Elle distille, taille, change les piquets, distribue les fils. Elle a appris à reculer un tracteur de 115 cv. Elle réalise les traitements, conduit les pressoirs, suit les vinifications. Elle n’est pas encore au « top » sur le vieillissement des eaux-de-vie mais ça viendra. Marie-Eve Moreau travaille pour les Vignobles Garandeau, où la moitié des salariés permanents sont des… salarières.
Petite, féminine, Marie-Eve Moreau n’a pas vraiment le gabarit d’un déménageur. Ce qui ne l’empêche pas de répondre tranquillement – « je fais tout » – à la question – « que faites-vous ? » Francis Bouchereau sourit et acquiesce. Responsable des Vignobles Garandeau, à Cherves-Richemont, il n’est pas étranger à cette singulière parité hommes-femmes dans les vignes. Ancien technicien de développement, administrateur à l’IREO des Charentes, la promotion des salariés, il connaît. Il s’agit même chez lui d’une conviction solidement ancrée. « J’ai toujours pensé que les gens devaient évoluer dans leur carrière. Qu’il fallait les intéresser, les valoriser, leur faire découvrir autre chose. Pour moi, c’est très important. » En partenariat avec l’Institut rural de Richemont, l’exploitation, sous sa houlette, a formé une litanie de personnes à la taille. « Nous formions de nombreux tailleurs, pourquoi pas les nôtres ! » Ainsi, toutes les femmes employées au vignoble – permanentes à temps partiel comme à temps complet – apprennent-elles à tailler, alors qu’initialement la structure ne dérogeait pas à la pratique traditionnelle : aux hommes la taille, aux femmes le tirage des bois. Mais, note F. Bouchereau, « l’arrivée du sécateur électrique fut un considérable facteur de progrès ». « Les femmes, ajoute-t-il, vont peut-être moins vite que les hommes mais elles n’arrêtent pas. » Année après année, les trois salariées permanentes à temps complet, comme leurs collègues masculins, engrangent de nouveaux savoir-faire. Quand ce n’est pas à la vigne, c’est au chai ou autour du matériel.
En 2007, Marie-Eve Moreau accomplit « un pas de plus ». On lui met un tracteur dans les mains et elle réalise sa première campagne de sulfatage. Le plus difficile pour elle fut d’apprendre à reculer. Encore aujourd’hui, elle ne se sent pas très à l’aise à manœuvrer sur le poste de lavage. Pour l’aider, sont mobilisées quelques petites astuces comme l’installation d’un tuyau pour remplir la cuve de traitement ou, dans un premier temps, le fait de lui choisir « les parcelles qui vont bien ». Le gros tracteur avec lequel elle travaille – un 115 CV – est doté d’équipements d’assistance de conduite. Ainsi n’a-t-elle pas besoin de débrayer pour changer de vitesse au bout du rang. Du haut de la grande cabine, elle jouit d’une bonne visibilité. Simplement, comme elle est de petite taille, elle ne doit pas oublier de monter le siège quand elle intervient derrière un collègue. Des collègues qui, dit-elle, « m’aident quand je n’y arrive pas ». Commentaire du responsable des vignobles : « Marie-Eve est très curieuse et surtout volontaire. Elle va faire du palissage, changer les piquets, mettre les pointes, distribuer les fils et à la limite, s’il faut commander un groupe, elle commandera un groupe. » Elle n’est pas la seule dans ce cas. Une de ses collègues encadre des équipes de palissage tandis qu’une autre met en place l’irrigation, irrigue, désherbe, chaule, visite les parcelles de vigne…
« les intempéries font partie de notre métier »
Une femme atteint-elle plus rapidement ses limites physiques ? « Au niveau des grosses charges, il y a le Manitou. On ne demande pas beaucoup plus à un homme qu’à une femme. » Certes, il faut aimer travailler au grand air. Marie-Eve Moreau le confirme : « Les intempéries font partie de notre métier. Nous sommes dehors qu’il pleuve, vente ou fasse soleil. » L’an dernier, selon le responsable des vignobles, l’ensemble du groupe n’a compté que 8 jours d’arrêt, en tout et pour tout.
Voilà belle lurette que Francis Bouchereau « ne se prend plus le chou » – selon sa propre expression – pour vouloir absolument recruter un homme. « La parité s’installe partout. Depuis des générations, nos hôpitaux fonctionnent grâce à des escouades d’infirmières. Je suis partie sur l’idée qu’une femme pouvait effectuer le même travail qu’un homme, sans distinction. L’important pour moi, c’est que les personnes soient réactives, que les consignes soient respectées à l’identique et quand il y a problème, que l’on sache me dire : chef ça va pas ! Vie professionnelle et vie personnelle sont deux choses bien distinctes, à ne pas mélanger. »
Le responsable de l’encadrement reconnaît pourtant que l’emploi de personnel féminin nécessite de savoir gérer quelques petits détails. Il les énonce de manière très simple : « Il convient de prévoir les pauses pipi. Pour une femme, c’est un peu moins simple que pour un homme qui p… debout. Quand on achète des combinaisons de travail, il faut choisir le bon modèle, celui où la poitrine entre facilement sans que le pantalon soit trop grand au niveau des fesses. Ces choses-là, il faut être assez intelligent pour les comprendre. Comme de comprendre qu’une femme ne sera pas à 100 % de son efficience si elle a mal au ventre. Mais un époux sait cela. »
Depuis quatre ans, Marie-Eve Moreau et son compagnon assurent la campagne de distillation sur la propriété. Une période de quatre mois et demi au cours de laquelle ils vivent au rythme des trois chaudières de 25 hl. Francis Bouchereau les a progressivement initiés aux arcanes de la distillation, stage ORECO à l’appui. Ils ont appris à réaliser la coupe, détecter les défauts et, aux dires du responsable, ils sont intraitables sur les mauvaises odeurs. Pas question de rentrer dans la distillerie avec des chaussures qui sentent mauvais. « Ce serait la révolution dans le pays. On en entendrait parler ! Le vieillissement des eaux-de-vie ne relève pas encore de leur compétence mais la curiosité de Marie-Eve est déjà en éveil. A coup sûr, elle ne laissera pas passer ce nouveau domaine d‘investigation.
Lors du dernier chantier d’insertion réalisé avec l’IREO, Francis Bouchereau a repéré, dans tout le groupe, une personne pour remplacer un salarié sur le départ. Ce sera une femme, qui a trois enfants. C’est elle qu’il a senti la plus débrouillarde et la plus réactive.