Les dix ans du blues à Cognac

18 mars 2009

Texte engagé – contre toutes les formes de ségrégation – rythme lancinant, notes altérées, musique du Delta ou de Chicago, rudimentaire ou électrique, afro-américaine ou métissée… le blues est un monde en mouvement dont on découvre chaque année une part – la part des anges (facile) – à Cognac. Michel Rolland, fondateur du festival et de retour dans sa ville (à la satisfaction de tous), nous guide dans l’univers foisonnant de la « blue note ». Le festival a eu lieu du 24 au 27 juillet dernier.

photo_24.jpg« Le Paysan Vigneron » – Existe-t-il un « vrai » blues et un blues qui serait un peu moins vrai ?

Michel Rolland – Sur ce qui se passe à Blues Passions (mon domaine de référence), on est sur de l’authentique. Évidemment, il y aura toujours des puristes pour dénigrer des influences « néfastes », pour prétendre que le hot ou le soul ne font pas parties du blues. Mais c’est comme si l’on disait que la musique classique n’existe plus parce que Mozart est mort. Le blues se nourrit de la couleur du temps. Musique populaire, très « roots » (proches des racines), elle peut évoluer vers des sonorités électriques. Mais la démarche reste toujours la même. Par des petits faits, des banalités journalières souvent tirés de la vie des musiciens, ses textes sont empreints de ce message universel de lutte contre la ségrégation, une ségrégation qui a pu changer de visage mais qui au fond demeure la même. Pour moi, c’est ce message qui constitue l’épine dorsale du blues et assure l’authenticité d’une programmation.

« L.P.V. » – Est-ce qu’un blues man est forcément afro-américain ?

M.R. – Bien sûr que non. Je me souviens d’une citation qui disait en substance ceci : « le blues est noir mais le monde est si petit qu’il devient universel ». J’ai entendu parler d’un blues man japonais. Je suis curieux de voir ce que cela donne. Si une démarche sincère existe du côté du pays du Soleil levant, pourquoi pas ! Le blues est né il y a environ un siècle de cette douleur portée par les Noirs Américains. Les Blancs ont capté ce message et tant mieux. C’est le métissage qui me séduit. A côté des grandes figures afro-américaines, un festival comme Blues Passions se doit de soutenir les jeunes formations françaises, anglaises ou d’ailleurs. Au début, il y a beaucoup de reprises et puis, au fur et à mesure que ces musiciens sentent les choses, leurs compositions s’approprient l’univers du blues.

« L.P.V. » – Qu’est-ce que le blues, des paroles ou une musique ?

M.R. – Les deux naturellement. Les paroles sont très importantes. Ce sont souvent des tanches de vie, afférentes aux propres expériences des musiciens, des petites bribes d’histoires personnelles, des textes engagés aussi, qui défendent par exemple les droits de la femme. Et naturellement, il y a la « blue note ». En quoi consiste la « blue note » ? C’est d’abord un rythme un peu lancinant (les musiques répétitives d’aujourd’hui n’ont rien inventé) et ensuite des notes altérées, créées spécifiquement pour cette musique. Dans la gamme, des notes ne se retrouvent pas à la hauteur normale. Cela donne des sonorités particulières qui font que le blues est blues.

« L.P.V. » – Existe-t-il des « écoles » ?

M.R. – Cette musique-là se joue différemment selon les lieux. La musique de la Nouvelle Orléans est plus riche, plus basée sur le jazz, celle du Mississippi plus « roots ». En fait, il y a plusieurs courants dans le blues, au moins une dizaine, dont les chefs de file s’appellent Buddy Guy, Ben Harper, Etta James, Doctor John, Ike Turner, Lucky Peterson, John Lee Hooker, Otis Taylor… Mais quand on parle du blues, deux grandes références surgissent, celle du Delta blues, et celle du Chicago blues. La première est très rudimentaire. Elle s’appuie sur un chanteur, une guitare, un harmonica. Le Chicago blues a intégré l’électrification de la guitare, de l’harmonica, de la basse. Il développe un rythme reconnaissable entre tous, qui s’enrichit au fur et à mesure des déplacements et de la complexité des orchestrations mais dont la trame reste la même. Soul, rhythm’n blues sont issus de ce courant-là. A l’écoute d’un groupe comme Taj Mahal, déjà venu à Cognac, des puristes vont pouvoir dire : « non, ça, ce n’est pas du blues et moi je leur répondrai que si ». Quand je regarde la programmation de Blues Passions ces dix dernières années, je m’aperçois qu’elle s’est nourrie de pas mal de transgressions mais qu’elle a réussi tout de même à rester cohérente avec sa ligne.

« L.P.V. » – Qu’entendez-vous par là ?

M.R. – A travers la programmation, mon objet est d’affirmer la thématique du blues. A la fois je me reconnais bien dans le blues et en même temps je ne veux pas m’enfermer dans quelque chose de trop restrictif. Par exemple, je ne programmerais pas un musicien folk comme Bob Dylan ou un Johnny Hallyday qui, par certains côtés, peut avoir des rythmes un peu blues. A l’inverse, je n’ai pas hésité à programmer une DD Bridgewater à la sonorité très jazz ou une Janis de Rosa très afro-américaine, chez lesquelles je reconnaissais une authentique veine blues. Malgré tout, il y a quelques frontières à respecter.

« L.P.V. » – Le blues est-il compatible avec un aspect « commercial »?

M.R. – Cette question appelle plusieurs réponses. Il faut d’abord relativiser la portée du mot « commercial » dans le blues. Aujourd’hui, n’importe quelle vedette de Star Academy va bénéficier de la part des majors de moyens de communication sans commune mesure avec ce à quoi peut prétendre un blues man. Même chose pour le jazz ou la musique classique. Ces genres musicaux représentent si peu en terme de ventes de disques, à peine quelques pour cent. Cela ne signifie pas que, de temps en temps, des groupes ne profitent pas d’une occasion pour avoir une démarche « grand public », sans se dénaturer pour autant. Mais de toute façon, même les artistes connus et dont les albums se vendent bien – B.B King, Ray Charles, Buddy Guy, Clapton, Ben Harper… – représentent « peanuts » à côté des Spices Girls.

« L.P.V. » – Vous fêtez cette année le dixième anniversaire de Blues Passions. Cet événement donne-t-il lieu à une programmation spéciale ?

M.R. – L’année 2003 est effectivement celle du dixième anniversaire. Le festival tel qu’il existe aujourd’hui, sur quatre jours, a été lancé en 1994, après une première nuit en 1992 et une seconde en 1993. On ne peut pas à proprement parler de programmation spéciale. Elle est conforme à ce que l’on fait d’habitude, c’est-à-dire la recherche d’un équilibre entre artistes à découvrir et têtes d’affiche. En fait, la programmation se veut comme toujours belle et attrayante. Nous restons attachés au concept de création spéciale pour Blues Passions. Depuis déjà pas mal de temps, nous travaillons avec des artistes hors tournée. Cela ne m’intéresse pas spécialement de marcher dans les pas des autres. Ainsi le concert de Snooky Prior a-t-il été créé pour le plateau de Blues Passions, en exclusivité mondiale. Wilson Pickett donne deux concerts en France, Nice et nous. Il n’était pas venu en Europe depuis les années 70-80. Même si son nom ne dit rien au grand public, c’est une légende aux États-Unis.

« L.P.V. » – Comment envisagez-vous la programmation ?

M.R. – Je travaille toujours de la même façon. J’établis d’abord une grille idéale. Ensuite, je la confronte aux contraintes, budgétaires mais aussi de disponibilité des artistes (voilà trois ans par exemple que j’essaie de programmer Eric Clapton). En ressort une grille un peu moins idéale mais tout de même sans concession. Je vais vous dire. Je rêverai d’un Blues Passions sans plaquette d’annonce des artistes ; qu’une date tombe et que le public se déplace sur la seule confiance qu’il a en l’événement, en sachant qu’il va en retirer plein de plaisirs et d’émotion. C’est peut-être une utopie mais c’est celle d’un passionné et d’un convaincu. Depuis dix ans, ce fut un peu mon leitmotiv sur Blues Passions : dire au public : « ce que vous allez voir, ce sont peut-être les Ray Charles de demain ». Je n’étonnerais personne en disant que Ray Charles n’a pas toujours été Ray Charles.

« L.P.V. » – Y a-t-il un public spécial à Blues Passions ?

M.R. – Peut-être mais ce n’est pas mon souhait. Moi, ce que j’aimerais, c’est que le public de Blues Passions soit aussi le public de Star Academy. On m’objectera que 25 euros la place, c’est cher pour un public populaire. Vrai et faux à la fois. Avant de quitter Brive, j’ai pu constater que les 8 000 places d’un spectacle de Star Academy justement, à 350 F l’entrée, s’étaient arrachées en quelques jours.

« L.P.V. » – Vous évoquez votre passage à Brive où vous étiez responsable de la culture de la ville. Vous voilà à nouveau présent à Cognac. Pourquoi étiez-vous parti, pourquoi êtes-vous de retour ?

M.R. – Au moment de mon départ, j’avais fait le tour du centre d’animation de Cognac, Blues Passions commençait à prendre son envol mais les choses n’étaient sans doute pas encore assez mûres pour que l’on m’accorde ce que je demandais, m’occuper à temps plein du festival. Je ne suis pas parti en conflit avec la municipalité de Cognac mais pour m’investir dans un nouveau projet. La ville de Brive affichait un gros retard en matière de politique culturelle (expositions, musée, théâtre…). Mon expérience en Corrèze fut riche. En trois ans, je crois avoir apporté une plus-value reconnue, J’avais la responsabilité de nombreux agents, un gros budget. Je me suis très très bien entendu avec mon maire, même si je n’étais pas totalement d’accord avec la politique culturelle de la cité. En quittant Brive, j’avais d’autres propositions que Cognac mais j’adore ma ville et je suis profondément attaché à ce festival que j’ai créé de toutes pièces. Présent à Cognac depuis le mois de février, je suis heureux d’être ici et de réaliser pour la première fois mon vœu, travailler à temps plein pour le festival.

« L.P.V. » – Vous avez pris la direction générale du festival.

M.R. – On m’a donné mission de donner un nouvel élan à quelque chose qui commençait à s’effilocher. Au-delà du reste, je suis un passionné qui s’investit totalement dans le travail qu’on lui confie.

« L.P.V. » – Au niveau statutaire, comment fonctionne Blues Passions ?

M.R. – C’est une association complètement détachée de la Mairie. Elle a son propre conseil d’administration, son propre bureau même si des liens très forts existent avec les bailleurs de fonds, dont la mairie de Cognac fait partie. Les élus considèrent à juste titre que le festival est complètement ancré dans l’économie. Je pense comme eux que sans culture il n’y a pas d’économie et sans économie, pas de culture. Les deux sont intimement liés en sachant qu’ensuite chacun doit rester à sa place. Les élus par exemple n’ont pas à s’occuper de programmation. C’est à cette condition que le mariage peut être harmonieux.

« L.P.V. » – Qui préside l’association du festival ?

M.R. – C’est Joël Joanny, président de Marantz, une société très connue dans le monde de la musique, spécialiste du matériel Hi-Fi. Il a d’abord découvert le festival incognito puis est devenu partenaire premium, aux côtés d’autres partenaires principaux comme Hennessy, Rémy Martin, la ville de Cognac, le Conseil général de la Charente, le Conseil régional.

« L.P.V. » – Disposez-vous d’un budget suffisant ?

M.R. – Un directeur de festival ne va jamais dire que son budget est suffisant. Ceci étant, notre budget s’élève à 700 000 euros (4,6 millions de francs) et nous faisons avec. Ce budget devra sans doute évoluer mais pas nécessairement par un recours accru à nos partenaires habituels La croissance budgétaire peut passer par la recherche de nouveaux contributeurs et aussi par la billetterie. L’an dernier, cette dernière a augmenté de 9 % et nous avons l’intention d’atteindre cette année 10 000 entrées payantes, soit une progression d’environ 10 %. La capacité d’accueil du théâtre de la Nature est d’environ 3 000 places, ce qui donne un volant de 10 à 12 000 entrées durant les quatre jours du festival.

« L.P.V. » – Un jour, envisagez-vous de changer de lieu ?

M.R. – Pas du tout. Ce lieu est superbe, les gens s’y sentent bien. Cette année nous allons améliorer la restauration rapide. Des opérations décentralisées pourront être conçues mais le parc de l’hôtel de ville est au cœur de l’événement et le restera.

« L.P.V. » – Quel est votre moteur aujourd’hui ?

M.R. – Je suis un homme de partage. C’est ce qui me motive. Ce dont je suis ravi, c’est de voir la fraternité s’installer, que l’événement ait une âme. A la limite, la musique passe après. La programmation, ce n’est pas compliquée. C’est mon métier. Durant ces quatre jours, je dors peut-être une heure par nuit mais mon bonheur est de pouvoir faire le lien entre les musiciens, les festivaliers, les techniciens, les partenaires. Que tous ces gens se croisent et se fédèrent. C’est cet amour partagé qui fait le ciment du festival.

« I’ve got the blues »

Forme musicale développée depuis la fin du XIXe siècle par la communauté noire du sud des Etats-Unis, le blues traduit toute la gamme des émotions humaines, du désespoir au plaisir charnel, dans son expression la plus immédiate.

C’est aux lendemains de la guerre de Sécession, dans les Etats du « deap South » (du Sud profond), que le blues sort de sa gangue. Il affiche d’emblée une certaine parenté avec le chant des troubadours ouest-africains, les griots. Le blues tire ses premières sonorités des cuivres et des instruments à cordes (violons, guitares), rejoints bientôt par le piano ou l’harmonica. Vers 1900, s’affirme une structure musicale fondée généralement sur le refrain de trois fois quatre mesures. C’est la blue note. Au début du siècle, les grands axes de migration (le Mississippi et ses affluents, les voies ferrées conduisant au Texas ou en Californie), dessinent des styles locaux très différents mais le blues reste rural. Après la grande dépression de 1930, le blues man fuit le Sud et sa campagne en crise vers les grandes villes du Nord, essentiellement Détroit et Chicago. Il emprunte la highway 61, de la Nouvelle Orléans à Chicago, connue aujourd’hui comme la « route du blues ». A Chicago, terre promise des musiciens noirs américains, le blues devient urbain.

Musique évolutive, le blues s’exprime par de multiples facettes. Les années 30 voient la naissance du « boogie » (blues endiablé), suivi de formes dérivées comme le rhythm’n blues, le rock’nroll, la soul music, qui utilisent des instruments électriques. Dans les années 40, le blues profite du formidable développement des radios américaines. Les plus fameuses sont le FKFA (Arkansas), la Widia de Memphis, animée par B.B. King ou le WLAC de Nashville. En 1962, le blues débarque en Europe avec l’American Blues Folk Festival, premier festival de blues itinérant organisé en Europe. La tournée présente John Lee Hooker, Memphis Slim et T. Bone Walker. Dans les années 60, beaucoup de musiciens afro-américains émigrent en Europe. Le blues anglais fait son apparition. Eric Clapton en constitue une des figures de proue. Aux Etats-Unis, le New Orleans Jazz & Heritage Festival a lieu pour la première fois en 1970. Avec ses dix scènes éparpillées sur l’immense hippodrome, sa programmation éclectique (blues, jazz, soul…), ses 500 000 spectateurs réunis la première semaine de mai, il constitue un des premiers festivals de musique au monde.

Source : site internet leblues.i-france.com/le blues – Portrait du blues

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