Entretien avec Julien Turenne : « Vins sans IG : Une volonté politique »

25 juillet 2013

A la DGPAAT*, Julien Turenne supervise le secteur viticole. Il a représenté le gouvernement français au sein des GHN. A travers la plateforme de proposition mise en place par la France, il a défendu avec efficacité la cause de l’encadrement des plantations. En compagnie d’Arnaud Dunand, chef du Bureau du vin et autres boissons au ministère de l’Agriculture, il évoque les négociations passées et aborde le futur : fonctionnement du nouveau régime, questions de gouvernance, segmentation des vins, arbitrages « politiques »…

p15.jpgFlash-back – « En 2008, est intervenu l’accord du Conseil sur une nouvelle organisation de marché. Cet accord, fruit d’un compromis global, prévoyait la fin des droits de plantation en 2015 mais aussi un ensemble de mesures comme la création de trois grandes catégories de vins (AOP, IGP, Vins sans IG), des programmes nationaux d’aides… En gros, cette réforme préparait la libéralisation du secteur viticole, sur la base d’un discours de la Commission qui consistait à dire : « L’UE perd des parts de marché ou, en tout cas, progresse moins vite que ses concurrents. » De plus, constat était fait que les nouveaux consommateurs n’étaient pas forcément familiarisés avec l’offre européenne. Parallèlement au négoce, une partie de la viticulture appelait au développement d’une catégorie, celle des vins de cépages. La Commission souhaitait libéraliser le secteur tout en protégeant les appellations. A l’époque, la négociation à 27 avait abouti à ce type de compromis. La France l’avait accepté dans la mesure, aussi, où elle était assez isolée dans les négociations. Certes, l’Italie et l’Allemagne partageaient la même ligne mais ce n’était pas suffisant pour bloquer la libéralisation en marche. Sous l’impulsion du négoce, l’Espagne s’était retrouvée dans le camp des pro-libéralisation.

En 2010, une prise de conscience des pays producteurs se manifesta. La date de 2015 se rapprochait dangereusement. Un débat informel se mit en place, qui gagna en puissance. La France, avec plusieurs autres Etats membres, tira la sonnette d’alarme auprès de la Commission. « Attention, l’inquiétude monte ! » La Commission se montrait volontiers rassurante, forte de la décision politique prise en 2008. Cependant, le commissaire Ciolos était manifestement plus ouvert que son prédécesseur aux questions de régulation. Il convoqua un GHN (Groupe à haut niveau).

GHN – Il faut savoir que si la Commission, au titre de son pouvoir d’initiative, veut soumettre aux instances politiques (Parlement, Conseil) une proposition de texte communautaire, elle doit arguer de l’intérêt communautaire, autrement dit de l’intérêt général. Le moyen le plus classique consiste à émettre un rapport. Sauf que cette procédure est assez longue. Le GHN permet d’aller plus vite. Il a pour finalité d’organiser une consultation publique sur des sujets précis, bien délimités. Il assiste le commissaire dans ses choix politiques, en lui remettant un rapport. Participent au GHN les représentants des secteurs concernés ainsi que les Etats membres, via des personnes suffisamment mandatées par leurs pays. La Commission en tire un mandat, qu’elle « ajuste » par la suite. In fine, c’est le commissaire qui arbitre. Souhaite-t-il, oui ou non, faire une proposition ?

Le rôle de la France – Les deux premiers GHN, plutôt consacrés à décrire les enjeux du secteur, avaient engendré une certaine frustration. La France s’employa à établir une plateforme commune, sur laquelle nous avons essayé de fédérer le maximum d’Etats membres. Cette plateforme fut conçue en étroite relation avec le cabinet du ministre. Le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, s’est lui-même impliqué personnellement sur le dossier. Cette impulsion politique a donné une grande force à nos propositions. Des pays comme la France, l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne ont fait front commun.

La plateforme des pays producteurs – D’un point de vue tactique, l’idée consistait à cibler nos revendications sur deux ou trois points structurants : un encadrement pour tous les segments de vins – une simplification administrative – la possibilité de développer les vins sans IG. Il s’agissait de pouvoir accompagner une augmentation maîtrisée du vignoble pour répondre à la demande, notamment en vins de cépages. Mais, surtout, l’encadrement des plantations après 2015, devait s’appliquer à tous les pays producteurs, à toutes les exploitations et à tous les segments, AOP, IGP, vins sans IG. Pour résumer : tous les pays, tous les régimes de vins et un encadrement communautaire qui dispensent les mêmes règles, les mêmes principes à tous. La France a participé à l’écriture d’une proposition.

Le futur système – En ce qui concerne le nouveau système applicable à partir du 1er janvier 2016, on ne parle plus d’interdiction de plantation mais d’autorisation préalable de plantation, dans la limite de 1 % de plantations nouvelles par an. L’autorisation de plantation sera valable 3 ans et sera non cessible (c’était déjà le cas en France pour les droits de plantation). Pour les replantations, l’autorisation sera automatique. Au cours de la période de transition qui s’ouvre, une option existe, celle de pouvoir attendre 2020 pour reconvertir les droits de plantation en portefeuille en autorisations nouvelles. Autorisations nouvelles qui seront ensuite classiquement soumises au délai de trois ans. Comme déjà dit, cette option existe mais son application relève d’un choix politique de l’Etat membre.

Gouvernance – Comme toujours, une fois le cadre communautaire posé, les Etats membres peuvent organiser sa mise en œuvre. C’est la notion de subsidiarité. Le règlement européen à paraître va préciser les critères objectifs et non discriminatoires d’autorisations de plantations nouvelles, au terme d’une liste dite « positive ». Ces critères présideront aux autorisations préalables de plantation. Le texte est en train de s’écrire. Il fait l’objet d’une négociation entre les trois instances européennes, Parlement, Conseil, Commission.

Vins sans IG/autorisations de plantations nouvelles – La France dispose d’un système relativement précis d’encadrement des plantations. Aujourd’hui, les autorisations de plantation de vigne ne concernent que les catégories AOP/IGP. Pour ouvrir la possibilité de plantations nouvelles aux vins sans IG, il faut modifier la réglementation française. Pour ce faire, une volonté politique doit s’exprimer. Ensuite vient l’aspect économique. Mais cette question n’arrive que dans un second temps. Il ne faut pas oublier la première étape, l’arbitrage politique.

Vignoble de Cognac – Le Cognac représente un débouché relativement porteur en ce moment. Du coup, les Cognaçais se sentent un peu à l’étroit dans leur vignoble. Une autre région exprime des besoins de plantations nouvelles, la région Midi-Pyrénées, dont participe l’Armagnac mais pas seulement. En cas de crise, les autres régions s’interrogent sur l’équilibre des débouchés.

* Direction générale des politiques agricoles, agro-alimentaires et des territoires au ministère de l’Agriculture.

 

 

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