Beaucoup d’exploitations viticoles de notre région ont connu, au cours des dix dernières années, une augmentation importante de leurs surfaces qui les oblige à repenser l’agencement de leurs chais de vinification. Yannick Mesnier, à Malaville, qui a été confronté à cette situation, a construit de manière très progressive un nouveau chai en faisant preuve de technicité, de pragmatisme et de sagesse économique.
Au cours des 20 dernières années, l’exploitation familiale de Yannick Mesnier à Malaville en Charente est passée de 30 à 50 ha, ce qui a amené ce viticulteur à repenser totalement l’agencement de son chai de vinification. Cette propriété possède deux sites de production, l’un plus important situé à Malaville et l’autre à Graves-Saint-Amant, qui à l’origine disposaient chacun de leur chai de vinification. Le fait d’avoir deux unités à gérer pendant les vendanges posait beaucoup de problèmes d’organisation et générait des charges importantes pour « mettre à niveau » les équipements. L’augmentation des surfaces sur le secteur de Malaville a progressivement rendu incontournable de travailler avec un seul site de vinification. L’idée de concevoir une seule unité de vinification performante avait germé dans l’esprit de Y. Mesnier depuis le début des années 90 et les investissements effectués depuis 15 ans attestent de cette volonté de transformer l’outil technique à la fois de manière profonde, progressive et raisonnée sur le plan technique et économique. Comme beaucoup de bouilleurs de cru de la région, la cuverie était implantée à proximité de la distillerie dans des bâtiments existants, ce qui présentait des avantages et des inconvénients. Le travail était plus facile pendant l’hiver mais par contre les possibilités d’extension de la cuverie s’avéraient limitées.
Regrouper la production de deux chais sur un seul site de vinification
La première évolution importante est intervenue au niveau de l’atelier de pressurage par le remplacement des quatre pressoirs horizontaux des deux chais par une unité mobile pneumatique de 80 hl. L’acquisition de cet équipement en 1992 a permis de rationaliser la conduite de la récolte et du traitement de la vendange. La capacité journalière de pressurage multipliée par deux a apporté de la souplesse dans le « timing » du calendrier de récolte. Un arrêt lié à une panne, à des pluies abondantes… est désormais envisagé avec plus de sérénité. Les attentes de vendanges préjudiciables à la qualité ont été supprimées car dès que le pressoir est plein la machine fait « une pause » à la vigne (pour ne jamais stocker). La simplicité du travail autour de l’unique pressoir a libéré la personne gérant le chai de travaux pénibles au profit de gestes importants pour la qualité des vins. Le seul point noir de cette nouvelle organisation a été la gestion des volumes de moûts devant être mis en fermentation. L’inadaptation de la cuverie ciment du petit chai de Graves a très rapidement posé des problèmes et conduit Y. Mesnier à arrêter de vinifier sur ce site. L’utilisation de moyens de tractions plus rapides a permis de réduire le temps de transport de la vendange à 30 à 40 minutes maximum entre Graves-Saint-Amant et Malaville. Dans ces conditions, n’avoir qu’un seul site de vinification pouvait être envisagé sans que cela pose de problèmes qualitatifs. Par ailleurs la situation du chai de Malaville à flanc de coteaux a permis de simplifier le transfert de la vendange. Le conquet a été supprimé au profit de deux bennes à pompes (à ogives) de 50 hl qui alimentent le pressoir sur un même niveau en raison de la pente naturelle du terrain.
Un chai fonctionnel construit progressivement
Y. Mesnier a commencé à penser l’implantation de son futur chai à partir du moment où l’ensemble de la production de la propriété a été vinifié sur un seul site : « Le fait de travailler sur un seul site de vinification m’a obligé à repenser totalement l’agencement de l’ensemble de l’installation pour la conduite des vinifications. Le nouvel outil de vinification s’est construit progressivement au cours des dix dernières années en ayant le souci de concilier la réflexion qualité aux réalités économiques. La cuverie ciment dont je disposais à Malaville était en bon état et la conduite des fermentations était suivie de manière rationnelle. Dès le début des années 90, on a utilisé des échangeurs drapeaux mobiles que l’on déplaçait de cuve en cuve pour refroidir ou réchauffer les moûts selon les années. L’état des revêtements intérieurs était aussi entretenu régulièrement et globalement toute la cuverie ciment donnait satisfaction. Par contre, les bâtiments exigus rendaient le travail pénible pendant les vendanges. Il fallait parfois être deux pour remplir une cuve de 200 hl et l’entretien des cuves ciment nécessitait une grande attention. Le véritable déclic s’est produit au moment où j’ai dû acheter 1 000 hl de logement supplémentaire pour remplacer la capacité de stockage du chai de Graves. Mon choix s’est porté sur deux cuves de 500 hl en fibre de verre, un matériau à la fois facile à entretenir et beaucoup plus abordable que l’inox. L’implantation de ces deux grosses cuves aurait pu se faire à côté du chai existant mais l’environnement proche ne permettait pas d’en rajouter d’autres. Comme mon souhait était de renouveler progressivement la cuverie pour les fermentations, cela m’a incité à aborder les choses différemment. J’ai décidé de créer un nouvel atelier de cuverie de fermentation distant de 50 mètres de la distillerie dont l’aménagement a duré 10 ans. Progressivement, j’ai remplacé les cuves béton par une batterie de 10 cuves en fibre de verre de 500 hl équipées de passerelles, de rampes d’alimentation en eau, de caniveaux pour collecter les eaux de lavage, et d’un bac de réception des effluents. Aujourd’hui, la cuverie ciment me sert uniquement à stocker des vins finis. »
Bien anticiper les conséquences de chaque évolution
Depuis 15 ans, Y. Mesnier a toujours cherché à s’entourer de compétences pour faire évoluer la conduite de la vinification des vins de distillation en étant à la fois à l’écoute des attentes qualitatives des acheteurs et en travaillant en étroite collaboration avec l’œnologue qui le suit (M. Patrick Vinet, de la Chambre d’agriculture de la Charente). Les échanges et discussions fréquentes avec ces différents acteurs l’ont amené à raisonner l’évolution de son installation et de ses pratiques de vinification : « Chaque fois que j’ai investi dans un équipement nouveau ou réalisé une nouvelle intervention œnologique, j’ai essayé d’anticiper les choses sur le plan de l’organisation et au niveau qualitatif. La mise en œuvre d’une nouvelle intervention génère parfois des avantages et aussi des contraintes que l’on sous-estime au départ. Il faut bien faire face aux problèmes et trouver des solutions les plus simples possibles. Par exemple, chez nous, c’est le pressoir qui conditionne le rythme de récolte. On ne fait pas attendre de vendange pendant trois heures dans les bennes, c’est la machine qui s’arrête dans les vignes. Des années comme 2009 où les rendements sont plus généreux, il ne faut pas hésiter à commencer plut tôt dans les parcelles de coteaux à fort potentiel de maturité pour finir les vendanges dans de bonnes conditions. On fait généralement 3 cycles de pressurage par jour. L’ensemble des moûts sont décantés en utilisant des moyens simples et fonctionnels. Les cycles de pressurage libèrent environ 120 à 140 hl de moûts qui sont mis à décanter dans trois cuves en acier revêtu de 200 hl (des occasions). Cette disponibilité permanente de cuverie simplifie considérablement le travail lié aux décantations, car il y a toujours une citerne vide et propre pour recevoir les moûts. Les soutirages interviennent au bout d’une heure et les taux de prélèvement de bourbes varient selon l’état sanitaire de la vendange. Cette année, ils n’ont pas dépassé 1 à 2 %. Néanmoins, comme de nombreux viticulteurs depuis 5 à 6 ans, j’ai été aussi confronté à des difficultés au niveau des départs et du déroulement des fermentations. Lorsque l’on rentrait 200 hl par jour, on arrivait toujours à maîtriser les fermentations par temps chaud ou froid avec les moyens du bord. Depuis que l’on récolte
400 hl/jour, les choses sont devenues plus compliquées. »
Maîtriser les températures de cuves de 500 hl nécessite des moyens
Le déroulement des fermentations dans des cuves de grandes capacités nécessite une surveillance accrue car l’effet volume amplifie les échanges thermiques en matière d’excès et de basses températures. L’absence de moyens de maîtrise thermique performants dans beaucoup de propriétés rend les viticulteurs très dépendants des conditions climatiques pendant les vendanges. Les dates de vendanges de plus en plus précoces amplifient les problèmes de refroidissement car fin septembre la fraîcheur des nuits est bien moindre que celle des 15-20 octobre. Ce viticulteur a essayé depuis longtemps de limiter les excès de températures lors des fermentations en utilisant le petit groupe de froid de la distillerie et en faisant preuve de sens de l’anticipation au niveau des horaires de vendanges. Depuis les années 2003 et 2005, Y. Mesnier a planifié une récolte tôt le matin pour rentrer des moûts ne dépassant pas 15 à 18 °C de températures. La machine commence son travail à la vigne à 5 heures du matin et s’arrête vers 16 heures. En année chaude, une organisation de vendanges encore plus matinale (de 3 heures du matin à 12 heures) donne de bons résultats mais pose aussi des problèmes humains (avec le personnel salarié) si cela dure deux ou trois semaines. A l’inverse, pour ce bouilleur de cru, le réchauffage des moûts a toujours été plus facile à aborder car il utilise l’alambic comme centrale de production d’eau chaude. Après les vendanges 2006, Y. Mesnier a décidé d’engager une réflexion sur l’acquisition d’un équipement de refroidissement qui soit polyvalent pour les vinifications et la distillation : « L’acquisition d’un deuxième alambic au début des années 2000, nous a aussi obligés à repenser les moyens de refroidissement de la distillerie. On est passé d’un système à eau perdue refroidie à un circuit fermé. Parallèlement, après les vendanges 2005 et 2006 assez chaudes, je me suis dit qu’il fallait franchir le pas et mieux maîtriser la température des moûts en sortie du pressoir. Ma première réflexion a été de rechercher un équipement de froid polyvalent pour la distillerie et le chai de vinification. J’ai acheté une thermo-frigo-pompe de 40 000 frigories pour les vendanges 2007 qui a été utilisée comme un refroidisseur en ligne des moûts après les décantations. Cette organisation du refroidissement n’a pas donné pleinement satisfaction en raison du débit insuffisant du matériel par rapport au volume quotidien de moûts récolté. Par contre, durant l’hiver, la thermo-frigo-pompe a bien fonctionné pour le refroidissement des eaux chaudes de la distillerie (préalablement pré-refroidies) en circuit fermé. Cette expérience décevante au niveau des vinifications m’a incité à aborder les choses autrement. J’ai décidé d’utiliser la thermo-frigo-pompe comme une centrale de production d’eau glacée et d’assurer le refroidissement des cuves par un ruissellement d’eau sur les parois extérieures. Les conditions chaudes des deux premières semaines des vendanges 2008 m’ont permis de voir que cette organisation était fonctionnelle. »
Un système de ruissellement d’eau simple qui a donné satisfaction en 2009
L’installation de maîtrise des températures des fermentations de cette propriété a été réalisée en faisant preuve de bon sens et sans moyens technologiques superflus. L’implantation de la cuverie avait été pensée à l’origine pour pouvoir collecter facilement les eaux de ruissellement dans un grand bac où l’eau est refroidie par la thermo-frigo-pompe. Le « stock » d’eau important (plus de 120 hl) permet de disposer d’une réserve de « frigories » suffisante pour contrôler les températures de 3 à 4 cuves en même temps. L’unité de production d’eau glacée refroidit l’eau du bac tampon (autour de 10 à 12 °C) qui est ensuite pompée vers la cuverie. Chaque dôme de cuve est équipé d’une rampe de ruissellement que Y. Mesnier met en route manuellement en actionnant une simple vanne. Ce viticulteur n’a pas souhaité doter son installation d’un système automatisé de pilotage du refroidissement, compte tenu de la période d’utilisation réduite de cet équipement. Il a réalisé lui-même tout le montage du réseau d’alimentation en eau refroidie de la cuverie et la première année d’utilisation a été convaincante : « L’installation de refroidissement de la cuverie a été volontairement abordée de façon simple. Il me paraissait superflu de m’équiper d’un système de régulation automatique du refroidissement sur des cuves de 500 hl mais peut-être que je changerai d’avis un jour. Cette année, on rentrait des moûts l’après-midi autour de 20 °C qui étaient mélangés à ceux du matin plus frais, autour de 14 °C. Pour ne pas me laisser déborder, je commençais le refroidissement dès que la cuve était pleine. Le ruissellement se poursuivait en permanence jusqu’à ce que les densités arrivent à 1020 et les températures de fermentation n’ont jamais dépassé 24 à 25 °C. Ensuite, on arrêtait le refroidissement pour que les fermentations se terminent sans incidents. Les fermentations ont duré 6 à 7 jours et au vu des premières dégustations et des analyses, le refroidissement s’est montré efficace ».
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