, pour s’assurer une sécurité d’approvisionnement. Intérêt du viticulteur : vivre de son métier, sans objectif patrimonial. On peut aussi imaginer des formules de portage temporaire par des investisseurs.

Pour tout dire, pas mal d’idées circulent en ce moment en Charentes au sujet du foncier viticole. Certaines de ces idées sont à l’étude, dans les banques notamment.

Revenir aux fondamentaux

A travers son intervention, l’avocat fiscaliste bordelais Arnaud Agostini a choisi de revenir aux fondamentaux. Il a encouragé acheteur et vendeur à se poser les bonnes questions : Est-ce que je veux vraiment vendre et pourquoi ? Est-ce que je veux vraiment acheter et dans quel but ? A la logique patrimoniale, aux économies d’échelle, à la sécurisation le disputent l’effet de seuil, le niveau de prix élevé, la rentabilité aléatoire. L’avocat a aussi rappelé « qu’une transaction réussie était une transaction sécurisée au plan juridique ». Il n’a pas manqué d’insister sur la dimension « conseil », que ce soit pour les transactions simples ou les opérations plus sophistiquées, requérant de « l’ingénierie patrimoniale ». « Celui qui vend n’a pas pour métier de céder des actifs » a-t-il souligné en citant des cas où l’approximation avait été pénalisante. Exemple de ce vendeur qui avait conclu la transaction en ignorant s’il était imposé aux plus-values privées ou professionnelles. De même, quand on vend, il vaut mieux connaître le cadre juridique : cède-t-on des parts sociales, des biens…

Un petit focus a été présenté sur la détention du foncier viticole en Charentes. A une écrasante majorité (91 %), il est auto-détenu par les familles charentaises : 42 % par les exploitants, 25 % par les parents, 9 % par les frères et sœurs, 2 % par les enfants et 13 % par une parentèle plus éloignée.

Vignes : dans le patrimoine privé ou dans la société d’exploitation ?

La question a été abordée au cours de la Journée du Cognac. Alors que conserver les vignes dans le patrimoine privé constitua la pratique des 40 dernières années, on peut se demander si cette doctrine n’est pas dépassée. En cause, le prix du foncier viticole et l’existence de nouveaux outils comme le pacte Dutreil.

Des générations d’agriculteurs ont été éduquées à l’idée de l’individu personne physique ou du GFA (groupement foncier agricole) détenant des terres dans son patrimoine privé et les donnant à bail à long terme à la société d’exploitation. L’avantage de ce montage hyper classique était double : en dissociant la propriété de la terre de son exploitation, on ne mettait pas « tous ses œufs dans le même panier » ; en cas de pépin, le risque était minimisé. L’autre grand avantage visait l’organisation de la transmission. Le bail à long terme assurait – et continue d’offrir – un abattement de 50 % sur des droits de transmission (75 % dans la limite de
100 000 €). Quant au GFA, il permettait de s’exonérer des plus-values privées à condition de conserver le bien assez longtemps
(30 ans aujourd’hui). Au cours de toutes ces années, le modèle a bien fonctionné, à la nuance près qu’en présence d’un GFA, les
associés du groupement se sont souvent retrouvés prisonniers de la structure. Comment sortir du GFA si l’exploitant n’est pas pressé de racheter les parts du groupement foncier ? Un problème prégnant pour la seconde génération.

Aujourd’hui, vient se greffer un autre souci : le prix des vignes et le décrochage du prix du fermage. A un prix d’achat de 40 ou 50 000 € l’ha, le montant du fermage ne se trouve plus en adéquation avec la valeur des vignes. Il ne permet pas à celui qui veut acheter des vignes de faire face au besoin de financement. Faut-il trouver une autre forme de financement ?

L’idée est venue de faire porter la charge de l’achat du foncier à la société d’exploitation qui, elle, dégage de la richesse. Quelque chose qui se pratique couramment dans un vignoble comme Bordeaux. Les vignes apparaissent à l’actif du bilan. L’exploitant paie son investissement comme il le ferait pour un matériel lambda. Mais quid des avantages liées à la transmission ? Le pacte Dutreil apporte une réponse. Apparu au milieu des années 2000, le pacte Dutreil (celui lié à la transmission) vise à faciliter les transmissions familiales au sein des entreprises. Surtout appliqué à l’industrie, le pacte Dutreil peut tout aussi bien jouer en agriculture même si les exemples restent pour l’instant très limités.

Comment fonctionne le pacte Dutreil ? Dans le cadre de la transmission, il prévoit un abattement de 75 % de l’assiette. Ainsi les droits ne s’acquittent plus que sur 25 % de la valeur des biens. Un avantage conséquent. Le législateur a tout de même attaché cette libéralité à quelques contraintes : les personnes bénéficiaires de la transmission doivent s’engager à exploiter le bien en propriété pendant six ans. Dans le cadre familial, on peut imaginer une société d’exploitation où tous les enfants n’exploitent pas mais seulement l’un d’entre eux. Reste ensuite à étudier un système de rachat des parts, via une holding par exemple. Par rapport aux exigences posées par le pacte Dutreil, cette organisation du patrimoine « n’est pas bloquante » estime un professionnel.

Par contre, là où le bât blesse, c’est qu’avec le pacte Dutreil, l’on ne s’affranchit pas des plus-values professionnelles, autrement dit de la fiscalité au moment de la vente. Normal ! Le bien est un bien professionnel et non un bien privé. C’est la grosse différence avec la solution patrimoniale vue plus haut (terres dans le patrimoine privé, bail à long terme, GFA). Ceci dit, le handicap fiscal lié à la nature professionnelle des biens méritent d’être modulé. Si c’est la société d’exploitation qui vend les vignes, elle n’échappera pas aux plus-values professionnelles. Ces dernières s’appliqueront « plein pot ». Par contre, si c’est l’exploitant qui vend ses parts de société, existeront des mécanismes d’exonération, d’atténuations.

Pour résumer, avec les terres dans le patrimoine privé, le financement pour acheter des vignes est compliqué à trouver mais on ne paie pas d’impôt à la sortie ; de l’autre, on se dote des moyens d’acquérir du foncier mais on subit une fiscalité plus lourde en cas de vente. Un choix très lié à sa situation personnelle et au devenir de l’exploitation.

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