une épidémie explosive dans toute la région
La flavescence dorée représente-t-elle un danger majeur pour la productivité et la pérennité du vignoble charentais ? Beaucoup de viticulteurs répondent de façon négative à cette question car leur préoccupation du moment est les maladies du bois qui font « crever » tous les ans de plus en plus de souches. Cette réaction surprenante est compréhensible compte tenu du caractère spectaculaire et brutal de la mortalité des ceps atteint d’esca et de BDA. Pourtant, la flavescence dorée est un mal tout aussi dangereux surtout quand la maladie s’implante librement. Laisser prospérer les 3, 4, 5 premières souches contaminées peut conduire à l’arrachage de la parcelle entière trois ans plus tard. La méconnaissance de la maladie et son expansion par foyers dans des zones géographiques limitées au départ ont contribué à ne pas prendre la juste mesure du mal. Durant de nombreuses années, l’absence de dispositif de lutte à l’échelle de toute la région a permis à la maladie de prospérer. L’épidémie a atteint un degré de nuisance élevé qu’il est encore difficile de cerner avec précision. Indéniablement, la flavescence dorée représente un réel danger pour la productivité et la pérennité du vignoble. Heureusement, les professionnels ont décidé de mettre en place une action de lutte régionale pluriannuelle, dont le fondement repose sur l’élimination de l’innoculum infectieux dans les parcelles.
Durant l’année 2012, la flavescence dorée qui était considérée jusqu’à présent comme « un mal » secondaire localisé à quelques zones est devenue une grande cause régionale. L’investissement des professionnels pour sensibiliser les viticulteurs a porté ses fruits car les démarches de prospections de symptômes à l’automne dernier ont atteint un niveau sans équivalent. Un véritable plan de bataille pluriannuel a été mis en place à l’échelle de toutes les communes viticoles pour endiguer l’expansion de la maladie. Les deux éléments clés du dispositif de lutte sont l’implication personnelle des viticulteurs et la constance des efforts pendant plusieurs années.
A l’issue des prospections de l’automne 2012, la situation peut être qualifiée de toujours préoccupante, même si la mobilisation pour la recherche des symptômes à la fin de l’été dernier a été bonne. La flavescence dorée est un problème qu’il faut désormais intégrer de manière permanente dans l’approche globale de gestion de la protection du vignoble. Après 3, 5, 7 ans de lutte sérieuse, peut-on affirmer avoir définitivement éradiqué cette maladie ? Malheureusement non ! Ce discours peu encourageant mais très réaliste est tenu de plus en plus souvent par de nombreux techniciens. Il faut parler vrai : « Un territoire viticole, contaminé par cette maladie et ensuite assaini, demeure à long terme une zone à fort risque qu’il faudra surveiller de près. » La flavescence dorée est une maladie incurable dont on est en mesure de faire régresser presque totalement les nuisances grâce à la mise en place de stratégies de lutte globales rigoureuses et pérennes. Par contre, si de telles stratégies ont démontré leur efficacité, elles ne garantissent pas la disparition totale de la maladie. Après 4 à 5 années de lutte au cœur d’un foyer, ne plus retrouver de souches porteuses de symptômes est fréquent. Les viticulteurs peuvent alors avoir le sentiment d’avoir gagné la partie mais, dans la réalité, on est sûr de rien. Entre le moment où une souche est contaminée par une cicadelle infectieuse et l’expression des symptômes, une à deux années peuvent s’écouler.
Prospecter est le seul moyen d’éliminer l’innoculum infectieux des parcelles
Actuellement, aucun traitement chimique ne permet de détruire les phytoplasmes responsables de la maladie une fois qu’ils ont pénétré dans les souches. Un seul cep porteur de ces bactéries infectieuses est suffisant pour relancer une dynamique d’épidémie importante. La FD est un mal insidieux, sournois, dont il ne faut pas sous-estimer la capacité de ré-infestation. Un petit foyer de 2 souches non détecté prospère toujours de manière spectaculaire et, trois ans plus tard, une parcelle entière peut être arrachée et en plus l’épidémie a pu être disséminée dans un rayon de plusieurs kilomètres. La capacité de cette maladie « à se faire oublier » pendant 1, 2, 5, 10 années est une réelle spécificité qu’il ne faut pas perdre de vue. L’état actuel des connaissances scientifiques n’a pas permis de trouver un moyen de détruire les phytoplasmes dans les souches en place sans détériorer les tissus végétaux. Le moyen de lutte majeur repose donc sur l’identification et l’arrachage des souches extériorisant des symptômes. L’élimination de l’inoculum infectieux présent dans les parcelles est fondamentale pour stopper durablement l’extension de la FD. La recherche des symptômes par le biais des prospections nécessite du temps et des compétences. La réalisation des prospections doit désormais être considérée comme une intervention culturale manuelle supplémentaire que les viticulteurs doivent intégrer dans le calendrier des travaux au même titre que les épamprages ou les relevages. Concentrer uniquement la lutte sur l’application d’une couverture insecticide pour contrôler le vecteur, la cicadelle de la FD, ne permet pas d’éliminer les ceps contaminés porteurs des phytoplasmes et donc le potentiel infectieux de la maladie demeure intact. Il faut s’attaquer « aux racines du mal » en prospectant les symptômes. Ensuite, la mise en œuvre de la lutte insecticide est une mesure complémentaire indissociable qui limite la dissémination de la maladie. Une fois les parcelles assainies durablement, un allégement de la couverture insecticide pourra être envisagée si un protocole de surveillance du territoire est maintenu.
Lutter efficacement contre la FD nécessite un engagement à long terme
Des viticulteurs prospecteurs : la seule solution réaliste
Un handicap majeur pour la lutte : la méconnaissance de la maladie
Le choix réaliste et assumé de responsabiliser chaque viticulteur
Annabelle Monnereau et Julien Lesueur, les deux responsables de l’UGVC ayant en charge le dossier FD, ne cachent pas que la gestion de la lutte à court et long terme n’est pas simple à aborder : « La flavescence dorée a connu une telle expansion depuis 2010 qu’il fallait réellement créer une forte sensibilisation des viticulteurs situés dans le PLO mais aussi dans toutes les zones considérées encore comme saines. Les mauvaises surprises depuis trois ans sont liées à la sous-estimation du pouvoir de nuisibilité de la maladie. Les systèmes de lutte mis en place depuis une dizaine d’années se sont avérés efficaces pour assainir les foyers existants mais pas pour créer une dynamique de recherche des symptômes adaptée à la puissance de l’épidémie. Faute d’avoir pu localiser les nouveaux foyers suffisamment tôt, la maladie a pris une longueur d’avance. Aujourd’hui, nous sommes convaincus que le rôle du prospecteur doit représenter le cœur du dispositif de lutte. L’expérience de dispositifs de lutte bien gérés après la découverte de foyers virulents démontre qu’il est possible d’assainir durablement des zones contaminées si une surveillance permanente du territoire est mise en place. Le principal volet de lutte est la recherche des ceps extériorisant des symptômes chaque fin d’été. Une fois que les analyses ont confirmé que les souches sont bien porteuses des bactéries responsables de la maladie, leur arrachage est le seul moyen d’éliminer le réservoir d’inoculum de FD. Nous avons fait le choix de responsabiliser individuellement et collectivement tous les viticulteurs de la région pour qu’ils prennent en charge eux-mêmes la réalisation des prospections. Les disponibilités en temps des équipes de techniciens compétents présentes n’étaient pas suffisantes pour envisager des prospections généralisées sous la forme de prestations de service. Faire réaliser les prospections par les viticulteurs nous a semblé être le seul moyen rationnel de « traquer » les symptômes dans le vignoble même si cette solution est décriée par certains. La lutte contre la flavescence dorée est désormais une grande cause régionale qui nécessite l’implication personnelle de chaque viticulteur. En 2012, on a mis en place une nouvelle approche de gestion de la lutte reposant sur la volonté de faire un état des lieux dans chaque commune, en apportant une information directe et personnalisée à chaque viticulteur et en utilisant des référents techniques pour relayer localement le message FD. A la fin de l’été dernier, plus de 250 sur les 450 délégués ont été formés à la reconnaissance des symptômes par les techniciens des Chambres d’agricultures de Charente et de Charente-Maritime. L’animation de ce réseau d’interlocuteurs de terrain a été assurée par le recrutement d’une technicienne, Laeticia Sicaud, dont l’activité est rattachée à la FREDON de Cognac. Le BNIC s’est aussi fortement impliqué en prenant en charge toutes les actions de communication sur la maladie et auprès des viticulteurs. La création du site internet Stop flavescence dorée, l’envoi des dossiers d’information à chaque viticulteur et les relances par SMS pour les prospections ont été gérés par les services du BNIC. »
Le rôle clé des référents locaux en 2012 pour mailler le territoire viticole
Un état des lieux 2012 toujours inquiétant mais plus fiable
Une volonté de repenser les protocoles de sortie du PLO
La reconnaissance des symptômes accessible aux personnes ne connaissant pas la maladie
Les personnes réalisant les prospections doivent donc faire preuve d’une certaine expertise pour détecter tous les types de symptômes les plus marqués comme les plus discrets. Les techniciens estiment que sur un cépage comme l’ugni blanc, la reconnaissance des symptômes est assez facile à acquérir. Des personnes n’ayant pas de connaissance de la maladie sont en mesure de visualiser et de mémoriser assez facilement l’extériorisation des symptômes. Le principal problème concerne plutôt l’époque de réalisation des prospections qui varie fortement selon les conditions de chaque millésime. A. Darton estime que toutes les personnes attentives au développement de la vigne sont en mesure d’acquérir de bonnes capacités de reconnaissance des symptômes de FD : « Au cours de l’été 2011, l’expression forte et précoce de la maladie avait permis à beaucoup de personnes n’ayant jamais vu de symptômes de se faire l’œil en passant plusieurs journées dans des foyers bien infestés. En 2012, les symptômes étaient plus discrets mais tout de même caractéristiques et plusieurs jeunes stagiaires de la Fredon ont acquis rapidement une bonne capacité de diagnostic. L’un des principes essentiels pour maîtriser une détection est d’essayer de corréler le premier élément d’identification perçu à la recherche d’autres symptômes complémentaires sur la même souche. Si, par exemple, l’aspect foliaire gaufré d’une feuille ayant une couleur de limbe moins verte mais trop jaune interpelle, il faut prendre le temps d’explorer la souche plus finement pour observer le degré d’aoûtement des rameaux et l’état des grappes (en parfait état ou desséchées). De toute façon, dès que l’on a un doute, il faut faire appel à un avis extérieur pour confirmer. Les référents locaux ou les techniciens sont des interlocuteurs formés dont le regard extérieur sera toujours plus objectif. Le partage des expériences est toujours enrichissant pour apprécier les différences de développements liées aux effets de vigueur, de structure de port de végétation, d’âge des vignes, de précocité des terroirs… La reconnaissance des symptômes de FD est un exercice qui se cultive en pratiquant chaque année comme pour les autres maladies et affections. »
Une CVO spécifique pour financer durablement la lutte
Renforcer les relations de terrain des techniciens en s’appuyant sur les référents communaux
Une nouvelle dynamique de lutte est donc en train de se mettre en place pour la campagne 2013. Le réseau de référents locaux a donné pleine satisfaction en terme de maillage du territoire viticole. L’animation du réseau de délégués par L. Sicaud a été un élément dynamique de la lutte. Dans un certain nombre de communes (Auge-Saint-Médard, Chamouillac, Saint-Sévère, Saint-Eugène, Rouillac, l’île de Ré, l’île d’Oléron…), les initiatives des délégués ont réussi à créer des animations en cohésion avec tous les acteurs de terrain (techniciens de la Fredon, des Chambres d’agriculture, des coopératives et des négociants) qui ont contribué à rendre la lutte plus opérationnelle. L. Sicaud a repris ses fonctions d’animatrice auprès des délégués depuis la mi-mai. Elle est rattachée à l’équipe de la FREDON de Cognac qui fait office de pilote régional de la lutte. Les professionnels continuent de penser que le renforcement des relations entre le terrain et les techniciens pendant la toute la saison est la clé du succès de la lutte. Le dialogue avec les 480 référents communaux mobilisera beaucoup d’énergie en 2013. L’ensemble de ces bénévoles de la lutte contre la FD ont besoin d’être accompagnés tout au long de la saison dès juin-juillet pour faire passer les messages des dates de traitements et ensuite, à partir de fin août, pour l’organisation des prospections. Les délégués vont recevoir dans les toutes prochaines semaines une valisette de communication comportant un listing détaillé des contacts techniques locaux et régionaux, des documents d’informations sur la maladie, des planches de reconnaissance de symptômes, des fiches de prospection et une clé USB qui permettra d’éditer tous ces documents si besoin. Une réflexion est aussi en cours pour proposer une démarche de certification des prestataires de services proposant de réaliser le travail de prospection. Un cursus de formation à la reconnaissance des symptômes et une évaluation de la capacité des prospecteurs professionnels est à l’étude. La mise en place dans le long terme d’un protocole de surveillance du territoire est également une préoccupation importante une fois que les foyers sont assainis. Quelle stratégie est-il possible de mettre en place pour éviter une réapparition de la maladie ? Les professionnels en charge du dossier FD de la région souhaitent également partager et bénéficier des expériences de stratégies de lutte mises en place dans d’autres régions viticoles.
Bibliographie et sources : BNIC. Chambre d’agriculture 16 et 17. FREDON de Cognac. L’Union générale des viticulteurs pour l’AOC
Cognac. INRA Bordeaux Aquitaine, UMR SAVE, ISW, Bordeaux Science-Agro.