L’introduction d’une production de vins de qualité sur une exploitation qui a toujours produit et élevé des eaux-de-vie s’apparente à une véritable évolution culturelle vers un métier à la fois complémentaire mais aussi très différent. Plus concrètement, cela signifie qu’il faut remettre en cause une partie des structures et l’organisation du travail et aussi découvrir un nouvel univers de commercialisation. L’opportunité de pouvoir reconvertir une fraction des surfaces dans le cadre du plan d’adaptation viticole a été le déclic qui a permis à Olivier et Jean-Paul Chapt de réencépager 1 ha 40 de vignes en ayant, dès le départ, la volonté d’aller jusqu’à la bouteille. Le challenge vin a été abordé sur cette propriété en ayant une approche globale sur le plan technique à la vigne comme au chai mais aussi au niveau commercial. La philosophie de production de ces viticulteurs n’a pas été d’élaborer des volumes importants de vins technologiques, mais de s’orienter vers des microcuvées qualitatives susceptibles d’être bien travaillées et mieux valorisées.
UN climat et Des sols Charentais propices à l’élaboration de grands vins blancs
O. Chapt s’est orienté volontairement vers la production de vins blancs de cépage de Sauvignon et de Chardonnay car il estime que des perspectives de commercialisation et de valorisation intéressantes existent pour des vins de bonnes qualités : « Le sauvignon est en terme de qualité une référence et le fait qu’il soit vinifié sous différentes latitudes permet d’obtenir des vins adaptés ayant une typicité très différente qui exprime le climat et les caractéristiques de chaque terroir. Sur les sols calcaires de notre région et avec des étés généralement pas trop brûlants, le sauvignon est en mesure d’extérioriser des arômes de fruits exotiques et d’agrumes, et une structure minérale en bouche qui concilie la longueur et l’équilibre.
Le Chardonnay est par excellence un cépage propice à l’obtention des meilleurs vins blancs de garde et en Charentes je suis convaincu que l’on a les sols et le climat pour élaborer des très grands vins. » Le premier travail a été de sélectionner le terroir le mieux adapté et ces viticulteurs ont choisi une parcelle de demi-coteaux ayant une nature superficielle très calcaire avec la roche mère sous-jacente. La densité de plantation de 4 400 ceps/ha (2,30 m d’écartement sur 1 m) et la forte hauteur de palissage contribuent à créer des conditions favorables à la maturation des grappes. Les souches sont établies en Guyot simple et en Guyot double courte, et un ébourgeonnage en vert dans le courant du mois de mai permet d’éviter les phénomènes d’entassement de végétation. L’objectif de chaque souche est de laisser 10 à 12 grappes par pied pour obtenir des niveaux de rendements de l’ordre de 40 à 50 hl/ha. En 2002, une vendange verte a été nécessaire alors qu’en 2003, l’ensoleillement exceptionnel a été suffisant pour maîtriser les rendements. Le maintien d’une bonne aération des grappes est une préoccupation permanente tout au long du cycle végétatif afin d’obtenir un bon état sanitaire (effeuillage et deux traitements anti-botrytis spécifiques) et de créer des conditions propices à la maturation.
Le calcaire est favorable à une maturation complète des arômes de sauvignon
Pour l’instant, seuls les Sauvignon sont entrés en production et le contexte très différent des deux récoltes 2002 et 2003 a permis de commencer à évaluer les potentialités qualitatives du terroir. La nature du sol très calcaire semble propice à la fois à une alimentation régulière des grappes et à un déroulement complet de la maturation. Les caractéristiques aromatiques des baies durant la maturation évoluent progressivement et les saveurs herbacées de départ se transforment en notes de buis, puis de fruits exotiques et enfin de « pipi de chat ». En 2003, O. Chapt est passé régulièrement dans la parcelle déguster les baies à partir de début août et l’évaluation du potentiel aromatique a été un critère plus déterminant pour fixer la date de vendange que les niveaux de richesse alcoolique et d’acidité. Il estime d’ailleurs que la parcelle permet de pousser le cycle de maturation et d’obtenir des notes aromatiques de type fruits exotiques et agrumes qui contribuent fortement à la qualité des vins de Sauvignon les plus réputés.
En 2003, les vendanges à la main se sont déroulées le 26 août (à plus 13 % vol. de richesse alcoolique potentielle) de bonne heure le matin, pour éviter de rentrer des raisins à plus de 15 °C. L’ensemble de la récolte a été éraflé et une macération pelliculaire de 5 à 6 heures a été réalisée dans une cage fermée de pressoir pneumatique. Cette intervention préfermentaire a été conduite après un sulfitage, un enzymage (avec des enzymes d’extraction spécifiques vins blancs) et un refroidissement de la vendange à 8 °C avec de la neige carbonique. Le pressurage a été réalisé avec beaucoup de douceur en essayant d’extraire le maximum de jus en dessous des niveaux de pression de 1 bar. La fraction de jus de goutte recueillie a été ensuite débourbée pendant une nuit sans rechercher des niveaux de turbidité extrêmes. O. Chapt considère que la conduite des interventions préfermentaires doit être gérée en tenant compte de la qualité aromatique des baies. La macération pelliculaire est un moyen supplémentaire d’extraire « les beaux arômes » contenus dans les raisins et ensuite la conduite d’un débourbage raisonnable doit seulement éliminer les supports de composés pouvant gêner leur extériorisation au cours de la fermentation alcoolique.
Le choix d’une fermentation et d’un élevage en barriques
Aussitôt le soutirage, les moûts sont levurés avec des souches de LSA spécifiques et la fermentation alcoolique est seulement lancée en cuve. En effet, O. Chapt a choisi de conduire toute la fermentation alcoolique en barrique de 225 l car cela correspond à son objectif d’élaboration d’un vin de Sauvignon blanc structuré et cette méthode correspond aussi aux techniques de vinifications traditionnelles des grands vins blancs dans les Graves ou en Bourgogne. Il a acheté 9 barriques de un ou deux vins et seulement deux neuves car sa volonté n’est pas de trop boiser les vins mais de conforter la structure aromatique au nez et en bouche : « Mon objectif n’est pas de faire un vin qui s’apparente à un jus de planche mais d’apporter une fraction de bois juste suffisante pour bonifier la structure aromatique du Sauvignon et non pas la dominer. C’est juste le moyen de renforcer la typicité aromatique existante et mon souhait est que les notes de bois soient à peine perceptible au nez comme en bouche. Dans l’univers mondial du vin, la mode des vins blancs et rouges très boisés est déjà un phénomène dépassé ». La sélection des bois a aussi fait l’objet d’une attention particulière pour justement ne pas saturer les vins en tannins et le choix s’est porté sur des chênes français à grains fins provenant de trois origines de tonnellerie, Seguin Moreau, Saury et Berthomieu (une entreprise bourguignonne). Un petit chai à barrique a été aménagé dans un bâtiment abritant de la cuverie destinée à la vinification des vins de distillation. En effet, l’ambiance thermique du bâtiment où sont installées les fûts joue un rôle important sur les conditions de fermentation et d’élevage des vins. Des variations de températures trop importantes peuvent considérablement perturber « l’affinage » aromatique des vins. L’idéal est d’avoir une température ambiante la plus constante possible quelle que soit la saison. Ces viticulteurs ont choisi au départ un endroit possédant naturellement une bonne inertie thermique qu’ils ont aménagé avec trois murs en siporex, un matériau très isolant. Les fermentations alcooliques durent entre 12 et 20 jours selon les barriques et aussitôt la dégradation des sucres terminée, les pleins sont faits et un sulfitage à 5 g est effectué pour bloquer les éventuels démarrages des fermentations malolactiques.
De fréquentes dégustations permettent de moduler l’intensité des batoNnages
O. Chapt ne considère pas qu’une fois la fermentation alcoolique terminée, la structure aromatique des vins a atteint un niveau suffisant mais au contraire, il estime que les arômes variétaux ne peuvent que se bonifier par un élevage en barrique de 6 à 8 mois supplémentaires. Les vins sont conservés sur toutes leurs lies pour tirer le meilleur profit de cette matière qui à l’état latent est en quelque sorte un révélateur d’arômes. La mise en œuvre des lies est une intervention capitale dans toutes les démarches d’élevage des vins blancs de garde. Dans les vingt jours qui suivent la fermentation alcoolique, le bâtonnage est réalisé une fois par semaine pour en quelque sorte permettre au vin de s’homogénéiser et de trouver « son équilibre ». Ce n’est qu’ensuite que commence réellement la démarche proprement dite d’élevage sur lies avec un rythme de bâtonnage beaucoup plus élevé. La remise en suspension des lies accentue les phénomènes d’échanges aromatiques entre les fractions solides et le vin, et un apport d’enzyme de type béta-glucanase contribue à renforcer ce phénomène.
La dégustation très régulière des barriques est le seul moyen fiable de moduler l’intensité et la fréquence des bâtonnages qui durent de la fin septembre au mois de janvier. L’intensité de ces interventions varie de 2 à 3 fois par semaine et elles peuvent devenir quotidiennes à certaines périodes. O. Chapt a observé que les évolutions des échanges aromatiques fluctuent selon les barriques et le rythme des bâtonnage doit aussi tenir compte des échanges entre le vin et la nature du bois. Durant les mois de février et de mars, les barriques sont ouillées et le vin est maintenu sur leurs lies avant de réaliser un assemblage en cuve. Il s’agit d’uniformiser la production de l’année (en ayant préalablement dégusté toutes les barriques) et aussitôt le vin clair est remis en barriques en attendant la phase de préparation à la mise en bouteille. Du fait de leur élevage en barrique, les vins possèdent naturellement une certaine stabilité et un équilibre qui simplifie l’opération de collage (la plus légère possible pour respecter le vin). La mise en bouteille est intervenue dans le courant du mois de juin. 2 500 bouteilles ont été produites en 2002.
Une microcuvée de sauvignon valorisée en l’identifiant à un nom commercial : Filius
La démarche de production originale de ce Sauvignon a été en quelque sorte « prolongée » par une réflexion commerciale et marketing pour valoriser cette première microcuvée. A terme, la production de Sauvignon ne dépassera pas 5 000 bouteilles et ce volume limité permet d’envisager une commercialisation par le biais des circuits traditionnels des cavistes et de la restauration gastronomique. O. Chapt et son père ont considéré qu’il fallait vendre les spécificités du produit en s’appuyant sur un packaging original et valorisant. Ils ont tout d’abord choisi d’identifier le vin de cette microcuvée à un nom commercial et après beaucoup de discussions leur choix s’est porté sur « Filius » (en latin, la filiation, le fils). La microcuvée Filius est commercialisée en bouteilles lourdes avec une étiquette de format vertical, de couleur vive et chaude, et une contre-étiquette avec les principales caractéristiques de production. Les bouteilles sont commercialisées sur la base de 8,50 € ht départ propriété et à ce jour le millésime 2002 est quasiment totalement vendu. 15 % des volumes ont été vendus à l’exportation et l’importateur a déjà réservé des volumes du millésime 2003.
L’investissement global pour le chai (construction du local, achat barriques et petite cuverie inox…) et la mise en œuvre de la démarche commerciale (création étiquette, achat de consommables, prestations diverses…) s’élève à 13 700 e ht (environ 90 000 F), mais ces viticulteurs semblent assez optimistes vis-à-vis de la rentabilité de leur démarche de diversification. Une partie significative des volumes de Filius 2003 est déjà à ce jour vendue en « primeur ». Par ailleurs, la récolte 2004 devrait s’enrichir d’une nouvelle microcuvée avec l’arrivée en production des Chardonnay qui seront vinifiés, élevés et commercialisés avec la même philosophie.
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