Décès de Jacques Caillet : Un grand défenseur du pineau

28 juin 2010

caillet.jpgJacques Caillet s’est éteint chez lui, au Domaine de la Ville, à St-Thomas-de-Conac, le dimanche 23 mai 2010. Il allait avoir 75 ans le 28 juin prochain. Depuis plusieurs années, il luttait avec courage contre une longue maladie. Ses obsèques, le 27 mai dernier, ont rassemblé une foule nombreuse. Toute une petite région, celle du secteur côtier, a tenu à accompagner une dernière fois Jaques Caillet. La « grande famille du Pineau » s’était également rassemblée aux côtés des proches du défunt. Car si un homme a incarné l’attachement exclusif à un produit et sa défense c’est bien Jacques Caillet. Son père, déjà, avait ouvert la voie. Mais Jacques Caillet développe et cultive cet ancrage. Son frère et lui spécialisent l’exploitation dans la production de Pineau. Avec une production annuelle proche des 4 000 hl vol., le Domaine de la Ville figure comme le plus gros producteur indépendant de Pineau des Charentes. Autre particularité ! La propriété se positionne d’emblée sur le Pineau vrac et ne dérogera pas à sa politique commerciale d’approvisionnement des metteurs en marché. Le domaine devient un acteur majeur, pour tout dire incontournable, de la filière. « Jacques a toujours cru dans le Pineau, il n’a jamais changé de position » précise Jean-Bernard de Larquier, président du Comité national du Pineau des Charentes. « C’était un homme de conviction, qui n’a eu de cesse de mener un unique combat : celui de structurer une filière autour de gens fidèles au produit, qu’ils soient viticulteurs ou négociants. » Administrateur du Syndicat des producteurs de Pineau à l’époque des Pierre Ménard, Jean Brillet, Jacques Caillet assurera la présidence du syndicat de 1991 à 2001. Ce long mandat de dix ans – où le renouvellement du poste de président intervient chaque année – Jacques Caillet l’exercera à sa façon : avec le sourire mais aussi la fermeté d’un homme d’action. Ce n’est pas un tribun. Aux effets de manches, aux digressions, il préfère l’exactitude des chiffres. Ses propos, ils les étayent volontiers de statistiques : statistiques de production, de sorties, taux de rotation du stock… Très important le taux de rotation du stock ! De cette longue pratique des chiffres, il tirera une religion du « juste prix du Pineau » qu’il essaiera, inlassablement, de communiquer à ses collègues et ce jusqu’à la fin de sa vie. Lors de la dernière assemblée générale du Syndicat des producteurs, le 30 mars, Jacques Caillet, de son fauteuil roulant, prenait la parole pour défendre encore et toujours le revenu des producteurs de Pineau. « Les prix bradés l’ulcéraient, témoigne Jean-Marie Baillif, l’actuel président du Syndicat des producteurs de Pineau. Il ne comprenait pas que la filière soit mise à mal par des tarifs de misère. » Il y a peu, il avait constitué avec des collègues une société pour essayer de structurer l’offre du Pineau vrac, afin d’éviter de partir en ordre dispersé. Plus que des mots, des actes. C’était la manière de Jacques Caillet. Gérant de la société du Domaine de la Ville, il veille à l’économie de son entreprise. C’est un gestionnaire, doublé d’un entrepreneur et d’un infatigable travailleur. Après une journée de labeur, il n’est pas rare de le voir repartir sur son tracteur une partie de la nuit. Ce rythme soutenu l’expose à de nombreux « pépins ». Il tombe d’un pressoir, d’une cuve, dans une tranchée, ses vertèbres sont mises à mal. Qu’importe ! De son lit ou de sa voiture, il dirige les vendanges, supervise le personnel. « Il ne pouvait pas s’arrêter. Il était toujours en action. » Joël Micheaud, œnologue à Boutenac-Touvent, aujourd’hui à la retraite, se souvient : « Il ne semblait jamais pressé mais se mettait tout de suite au boulot. Quand il venait au laboratoire, nous faisions un point rapide de la situation et c’était parti. Il n’avait pas beaucoup de temps. Il était efficace dans l’action. » Dans cette région de Charente-Maritime, où l’estuaire de la Gironde ourle marais et coteaux, le Pineau est sur ses terres. Il représente la « deuxième voie », celle qui permet d’assurer une certaine pérennité des exploitations. Historiquement, dans les années 50 à 80, il était plus facile d’obtenir ici qu’ailleurs les fatidiques 10 % vol. imposés par le décret d’appellation. Et puis la proximité de la Gironde prédispose à l’implantation de cépages rouges. Enfin, les relations avec le négoce de Cognac ont toujours été épisodiques. Quand le négoce a besoin de Cognac, il vient le chercher ici mais, en période de mévente, il a tendance à s’approvisionner plus près de sa base. Fins Bois et Bons Bois 17 restent souvent des « variables d’ajustement ». Jacques Caillet le sait et veut conjurer ce danger. Avec le Domaine de la Ville il incarnera une forme de réussite économique du Pineau, qu’il partage avec le Château de Beaulon et quelques autres. Jacques Caillet passe maître dans l’art de produire du Pineau rosé, considéré par lui comme un produit moins « opportuniste » que le Pineau blanc. L’opérateur offre à ses clients une qualité colorée qu’ils ont parfois du mal à trouver auprès de structures plus petites. « Il avait optimisé avec beaucoup de pragmatisme ses méthodes d’élaboration » note un technicien. Au matériel de chai coûteux et sophistiqué, il préfère les installations simples et efficaces et les investissements au vignoble. Ce qui ne l’empêche pas d’être toujours prêt à conduire des essais. Du milieu des années 80 aux années 93/94, le Domaine de la Ville servira de tête de pont à une production expérimentale de Pineau blanc, issue des cépages traditionnels de l’appellation mais aussi de cépages comme l’Arriloba ou le Chasan. Bernard Gally, ingénieur et œnologue à la Station viticole du BNIC, s’occupe du suivi maturité et des vinifications, sous l’égide de l’INAO et d’Henri Géré. « Jacques Caillet nous apportait son concours, ses installations. Il nous accueillait pendant la période des vendanges, nous déjeunions à sa table. C’était un homme dévoué à la cause de son produit, amoureux de son travail. » Alors que, plusieurs fois au cours de sa vie professionnelle, il aurait pu se laisser « happer par les sirènes du Cognac », il tient le cap, reste fidèle au Pineau. Quand les cours baissent dangereusement, il n’hésite pas à mettre entre parenthèse ses ventes, quitte à prendre des risques financiers. « De par la taille de l’entreprise, il était de ceux qui pouvait construire une tendance. Il le savait et prenait ses responsabilités. »

Elu au conseil municipal de St-Thomas-de-Conac en 1989, Jacques Caillet restera 1er adjoint de sa commune jusqu’en 2008, où il décide de ne pas se représenter. De ces marais de Gironde d’où monte une ambiance si particulière quand le ciel se noie dans l’eau gris-bleutée de l’estuaire, Jacques Caillet connaissait les moindres passages. La visite de ses bêtes ou de ses cultures étaient prétexte a de longues immersions. Depuis 1989, il présidait l’Association foncière des marais de St-Thomas-de-Conac. Il était également membre de la commission main-d’œuvre de la FDSEA. Il s’était aussi beaucoup investi auprès de la coopérative agricole de St-Genis-de-Saintonge. « Il aurait très bien pu se contenter de gérer ses affaires mais Jacques cultivait cette fibre professionnelle » note un administrateur de coopérative. Marié à Danièle en 1958, Jacques Caillet aura quatre enfants, Sylvie, Philippe, François-Xavier, Stanislas et plusieurs petits-enfants. Ses amis d’enfance l’ont rappelé : « Sa famille était très importante pour lui. Il l’aimait profondément. » Avec son frère, il forme un binôme absolument complémentaire. Jacques Caillet affrontera la maladie avec courage et détermination. « La maladie en aura bavé avec lui » relate, admiratif, Sébastien Archambaud, le directeur du Syndicat des producteurs de Pineau. Jusqu’au bout, Jacques Caillet inspirera le respect, dans la dignité. « Jacques n’a jamais baissé les bras, constate Marie-Paule Arvoire. Nous nous souviendrons de Jacques, en fauteuil roulant, venant dire au revoir à tout le monde. » Jacques… au fil du temps, ce prénom avait pris le pas sur le patronyme. Ses amis le prononceront encore longtemps.

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