Président du CIMVC (Comité interprofessionnel des moûts et vins du bassin charentais) et du Syndicat charentais des négociants en vins et moûts, Hervé Pogliani est homme à comprendre beaucoup de choses. Par exemple, le fait que le Cognac dicte ses exigences au marché. N’est-ce pas le produit phare qui fait vivre la région. Par contre, le représentant des négociants régionaux en vin a un peu plus de mal à admettre que la profession lui mégote 500 ha. Il demandait que ses débouchés soient retenus à hauteur de 2 000 ha. On ne lui en a concédé que 1 500 ha. Argument de la filière Cognac : « En réclamant plus d’ha, les opérateurs vins jouent contre leur camp. Qui dit plus de surfaces concédées aux vins dit un rendement Cognac plus élevé et donc, au final, encore moins de volumes potentiellement destinés aux vins. » H. Pogliani adopte un angle de vue un peu différent. « 500 ha en plus n’auraient pas changé la face du monde. Le rendement Cognac passait de 10,85 à 10,93, autant dire rien. Malgré tout, le chiffre de 2 000 ha nous aurait aidés à faire passer un message positif auprès de nos clients. Une fois de plus la filière vins sert de “variable d’ajustement”. A un moment, on parlait même de nous gratifier de 4 500 ha, car le rendement Cognac se présentait par trop à la baisse. »
Ces atermoiements ne seraient qu’un épisode de plus dans le mikado charentais s’ils ne témoignaient de l’assez profonde ambiguïté régionale à l’égard de ses débouchés vins. D’un côté, la viticulture et certainement une bonne partie du négoce sont prêts à jurer que la région aura encore besoin des vins : « Nous sommes tous assez vieux pour connaître l’aspect cyclique de l’économie du Cognac. » De l’autre, Hervé Pogliani tire la sonnette d’alarme mais l’entend-on vraiment ? « Sans une base d’approvisionnement charentaise, même minime, nos clients n’auront plus aucun intérêt à venir acheter des vins chez nous, dans les entreprises régionales. En tant qu’opérateur, nous avons beau assembler des vins de différentes origines, nous avons besoin d’une base charentaise pour continuer à intéresser nos clients. »
Alors qu’à une certaine époque, elles étaient une trentaine, le nombre des entreprises locales vivant principalement de l’activité vins s’est réduit comme peau de chagrin. Elles ne se comptent plus désormais que sur les doigts d’une main et encore amputée de quelques phalanges. Combien subsisteront demain ? Question : un marché peut-il vivre sans ses entreprises ? Non sans un certain cynisme – ou tout simplement réalisme économique – certains répondent par l’affirmative. « Le commerce est volatil. Avec ou sans la médiation d’entreprises locales, il se portera là où le guidera son intérêt. Si un jour, le vin issu des Charentes retrouve du lustre, il déclenchera toujours des commandes. » Certes mais à quelles conditions ? Et quid des entreprises concernées ? H. Pogliani ne le cache pas : « Il n’est pas évident de faire tourner une boutique à moitié régime. Si cette situation perdure, nous allons nous retrouver rapidement en position très délicate. »
Les opérateurs spécialisés déplorent d’autant plus cet état de fait qu’ils certifient avoir le marché en face. « Demain matin, nous pouvons vendre 2 millions d’hl vol. et encore est-ce une hypothèse basse, un plancher, entre 1,2-1,5 million d’hl de vins de table/vins de base, 800 000 à 1 million d’hl de jus de raisin et 500 à 800 00 hl de moûts concentrés. » Le président du CIMVC estime que la filière des vins et moûts charentais aurait besoin de 5 000 à 7 000 ha pour travailler normalement. « Aujourd’hui, potentiellement, la région manque de matière première pour alimenter tous ses débouchés. Et encore a-t-on évité l’arrachage ! » Le « Business Plan » chargé de mettre la région sur les rails pour les cinq-dix ans à venir conclura-t-il à la nécessité de planter ? Sans être tabou, le concept est osé. Que le vignoble existant regagne de la productivité semble une piste plus consensuelle. « A 130 hl vol./ha de moyenne, tous les débouchés seraient servis » note H. Pogliani. La sous-production du vignoble, l’opérateur vin l’attribue, à la louche, « à 30 % de problèmes et 70 % de pas de bol ». Mais ce qu’il ne sait pas et personne avec lui, c’est l’envie ou non des viticulteurs d’alimenter le débouché vin dans un contexte où le Cognac « tire ». Le président du CIMVC a beau défendre l’approche économique – à 300 hl/ha, payé 35 à 40 € l’hl, le débouché vin de table est loin d’être ridicule – il ne contrôle pas la part d’irrationnel –
ou tout simplement de libre choix – attaché à chaque exploitation viticole.