En effet, l’effeuillage, comme la plupart des travaux en vert, doit se raisonner à la parcelle (avec toutes ses caractéristiques), selon le millésime et n’est pas recommandé dans toutes les situations. La qualité de l’effeuillage induira ou non un gain qualitatif.
Enfin, un facteur important voire primordial intervient : la capacité financière de l’exploitation.
Celle-ci décidera, en dernier lieu, de la mise en place ou non de l’effeuillage et des modalités de l’intervention (effeuillage manuel ou mécanique, un passage ou deux…).
LES SAISONS SE SUIVENT MAIS NE SE RESSEMBLENT PAS
En 2003, les chaleurs caniculaires, notamment celles du mois d’août, ont été, pour de nombreux viticulteurs, un sérieux rappel à l’ordre. En effet, les fortes températures ont parfois durement sanctionné des pratiques systématiques, non raisonnées ou mal faites.
Des effeuillages sur les deux faces, trop tardifs et/ou trop intenses ont provoqué, sur certaines parcelles, des dégâts assez importants. Ces dégâts ont été nettement visibles, en premier lieu, sur la vigne elle-même. Des parcelles quelque peu chétives et sur sols filtrants, se sont en partie défoliées, dès la mi-août. Mais les dégâts ont aussi été observés sur la récolte, que ce soit en quantité comme en qualité. De nombreux cas d’échaudage des baies ont été notés, mais les symptômes les plus couramment observés ont été des flétrissements plus ou moins intenses des baies. Ce phénomène rencontré peu de temps avant les vendanges sur une partie du vignoble bordelais, a été accentué sur des parcelles où l’effeuillage n’était pas adapté. L’année 2003 a révélé les limites et les risques potentiels de l’effeuillage.
Les conditions du millésime 2003 permettaient d’atteindre, pratiquement sans restriction, une bonne maturité sur la quasi-totalité des parcelles. Un effeuillage ne se justifiait pas forcément pour un gain qualitatif mais presque exclusivement pour maintenir un bon état sanitaire.
En 2004, c’était enfin le retour à un millésime plus « normal », moins atypique. Les températures et la pluviométrie, bien que déficitaires depuis 3 ans, ont été dans la moyenne du climat girondin. Cette année a montré tout l’intérêt de la mise en place de l’effeuillage dans la plupart du vignoble bordelais.
EFFEUILLER, DANS QUEL OBJECTIF ?
Les gains de la mise en place de l’effeuillage sont multiples mais 2 objectifs principaux sont recherchés.
Le premier permet tout d’abord l’installation d’un microclimat « sain » au niveau de la zone fructifère, défavorable aux maladies cryptogamiques. Cet effet prophylactique concerne principalement la lutte contre le Botrytis, mais aussi dans une moindre mesure la lutte contre l’Oïdium. Elle permet d’élever la température au niveau des grappes, d’exposer les grappes à un meilleur éclairement et elle crée une meilleure aération de celles-ci. Dans ces conditions le Botrytis et l’Oïdium (sensible aux UV) peuvent s’installer mais se développent plus difficilement.
Le deuxième objectif de l’effeuillage est d’avoir un effet sur la physiologie de la vigne permettant de favoriser les conditions de maturation. Le gain principal réside en l’obtention de vins blancs plus aromatiques et des vins rouges plus colorés, plus riches en composés phénoliques et avec un potentiel phénolique plus stable.
Mais l’effeuillage est intéressant à d’autres titres, il permet notamment un gain de temps car il facilite les opérations d’éclaircissages et les vendanges manuelles. Dans une même idée, la suppression des feuilles de la zone fructifère permet une meilleure pénétration des produits phytosanitaires. Ce qui améliore l’efficacité des fongicides mais aussi des insecticides (dans la lutte contre les tordeuses dont les dégâts sont de potentielles voies d’entrée du Botrytis).
L’EFFEUILLAGE, C’EST COMME LES ANTIBIOTIQUES : C’EST PAS SYSTÉMATIQUE
Si, comme nous l’avons vu précédemment, l’effeuillage a de nombreux intérêts, cette technique n’est pourtant pas recommandée dans toutes les situations et sa pratique doit être adaptée.
Dans les parcelles dont l’équilibre végétatif est bon, où la vigueur est limitée, un effeuillage ne se justifie pas forcément pour améliorer la coloration des vins rouges par exemple. Au contraire, le fait de supprimer une partie de la surface foliaire peut être préjudiciable à la qualité de la vendange (la vigne n’ayant plus suffisamment de feuilles pour alimenter les grappes).
Dans les parcelles à faible entassement de végétation et sans sensibilité particulière au Botrytis, un effeuillage n’a que peu d’intérêt car la prophylaxie s’est naturellement mise en place.
La pratique de l’effeuillage doit être adaptée aux conditions climatiques de l’année. Certaines années chaudes et à fort éclairage (c’était le cas du millésime 2003) ne sont pas propices aux développements des maladies cryptogamiques et engendrent naturellement des conditions de maturation optimales. Dans ce cas, supprimer des feuilles pourrait réduire la qualité de la photosynthèse.
En revanche, des parcelles sensibles à la pourriture, vigoureuses, à fort entassement de végétation sont des parcelles candidates à un effeuillage.
Il se raisonne aussi dans le temps et dans ses modalités d’application.
QUAND FAUT-IL REALISER UN EFFEUILLAGE ?
La période privilégiée pour réaliser un effeuillage se situe entre la nouaison et la fermeture de la grappe. C’est au cours de cette période que l’efficacité sur la réduction des symptômes de Botrytis est la plus importante. C’est aussi au cours de cette période que les baies de raisin s’adaptent le mieux à l’exposition au soleil et par la suite risquent le moins de dégâts.
La vigne n’étant pas en fin de croissance végétative, un léger recouvrement du feuillage se mettra naturellement en place évitant ainsi les risques d’échaudage liés aux fortes insolations de l’été. De même, à cette période, les baies sont les plus résistantes aux coups et la cicatrisation est plus rapide et plus efficace.
Divers essais, dont ceux de la Chambre d’Agriculture de la Gironde, ont montré qu’un effeuillage permettait de réduire la fréquence et l’intensité d’attaque de pourriture grise. Mais cela n’empêche pas son installation. Un traitement fongicide spécifique n’est donc pas à exclure. Dans ce cas, l’effeuillage permettra une meilleure pénétration des produits de traitement pouvant accroître leur efficacité de près de 30 % en fréquence et plus de 50 % en intensité en année à faible pression de la maladie.
Un effeuillage sur une seule face réalisé à la nouaison est tout aussi efficace qu’un effeuillage sur les deux faces réalisé à la véraison. Cependant, si une seule face effeuillée à la nouaison est souvent suffisante, la deuxième face peut être effeuillée avant les vendanges si la pression Botrytis est très forte et que les conditions sont favorables à son développement.
COMMENT EFFEUILLER ?
La période d’effeuillage est importante mais la façon de le réaliser l’est tout autant.
L’effeuillage est une opération plus délicate qu’il n’y paraît. Le personnel qui le réalise doit être bien formé car ce n’est pas qu’une simple suppression de feuilles. Il ne doit pas être excessif : il ne s’agit pas d’enlever toutes les feuilles. Celles que l’on supprime doivent être les plus vieilles situées au niveau de la zone fructifère. Les feuilles situées juste au-dessus de cette zone doivent légèrement recouvrir les grappes afin de créer un léger ombrage pour éviter la lumière incidente pouvant occasionner un échaudage.
Si la deuxième face est effeuillée, juste avant les vendanges, les grappes doivent toujours être « chapotées » par les feuilles. L’effeuillage ne doit pas mettre entièrement à nu les rameaux. Il doit permettre une bonne aération des grappes, mais la maturation doit s’accomplir jusqu’à terme et pour cela la présence de feuilles à proximité des grappes est essentielle.
Des travaux réalisés par l’ITV de Bordeaux ont démontré que la suppression des feuilles sur une face du rang n’entraîne pas une diminution de la surface foliaire exposée au soleil contrairement à l’effeuillage sur deux faces. Cependant, afin d’être certain d’avoir une surface foliaire suffisante pour permettre une bonne maturation des raisins, il est nécessaire d’avoir un rapport « écartement entre les rangs » sur « hauteur de feuillage » (et non hauteur de rognage) au moins supérieur à 0,6.
L’effeuillage, bien que fastidieux, doit être réalisé avec un soin particulier. Il s’agit d’enlever des feuilles sans occasionner de blessures sur les grappes. Ceci est d’autant plus important quand il est réalisé sur la deuxième face à la veille des vendanges (souvent dans l’urgence comme en 2002). Les grappes sont plus fragiles et la pression Botrytis est alors à son maximum. Des blessures occasionnées à cette période seraient des voies d’entrée privilégiées pour la pourriture grise.
QUE PENSER DE L’EFFEUILLAGE MECANIQUE
L’effeuillage mécanique est pratique, et permet de diminuer les coûts de l’opération.
L’efficacité des effeuilleuses est variable selon le type de matériel. Il peut permettre de raccourcir considérablement les temps de travaux par rapport aux effeuillages manuels mais peut occasionner plus de blessures s’il est mal conduit. De plus l’effeuillage mécanique se fait plus tard. En effet, afin de ne pas couper des parties de grappe ou de blesser des baies il faut attendre le basculement des grappes vers le bas (par leur propre poids). Cette intervention ne peut donc avoir lieu avant la fermeture de la grappe.
L’effeuillage mécanique nécessite plus que jamais un palissage impeccable et rectiligne. La taille et surtout le pliage, dans le cas du guyot ou de la bordelaise, doivent suivre le fil porteur. Un pliage à plat engendre un étalement des fruits au même niveau, ce qui permet d’effeuiller sur cette zone sans défolier les rameaux sur une hauteur trop importante. Enfin, la connaissance parfaite du matériel utilisé et de ses possibilités de réglages représente une part prépondérante de la qualité du travail. Il faut trouver le bon compromis entre la quantité de feuilles enlevées et le taux de blessures occasionnées par la machine.
CONCLUSION
L’effeuillage est une pratique très intéressante dans un objectif d’amélioration qualitative de la vendange. Cependant, elle doit être réfléchie et requiert une certaine technicité.
Il n’est pas recommandé dans toutes les situations : notamment sur les parcelles dont la vigueur est plutôt faible et sans entassement de végétation. Les conditions climatiques de l’année sont un facteur important à prendre en compte dans les modalités de l’effeuillage.
Cette pratique nécessite une main-d’œuvre qualifiée ou du moins bien formée, tant pour l’effeuillage manuel que mécanique. Si cette opération est mal réalisée, elle peut au mieux n’induire aucune amélioration qualitative, mais au pire, elle peut déprécier la vendange (blessures, Botrytis, échaudage, flétrissement…) donc la qualité du vin qui en résulte.
Résumé
Les nombreux travaux menés depuis une dizaine d’années sur l’effeuillage, montrent clairement l’intérêt de la mise en place de cette technique dans un objectif d’amélioration qualitative de la vendange. Le gain qualitatif existe mais uniquement dans le cadre d’une bonne pratique de cette opération.
En effet, l’effeuillage comme la plupart des travaux en vert, doit se raisonner à la parcelle (avec toutes ses caractéristiques), au millésime, et n’est pas recommandé dans toutes les situations. La qualité de l’effeuillage induira ou non un gain qualitatif.
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