Episodes de grêle sur le Cognaçais : Carences du système ou loi des séries

1 septembre 2016

Une fois ça passe, une deuxième fois, des questions se posent, forcément. Que ce soit pour l’orage de grêle du vendredi 27 mai – 5 500 ha touchés, 3 000 ha à plus de 80 % – ou pour celui du vendredi 2 juillet – 1 500 ha atteints, 500 ha à plus de 80 % – il n’y a pas eu d’alerte météo. Conséquence : le réseau de lutte anti-grêle n’a pas été activé. Censés protéger le vignoble, les postes à iodure d’argent n’ont pas été déclenchés. Face à ce qu’il faut bien appeler un double  échec, les viticulteurs s’interrogent : « carences du système ou loi des séries ?» Une colère sourde monte du vignoble – « qu’est-ce qui  a disfonctionné? »

Exit le temps où les prévisions météo se faisaient « au pif » ou presque, avec pour seuls indicateurs les fronts nuageux ou les déplacements des dépressions. Aujourd’hui, ce sont les modèles scientifiques qui pilotent la prévision météorologique. Pour la simulation des orages, ces modèles privilégient l’instabilité de l’atmosphère, entre basses couches et hautes couches de l’atmosphère.  Mais bien sûr, ceci n’est pas une science exacte. Commentaires du professeur Dessens, conseiller scientifique de l’ANELFA (1) – « La météorologie active, celle que pratiquent les prévisionnistes, se rapproche beaucoup de la médecine. L’une et l’autre ne sont pas efficaces à 100 %, ni dans la prévision, ni dans la prévention. » Mais bien sûr, l’espoir existe que ces modèles s’améliorent. Et c’est ce qui se passe dans la réalité. Sauf que le 27 mai comme le 22 juillet, ces modèles ont failli, « grave » comme disent les jeunes, même si les deux épisodes ne sont pas comparables. Le 27 mai, il semblerait que les modèles  aient indiqué un risque, limite certes mais un risque tout de même. Le 22 mai, les modèles n’ont rien vu venir. Ni les modèles de Météo France, Arôme et Arpège ni les modèles anglais, espagnol, allemand qu’utilise, en plus de ceux de Météo France, Keraunos, l’opérateur privé auquel a recours l’ANELFA, en binôme avec Météo France. Ce jour là, tous les indicateurs étaient au beau fixe. Ou presque. Pour les prévisionnistes, le nuage devait donner beaucoup d’eau (vrai) mais pas de grêle (faux). Malgré tout, un indice aurait pu attirer l’attention. A Bordeaux, à quelques heures de l’abat de grêle, le radiosondage de la masse d’air montrait un taux d’humidité très élevé à 4 / 5 kms d’altitude. Et l’on sait que, corrélé à une atmosphère très sèche en altitude (ce qui était le cas), un fort degré d’humidité joue comme un puissant facteur d’instabilité. Mais encore fallait-il que ces données soient interprétées. Car, à l’évidence, les modèles eux-mêmes ne pouvaient pas intégrer ces informations (ni ceux de Météo France ni ceux de Keraunos), sachant qu’il leur faut bien 5 ou 6 heures pour « faire tourner les données », question de puissance de calcul oblige. Mais le rôle du prévisionniste ne consiste-t-il pas – aussi – à repasser derrière le modèle (sans le modifier bien sûr) et, en fonction de son ressenti, de son expérience, voir si le modèle « n’est pas en train de se planter » ? Or, ce jour-là, Météo France ne pouvait pas le faire pour la bonne et simple raison que la Direction régionale de Bordeaux, responsable des alertes grêle pour la zone, avait déposé un préavis de grève. Ainsi, c’est Kéraunos, seul, qui était chargé de la prévision. Attention ! A Météo France, la grève ne signifie pas que tous les météorologues aient déserté la maison. Non, qulequ’uns restent en faction, réquisitionnés par le préfet pour les dangers majeurs. Mais pour les « prestations commerciales » – et l’ANELFA s’inscrit dans ce cadre, comme Airbus ou Eiffage – la réquisition préfectorale ne fonctionne pas. Alors, en l’absence de grève à Météo France, l’alerte aurait-elle pu être donnée ? Aurait-elle été lancée  à temps, dans la mesure où les postes doivent être allumés au moins 4 heures avant le début du risque de grêle ? Questions ouvertes qui risquent de rester sans réponse à moins de se livrer à des spéculations hasardeuses.

Le professeur Dessens lui-même a du mal à parler de carences – « Parfois, dit-il, il y a des situations à cheval entre alerte / pas alerte mais ici le risque était très localisé et donc très difficile à prévoir. De plus, cet orage était particulièrement atypique. Il provenait du Nord-Ouest, de la Vendée, des Deux-Sèvres, charriait beaucoup d’eau  et s’est vidé sur quelques communes. Une configuration que l’on n’avait pas vue depuis les années soixante-dix. » Par contre, il souhaite apporter une précision.  « En cas d’alerte, oui, la situation était facile à traiter car il n’y avait pas de vent dans les basses couches de l’atmosphère. Sur des orages qui se déplacent à faible vitesse, le réseau de lutte anti-grêle offre une bonne efficacité.» Regrets rétrospectifs.

Jeudi 28 juillet, un tour de table a eu lieu entre différents acteurs – réseaux Silfa 16, Adelfa 17, BNIC, UGVC, ANELFA – pour essayer de tirer les enseignements de ce malheureux bégaiement de l’histoire. Car l’enjeu est bien là ! Que le système progresse, éventuellement se transforme, pour éviter de revivre de pareilles heures. Voir des viticulteurs désarmés, désemparés devant la violence des éléments, comme ce fut le cas à Juillac-Le-Coq, Verrières et plusieurs communes limitrophes le 22 juillet ; à Chateaubernard, Saint Brice, Bourg Charente et de nombreux autres secteurs viticoles le 27 mai.

Le lunid 25 juillet, juste après la visite du vignoble dévasté, Jean-Bernard de Larquier, président du BNIC, tenait des propos forts – « Si des carences sont établies, l’interprofession, dont le rôle est de sécuriser l’approvisionnement, prendra ses responsabilités. »

Alors que la végétation était en pleine pousse, la nature s’est brutalement drapée d’un voile de deuil ce vendredi 22 juillet dans un périmètre étroit mais densément viticole. Après les torrents de boue et les impacts de grêle, le vignoble épuisé a perdu ses feuilles, adoptant une  couleur métallique du plus sinistre effet. Que faire ? Chambres d’Agriculture et BNIC ont émis une note, à peu près de la même teneur que celle du mois de mai. En gros, la préconisation est de protéger ce qui reste contre le mildiou et l’oïdium et ce jusqu’en fin de cycle. L’enjeu, bien sûr, n’est pas tant la récolte que la maturation (l’aoûtement) des bois. Faut-il réaliser des apports, pour faciliter le redémarrage de la vigne ? La question est dans l’air. Des techiciens-conseils se montrent assez dubitatifs. « La vigne va avoir des besoins moindres et, de toute façon, il faudra un certain temps pour que le matériel végétal et le système racinaire, après un tel traumatisme, répondent à des amendements. Si l’on ne veut pas favoriser les problèmes phytosanitaires, il ne faut surtout pas apporter d’azote. » Au final, la préconisation est « d’en faire le moins possible, pour ne pas rajouter du stress au stress, sauf à assurer une bonne protection. » Petite lueur d’espoir. « La vigne est très plastique. Même en présence d’un tout petit passage de sève, beaucoup de choses se cicatrisent. Des bouts de sarments vont repousser et il n’est pas interdit que des grappes grossissent. » Pour l’instant, l’on serait tenté de se comporter comme Saint Thomas : le voir pour le croire.

 

 

(1) l’ANELFA  (Association nationale d’études et de lutte contre les fléaux atmosphériques) est une association loi 1901 ayant pour but de « développer et de perfectionner des méthodes de traitements des orages de grêle. » Concrètement, l’ANELFA gère, pour le compte de son réseau d’adhérents institutionnels (une vingtaine de départements dont les deux Charentes) le déclenchement des postes à iodure d’argent. Objectif : ensemencer les nuages de grêle afin de créer des noyaux glaçogènes qui entraîneront une précipitation précoce du nuage de grêle, afin de limiter les risques sur les plantes. Docteur es science en physique, ancien physicien à l’Observatoire des Pyrénées, ancien professeur à l’Université de Toulouse, le professeur Jean Dessens, aujourd’hui à la retraite, est conseiller scientifique de l’ANELFA.

 

Erratum

Deux erreurs de prénoms se sont glissées dans les précédentes éditions. D’abord le n° 1178 du Paysan vigneron où, dans l’article sur l’anniversaire de la coopérative Champaco, Marie-Madeleine Hosteing, épouse de Paul Hosteing, est créditée du prénom de sa belle-sœur, Anne-Marie. Et puis dans le n° 1179, Henri de Pracomtal, Pdg de la tonnellerie Taransaud, hérite du prénom de son père, Alain. Que les personnes ainsi « débaptisées » veuillent bien nous excuser.

 

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