L’émergence de la chimie agricole, au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, a systématisé le recours aux pesticides, aux herbicides et aux engrais minéraux depuis les années 70. Les conséquences de ces pratiques sur l’environnement, et notamment celles des herbicides sur la pollution des eaux souterraines et superficielles, conduisent aujourd’hui les citoyens-consommateurs à rejeter ce modèle d’agriculture intensive.
La mise en place, en France, du Grenelle de l’environnement et l’objectif du plan Ecophyto 2018 de réduire de 50 % l’usage des pesticides dans les 10 années à venir témoignent de cette remise en question. Dans cette optique, la nécessité d’innover dans la conception et la mise au point d’itinéraires techniques et de systèmes de cultures économes en pesticides constitue un axe de recherche prioritaire.
Parallèlement, une étude commandée par le ministère de l’Agriculture et publiée en avril 2010 recommande la mise en œuvre d’un plan de maîtrise de la fertilisation, comparable au plan Ecophyto 2018, qui pourrait prendre le nom d’Ecofertilisation 2020. Face à l’augmentation inéluctable du prix des engrais en France, cette étude préconise « d’orienter la filière agricole dans la direction d’une moindre dépendance de l’agriculture aux engrais minéraux », en favorisant notamment une consommation optimisée d’engrais et une utilisation accrue de produits fertilisants environnementaux, comme les sous-produits organiques.
Enfin, il semble désormais indispensable de prendre en considération les enjeux liés à la protection des sols et à la pérennisation des terroirs viticoles. La volonté, au niveau européen, de mettre en place une directive-cadre sur la protection des sols, au même titre que l’eau et l’air, témoigne bien de l’urgence de ne plus considérer le sol comme un simple support de culture mais de le replacer au cœur du raisonnement des pratiques culturales.
Réduction des herbicides : optimiser la concurrence des adventices
Bien que le désherbage chimique en plein ne concerne plus que 5 % de la surface du vignoble girondin, les herbicides sont encore utilisés sur plus de 80 % des parcelles viticoles, le plus souvent pour maîtriser les adventices sous le rang, mais également dans l’inter-rangs, en complément d’un entretien mécanique ou pour maîtriser un enherbement naturel (ENM).
Pour les viticulteurs confrontés, d’une part, à un contexte réglementaire évoluant vers une diminution drastique des molécules actives autorisées et, d’autre part, à de nouvelles problématiques environnementales et/ou technico-économiques (pollution des eaux, réduction des intrants, conversion à la viticulture biologique…), la recherche d’alternatives aux herbicides s’inscrit donc comme une priorité.
Désherbage mécanique : le succès des outils interceps
Le désherbage mécanique apparaît aujourd’hui comme une alternative de premier choix pour l’entretien du cavaillon, bien que le passage du chimique au mécanique se traduise généralement les premières années par une diminution de la vigueur et des rendements, due au sectionnement des racines superficielles.
Le développement d’une large gamme d’outils interceps offre en outre aux viticulteurs la possibilité de s’adapter aux spécificités de leur vignoble (densité de plantation, conditions pédo-climatiques et périodes d’intervention), pour un coût raisonnable, pouvant être encore optimisé par le recours aux travaux combinés.
Pour l’inter-rangs, la principale contrainte du désherbage mécanique systématique réside dans le coût d’une telle stratégie (vitesse de travail limitée et nombreux passages). La diminution de la portance des sols engendrée par cette pratique peut également compliquer la réalisation d’autres interventions mécanisées (traitements phytosanitaires, récolte mécanisée).
D’un point de vue agronomique, la destruction systématique des adventices peut conduire dans certains cas à supprimer une concurrence hydro-azotée potentiellement favorable à la qualité.
Dans bien des situations, le recours au désherbage mécanique de l’inter-rangs gagnerait à n’être envisagé que ponctuellement, afin de détruire un enherbement (concurrence hydro-azotée excessive), incorporer un amendement (organique ou basique) ou préparer le sol avant un semis.
Enherbement : une gestion « adaptée » à la variabilité climatique
L’enherbement, principalement pratiqué dans l’inter-rangs de manière temporaire ou permanente, s’avère être une stratégie parfaitement adaptée au contexte pédo-climatique girondin et concerne aujourd’hui près de 80 % des parcelles girondines.
Ce succès s’explique par le fait que cette pratique a permis, dans bien des cas, de maîtriser une vigueur et des rendements excessifs, souvent associés à une qualité médiocre, par effet de concurrence pour l’eau et l’azote principalement. La concurrence hydrique générée par l’enherbement permet ainsi d’améliorer la qualité de la récolte : augmentation du degré alcoolique, diminution de l’acidité, enrichissement en polyphénols…
La réduction de la vigueur entraîne en outre une diminution des travaux sur le végétal (rognages, ébourgeonnage, épamprages…) et une amélioration du microclimat au niveau des grappes et du feuillage favorable à une diminution de la sensibilité de la plante aux attaques cryptogamiques. Enfin, l’amélioration de la portance liée à l’enherbement facilite les interventions mécanisées pour les traitements phytosanitaires ou les vendanges.
Le principal frein à une pratique plus généralisée de l’enherbement réside dans la crainte d’une concurrence hydro-azotée excessive, en particulier sur des sols peu fertiles, à faible réserve utile, et pour les vignobles à forte densité de plantation. Des rendements fortement réduits et des moûts carencés en azote assimilable sont les principales dérives redoutées par les viticulteurs, marqués par les sécheresses des millésimes 2003 et 2005.
Cette problématique est d’autant plus d’actualité que le développement de tondeuses interceps offre désormais aux viticulteurs la possibilité d’enherber la totalité de la surface des parcelles (rangs et inter-rangs), accentuant d’autant plus les effets concurrentiels, notamment ceux sur les rendements.
Il convient cependant de noter que les effets de l’enherbement dépendent en grande partie de la nature (spontané ou semé) et de la durée de vie (permanent ou temporaire) de l’enherbement, ainsi que des caractéristiques du vignoble : type de sol, système de conduite (densité et surface foliaire), pratiques culturales (surface enherbée) et objectifs de production (rendements et caractéristiques organoleptiques des vins).
Compte tenu de la complexité des relations de concurrence hydro-azotée entre la vigne et l’enherbement, il apparaît aujourd’hui pertinent de considérer le « système vigne enherbée » comme une association de cultures, au sein de laquelle l’enherbement s’inscrit comme une « culture de service » dont l’objectif principal est d’optimiser la concurrence entre les deux espèces, pour un contexte agroclimatique et un objectif de production donnés.
Dans cette optique, il semble opportun de s’orienter vers des systèmes de cultures « adaptatifs » et des stratégies d’enherbement permettant de limiter l’effet de la variabilité climatique inter et intra millésimes sur les potentialités œnologiques de la vendange. Cela implique la possibilité d’effectuer des ajustements dans le système vigne enherbée, en fonction de l’évolution climatique du millésime.
En ce sens, la pratique de l’enherbement naturel dans l’inter-rangs, détruit au besoin plus ou moins précocement durant le cycle, apparaît comme une technique intéressante pour s’adapter à la variabilité climatique inter et intra annuelle, tout en répondant de manière régulière aux objectifs de production. Cependant, le manque de références et d’outils d’aide à la décision nécessaires au pilotage intra et inter-annuel de l’enherbement fait défaut aux viticulteurs.
En terme de pilotage, l’évolution des modèles de bilan hydrique offre aujourd’hui la possibilité de simuler de façon dynamique et pluriannuelle la disponibilité des réserves hydriques au cours du cycle végétatif. La définition de trajectoires optimales de contrainte hydrique durant le cycle, propres aux différents contextes pédologiques et objectifs de production, permettrait alors de gérer l’enherbement selon l’évolution du millésime.
Réduction des engrais minéraux : entretenir la fertilité des sols
Fertilité minérale et fertilité physique
La fertilité minérale d’un sol est définie par ses réserves potentielles en éléments minéraux et oligoéléments nécessaires à la nutrition des végétaux. Celle-ci varie en fonction des propriétés agronomiques des sols et dépend notamment de la nature de la roche-mère, du pH, de la texture, de la teneur en matières organiques, de l’épaisseur et du fonctionnement hydrique des sols.
La Capacité d’Echange Cationique (C.E.C.) est un bon indicateur de la fertilité minérale des sols. Très fortement corrélée aux teneurs en argiles et en matières organiques du sol, elle révèle le pouvoir absorbant du sol, c’est-à-dire sa capacité à fixer des cations échangeables (Ca2+, Mg2+, K+, Na+).
Les matières organiques constituent une source importante d’éléments minéraux, la seule pour l’azote, et permettent d’augmenter la Capacité d’Echange Cationique (CEC) des sols, améliorant ainsi le stockage et la disponibilité des éléments minéraux.
La fertilité physique traduit, elle, la disponibilité des ressources pour les végétaux. Elle repose principalement sur trois paramètres, la texture, l’état calcique et l’état organique, qui déterminent la structure et la porosité des sols.
Ces trois paramètres définissent ainsi le volume de sol disponible pour le développement du système racinaire (conditions aérobies) et les conditions de diffusion de l’eau et des éléments minéraux vers les racines (alimentation hydrique et minérale des végétaux). Ils constituent de ce fait le support de la fertilité minérale.
Sensibilité des sols à la dégradation
Les phénomènes de dégradation des sols, tels que la battance, le tassement, l’érosion ou l’acidification concourent tous à une altération de la fertilité physique des sols, liée à une diminution de la stabilité structurale et de la porosité.
La sensibilité des sols aux phénomènes de dégradation est fortement liée à leur composition granulométrique, comme le résume le tableau page 6.
La sensibilité aux phénomènes de dégradation est également conditionnée par l’état organique et l’état calcique des sols, composantes essentielles de la cohésion et de la stabilité structurale des sols.
L’influence des matières organiques sur la stabilité structurale et la fertilité physique des sols est primordiale.
Les matières organiques stables (humus) contribuent à la structuration des sols en s’associant avec les argiles (formation des complexes argilo-humiques). En tant que substrat (énergie et minéraux), elles favorisent en outre le développement de l’activité biologique. Ce compartiment « actif », de la macrofaune à la biomasse microbienne, contribue également à la structuration et à la cohésion des sols : création de galeries (porosité biologique), stabilisation des agrégats…
Le calcium favorise la floculation des argiles et la stabilisation des complexes argilo-humiques, améliorant ainsi la cohésion et la stabilité des agrégats.
Le pH, plus ou moins directement lié à l’état calcique, détermine en outre l’activité de la biomasse microbienne et l’assimilabilité des ressources minérales pour les plantes.
Les phénomènes d’acidification des sols et d’appauvrissement en humus, bien souvent accentués par la succession des cultures, augmentent par conséquent les risques de dégradation des sols, en particulier sur les sols à faible stabilité structurale.
Le recours à une fertilisation essentiellement minérale durant les dernières décennies a accentué l’appauvrissement des sols en matières organiques. A l’heure actuelle, la plupart des sols viticoles présente un déficit en matières organiques, qui se traduit par une sensibilité accrue à la dégradation et des troubles de l’alimentation hydrique et minérale de la vigne, particulièrement nets en millésimes « extrêmes ».
Le recours régulier à des amendements organiques et basiques, sur les sols à tendance acide, s’inscrit donc comme une priorité pour limiter les risques de dégradation et entretenir la fertilité des sols.
Influence du mode de gestion des adventices sur la fertilité des sols
La disponibilité des ressources hydrique et minérale d’un sol, ainsi que ses sensibilités à la dégradation sont fortement influencées par le mode de gestion des adventices.
D’une manière générale, le désherbage mécanique engendre une diminution des teneurs en matières organiques des sols, due à l’augmentation de la minéralisation. Dans les cas où le désherbage mécanique constitue le principal mode de gestion des adventices, il convient donc de compenser les pertes par minéralisation par des amendements organiques réguliers.
En terme d’impact sur la sensibilité des sols à la dégradation, le désherbage mécanique peut engendrer une déstructuration des sols sensibles à la battance et au tassement, une augmentation des risques d’érosion et de lessivage sur les sols à faible cohésion structurale et entraîner ainsi une altération de la fertilité des sols.
La pratique de l’enherbement modifie également les propriétés physico-chimiques et biologiques des sols : augmentation de la teneur en matières organiques et amélioration de la stabilité structurale et de la porosité des sols. Ces effets se traduisent notamment par une augmentation de l’infiltration aux dépens du ruissellement, avec pour conséquences une diminution du risque d’érosion, une amélioration de la recharge en eau des sols et une réduction des transferts de pesticides vers les eaux superficielles.
Ces modifications structurales s’avèrent également favorables à la disponibilité des ressources hydriques et minérales : amélioration des capacités de rétention d’eau et d’absorption des éléments minéraux et augmentation de l’activité biologique rendant le cycle des nutriments du sol plus efficace.
L’amélioration de la stabilité structurale réduit également la sensibilité des sols à la battance et au tassement. Enfin, l’enherbement pendant la période de repos hivernal permet en outre de réduire le risque de lixiviation de l’azote minéral, sous forme de nitrates.
La pratique de l’enherbement semé temporaire, ou « engrais vert », apparaît également prometteuse.
Elle consiste à semer une ou plusieurs espèces végétales, de croissance généralement rapide, cultivées, non dans le but d’être récoltées, mais pour être incorporées au sol afin d’augmenter sa fertilité.
Cette technique permet en effet d’améliorer la stabilité structurale des sols, par l’action mécanique des racines (augmentation de la perméabilité, de la porosité et de la cohésion) et la stimulation de l’activité biologique provoquée par l’enfouissement de matière organique abondante et très fermentescible, favorable à la vie microbienne du sol.
Après enfouissement, la décomposition des engrais verts libère progressivement, sous forme assimilable, les éléments minéraux qu’ils ont accumulés (notamment l’azote pour les légumineuses ou la potasse pour les crucifères), les mettant ainsi à la disposition de la vigne.
Enfin, la pratique des engrais verts présente des intérêts en terme de limitation des risques de dégradation des sols. Pratiquée en période hivernale, cette technique assure notamment une protection physique contre le ruissellement. Elle permet également d’immobiliser l’azote et de limiter ainsi les phénomènes de lessivage et de transfert vers les nappes phréatiques.
Au vu de ses nombreux intérêts environnementaux, l’enherbement, qu’il soit naturel ou semé, permanent ou temporaire, s’inscrit donc également, au sein du « système vigne enherbée », comme une « culture de service » au profit de l’entretien de la fertilité des sols, et plus généralement de la préservation de l’environnement.
Perspectives : gestion intégrée des adventices et de la fertilité des sols
La problématique de réduction des intrants herbicides nous amène à une réflexion plus générale sur l’optimisation de la concurrence hydro-azotée exercée par les adventices sur la vigne, en fonction des contextes pédo-climatiques et des objectifs de production.
Afin de limiter l’effet de la variabilité climatique sur les potentialités œnologiques de la vendange, il apparaît aujourd’hui pertinent de s’orienter vers des « systèmes de culture adaptatifs », au sein desquels la pratique de l’enherbement naturel pourrait jouer un rôle majeur.
Quelles que soient les stratégies de gestion des adventices envisagées, il semble également indispensable de prendre en considération leur impact sur la disponibilité des éléments minéraux pour la vigne.
En ce sens, la mise en œuvre d’itinéraires techniques qui permettent de gérer les adventices, tout en assurant l’entretien de la fertilité des sols et de leur résistance aux phénomènes de dégradation constitue une voie prometteuse pour répondre à l’objectif de réduction des intrants engrais.
Le rapprochement des démarches classiques d’« entretien des sols » et de « fertilisation », trop souvent dissociées, vers une approche intégrative de « gestion intégrée des adventices et de la fertilité des sols » apparaît comme une stratégie favorable à la réduction conjointe des intrants herbicides et engrais.
Programme d’expérimentation GIAF
Dans cette optique, le Service Vigne et Vin de la Chambre d’Agriculture de la Gironde, avec le soutien financier du Conseil régional d’Aquitaine, a initié en 2009 un programme d’expérimentation visant à évaluer l’intérêt et la faisabilité technico-économique d’itinéraires techniques à faible niveau d’intrants herbicides et engrais, dits de « Gestion Intégrée des Adventices et de la Fertilité » (GIAF).
Ce projet s’appuie sur la mise en place d’un réseau de parcelles représentatives de la variabilité des contextes agro-climatiques et des objectifs de production propre au vignoble girondin.
Sur chacune des parcelles du réseau seront mis en place des itinéraires techniques permettant d’optimiser le niveau de concurrence hydrique et azotée généré par les adventices (en fonction des objectifs de production), d’entretenir la fertilité des sols (disponibilité des ressources minérales pour la vigne) et d’améliorer la résistance des sols aux phénomènes de dégradation.
Ces itinéraires techniques s’inscriront dans une démarche de systèmes de cultures adaptatifs, au sein desquels les différentes techniques d’enherbement seront privilégiées, compte tenu de leurs nombreux effets positifs sur la vigne, le sol et l’environnement.
Les références techniques et économiques ainsi acquises permettront d’accompagner les viticulteurs vers la mise en place de systèmes de culture plus économes en herbicides et en engrais, en adéquation avec leurs objectifs de production, leurs contraintes économiques et les problématiques environnementales. n
Maxime Christen
Service Vigne et Vin de la Chambre d’Agriculture de la Gironde
(Extrait de la base de données Matevi)
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