Droits de plantation : retour sur un combat exceprionnel

25 juillet 2013

Une grande cause viticole mais, plus encore, un débat de société. L’ultra libéralisme opposé à la régulation. Et, cette fois, la régulation l’a remporté, au moins jusqu’en 2030. Le 25 juin dernier, le Conseil des ministres de l’Union européenne a voté le maintien de l’encadrement du potentiel de production viticole. Dans ce combat, une organisation fut en pointe, la CNAOC, la Confédération des vins à appellations d’origines. Elle a montré le chemin, fait de cette cause un happening permanent, pendant trois ans. Retour d’expérience avec celui qui, durant cette période, a tout donné à la défense des droits de plantation, Pascal Bobillier-Monnot, directeur de la CNAOC.

p8.jpgVous vous êtes fortement impliqué dans ce combat. Pourquoi ?

En 2008, la réforme de l’OCM vin inspirée par Mme Fischer-Boel nous apparut très choquante. Par certains aspects – dont les droits de plantation – elle incarnait une vision ultra libérale de la société. Ce libéralisme à tous crins était en opposition avec notre conception de l’avenir de l’agriculture. Les valeurs que nous défendons sont celles de la diversité, de la typicité de la production, de la qualité des produits, de la valeur ajoutée ancrée sur les territoires, de l’emploi… Ces valeurs sont antinomiques avec un modèle ultralibéral. Certes, nous soutenons l’initiative et sommes très attentifs aux marchés. Mais notre développement passe aussi par une régulation du potentiel de production et des circuits. La viticulture, belle filière, avec de beaux produits, allait-elle passer sous les fourches caudines de cette vision dérégulée de la production ? Sans doute étais-je d’autant plus sensible à cette cause que mes parents sont éleveurs en Franche-Comté, producteurs de ce fameux fromage de Comté dont le succès repose en grande partie sur une production régulée. Et puis la chose publique m’intéresse.

La CNAOC s’était déjà investie dans le combat du « Couper n’est pas rosé ».

Je sais que beaucoup de gens comparent les deux démarches mais je dirais qu’elles n’ont strictement rien à voir. D’un côté – le dossier rosé – il s’agissait d’un Règlement de la Commission, que la Commission avait adopté et qu’elle pouvait tout aussi bien défaire. Ensuite le sujet, aisé à comprendre, était très facile à porter auprès de l’opinion publique. Enfin nous étions en pleine campagne des élections européennes, à la veille du renouvellement de la Commission. La Commission et les députés étaient donc très sensibles à leur image dans la presse.

Pour le dossier plantations, nous avions affaire à une décision du Conseil des ministres de l’Agriculture de l’Union européenne. Autrement dit, sa dimension politique était sans commune mesure avec le dossier rosé. Pour amener l’Europe à revenir sur sa décision – car c’est bien de ça dont il s’agissait – il fallait mobiliser une multitude d’acteurs : la Commission européenne, le Conseil des ministres de l’Agriculture de l’UE (donc les 27 Etats membres), le Parlement européen, les élus nationaux et locaux, le syndicalisme à vocation générale et enfin l’opinion publique… Dès le départ, nous savions que le dossier serait lourd, complexe à porter ; qu’il serait à la fois politique et réglementaire. Malgré tout, nous étions quelques-uns à nous dire que ce serait un beau challenge.

Quand la CNAOC décide-t-elle d’entrer dans l’arène ?

A ce stade, un petit retour en arrière s’impose. Très franchement, en 2007, au moment des discussions sur l’OCM vin, la CNAOC avait déjà fait des droits de plantation une de ses priorités. Mais, il est vrai, ce n’était pas la seule. Dans la corbeille de l’OCM vin, se retrouvait la segmentation des vins et la définition de l’AOC, l’interdiction de la chaptalisation, la libéralisation de l’étiquetage ainsi que les aides (restructuration, promotion…). Très intelligemment, Mariann Fischer-Boel avait mis sur la table une réforme qui remettait en cause tous les fondements de la politique menée jusqu’alors. L’ensemble des sujets étaient ouverts, y compris les sujets conflictuels comme l’enrichissement. Ce qui devait arriver arriva ! Les Etats membres se chamaillaient entre eux et les professionnels ne réussirent pas à s’accorder sur des priorités identiques. Du coup, la Commission réussit à faire à peu près ce qu’elle voulait sur un dossier – les droits de plantations – qui constituait pour nous la priorité mais nous étions à eu près les seuls dans ce cas. Avec l’appui de cinq ou six ministres de l’Agriculture réunis à Luxembourg, nous réussîmes quand même à obtenir des décideurs deux choses : que soit repoussé de trois ans l’abandon des droits de plantation (de 2013 à 2016) et que la Commission inscrive dans son agenda le fameux « rapport 2012 » qui devait « ré-ouvrir le débat ». Le curseur avait un peu bougé mais pas suffisamment. Il convient aussi de remettre les choses dans leur contexte. En 2007, le Parlement européen n’était pas encore co-décideur de la politique européenne. Et puis, il faut bien avouer, sur le terrain, la libéralisation des droits de plantation mobilisait peu de viticulteurs. En effet, l’échéance paraissait lointaine. Côté CNAOC, notre stratégie était une stratégie d’opposition. Mais nous nous exprimions au nom des seuls AOC et pas de l’ensemble de la filière. Nous n’avions pas suffisamment assimilé que c’est uniquement par la recherche du consensus que les choses avancent. Recherche de consensus au sein de la filière tout d’abord, mais aussi recherche de compromis avec les décideurs. Certes, nous dialoguions avec nos amis italiens, espagnols et portugais. Mais nous militions au nom de nos organisations nationales respectives et pas au nom d’une organisation européenne. Nous restions quatre organisations nationales.

Le déclic vient d’où ?

p9.jpgEn mars 2010, au cours d’un déjeuner, un journaliste viticole d’origine alsacienne*, germanophone, nous signale que la chancelière Angela Merkel vient de faire une déclaration devant une assemblée de viticulteurs. Dans son discours, deux lignes concernent la libéralisation des droits de plantation. Aussitôt, nous nous mettons en situation d’exploiter cette prise de position. Décision est prise, « politiquement », d’extraire ces deux lignes du discours d’Angela Merkel, et de communiquer pour faire pression sur les pouvoirs publics français et en particulier le président de la République. Au même moment, nous créons en mars 2010 EFOW, la Fédération européenne des vins d’origine. La CNAOC est désignée un peu comme le chef de file d’EFOW. A la vérité, en 2010, il nous paraissait très difficile de faire revenir l’Europe sur sa décision. Avant la prise de position d’Angela Merkel, nous étions plus dans une stratégie d’aménagement du dispositif. De fil en aiguille, l’action de lobbying se met en place. Nous saisissons plus de 150 parlementaires français qui, à leur tour, interviennent auprès du Premier ministre et du président de la République. La chaîne parlementaire LCP aborde l’information ; Arte la reprend. Le sujet devient chaque jour plus politique. La priorité absolue pour nous est la prise de position du président de la république, Nicolas Sarkozy. Nous savons que son intervention aurait un effet d’entraînement certain sur les autres pays viticoles de l’Union européenne. Mais c’est très compliqué d’obtenir une prise de parole publique d’un président de la République. Nous faisons feu de tout bois. Parallèlement aux actions lancées auprès des parlementaires, nous décidons, en novembre 2010, de faire le tour des fédérations viticoles régionales : Fédération des Grands vins de Bordeaux, Fédérations des AOC du Sud-est, SGV à Cognac… Une vingtaine au total. Je passe pas mal de temps à élaborer le diaporama de présentation. Je me dis que si nous voulons entraîner avec nous les relais d’opinions, il faut que les principaux intéressés, les viticulteurs, puissent témoigner en toute connaissance de cause. Ces réunions publiques remportent un certain succès.

Tout compte fait, le président de la République va s’exprimer.

Dans cette affaire, les Jeunes Agriculteurs vont nous donner un sérieux coup de main. N. Sarkozy doit présenter ses vœux en Alsace. Les jeunes viticulteurs sont excédés par le silence de la présidence de la République et annoncent qu’ils organiseront une manifestation à l’occasion du déplacement de Nicolas Sarkozy. La Préfecture en a vent. Alors que les élections se profilent à l’horizon, pas question de courir un quelconque risque politique. Le cabinet rajoute deux lignes au discours du président de la République. Comme nous le pressentions, cette prise de position d’un des deux plus grands pays viticoles européens, qui plus est à travers la voix du chef de l’Etat, va provoquer un sursaut des autres pays. Sujet politique en France, les droits de plantation deviennent potentiellement un sujet politique partout en Europe viticole. Cette intervention du président de la République française était un passage obligé.

Surtout qu’en 2010, vous faites de la majorité qualifiée au Conseil des ministres de l’Agriculture de l’UE l’unique moyen de faire bouger la Commission.

C’est vrai. Depuis le départ, nous étions littéralement obsédés par cette histoire de majorité qualifiée au Conseil des ministres de l’Agriculture de l’UE ; en oubliant un peu vite que la Commission avait seule le pouvoir d’initiative. Mais, rétrospectivement, on se dit que le destin a bien fait les choses. Si, dès le début, nous avions recherché le compromis avec la Commission, nous aurions sans doute été moins ambitieux dans nos revendications. Pour décrocher cette majorité qualifiée au Conseil, nous partons, avec EFOW, à la conquête des autres pays viticoles. Personnellement, j’acquiers vite la conviction qu’il est fondamental de faire partager notre position avec un pays d’Europe centrale. Pendant l’été, je me rends en Hongrie, dans la région du Tokay. Des liens se tissent avec ce grand pays viticole qu’est la Hongrie. Clairement, notre job, à EFOW, consiste à rallier à la cause des droits de plantations le maximum de pays producteurs. Pour les pays non-producteurs, je salue l’action déterminante de la FNSEA. Sur les domaines horizontaux intéressant l’agriculture, la FNSEA était beaucoup mieux placée que nous, syndicats « verticaux ».

J’imagine que, pendant ce temps, vous poursuivez la construction de vos réseaux.

Tout à fait. En avril 2011, la CNAOC organise avec Gérard César, sénateur de Gironde, un colloque européen au Sénat. Y participent plusieurs Parlements nationaux dont celui de la Hongrie. Une belle prise ! Ce jour-là, le ministre de l’Agriculture, Bruno Le Maire, s’exprime en faveur du maintien des droits de plantation. La prise de position du président de la République et ce colloque constituent un tournant. L’Administration va alors commencer à s’approprier le combat de l’encadrement du potentiel de production. Jusque-là, je ne dirai pas qu’elle avait tiré une croix sur la régulation mais, en tout cas, elle ne croyait pas en nos chances. Surtout, elle n’avait pas de « commande politique ». Son soutien sera beaucoup plus ferme par la suite. Par exemple, le ralliement de la Tchéquie en 2011 ou ceux de la Slovénie et de la Bulgarie plus tard, ne sont pas à mettre au crédit de la CNAOC ou d’EFOW mais bien de la diplomatie française. En tant qu’apprentis « lobbyistes communautaires », nous apprenons en marchant. Nous découvrons par exemple que les relations avec les conseillers agricoles des ambassades des pays européens sont importantes et méritent d’être approfondies. Courant 2011, l’Espagne – qui avait voté en 2008 pour la libéralisation des droits de plantation – rejoint le camp des pro-régulation. C’est une grande étape qui est à mettre au crédit d’EFOW et de nos collègues espagnols.

Et du côté du Parlement européen ?

Depuis 2007, le Parlement européen est devenu co-décideur de la politique européenne. Durant l’année 2011, nous intensifions les relations avec le Parlement européen. Les rendez-vous se multiplient à Bruxelles, à Strasbourg, en régions. Parmi les députés européens, nous identifions très vite des personnalités incontournables comme Joseph Daul, Alsacien, président du PPE. A la même époque, nous rencontrons Stéphane Le Foll, membre du PSE et spécialiste des questions agricoles. Michel Dantin est pressenti comme rapporteur de la réforme de la PAC. Il apparaît d’emblée comme un partenaire essentiel, de même qu’Astrid Lulling, présidente de l’Intergroupe vin au Parlement ou José Bové, du Languedoc-Roussillon.

Concrètement, comment établit-on le contact avec ces parlementaires ?

Très simplement. L’EFOW téléphone, sollicite un rendez-vous, rencontre le parlementaire au sujet des droits de plantation. Le plus souvent, ce premier contact est doublé d’un autre rendez-vous dans la circonscription du député, en compagnie, cette fois, de la Fédération régionale des vins. Tandis que les viticulteurs expriment leur mécontentement, nous, en tant qu’organisation, allons assez loin dans l’ingénierie du dossier, y compris sur l’expertise, les positions et les actions à mener. En juin 2011, le Parlement européen déclare que « la décision prise en 2008 n’est pas une bonne décision ; qu’il faut y revenir à l’occasion du rapport de la Commission sur l’OCM vin ». Déclaration très importante pour nous, qui va marquer un nouveau virage.

Pour réviser le texte, on ne parle pas encore de la « fenêtre de tir législative de la réforme de la PAC ».

En effet. En juin 2011, nous en sommes encore à une logique purement « vin » et les décideurs ne veulent pas qu’on revienne sur ce sujet dans la réforme de la PAC. Pourtant, au cours du second semestre 2011, l’idée de profiter de la réforme de la PAC pour réviser les droits de plantation s’impose à eux. Mais, pour progresser, nous savons aussi qu’il faut amener la Commission à bouger et à faire des propositions. L’idée est alors de créer un bruit de fond permanent autour des droits de plantation pour que les décideurs et les politiques restent mobilisés jusqu’au vote final de la PAC. Pour ce faire, il faut mobiliser l’opinion publique et faire de ce sujet un véritable « feuilleton ». Avec l’ANEV (l’Association nationale des élus de la Vigne et du Vin), nous décidons de mobiliser les élus territoriaux. Ainsi 3 000 communes viticoles reçoivent en fin d’année 2011 un kit complet : modèle de lettre au président de la République, au Premier ministre ; modèle de communiqué de presse ; modèle de délibération. Pourquoi une délibération du conseil municipal ? Parce qu’elle remonte automatiquement à la Préfecture qui la fait suivre au Gouvernement. En région, les parlementaires sont invités à participer à des conférences de presse. L’opération fonctionne bien. La presse quotidienne régionale – Sud-Ouest, Midi libre… – relaie la thématique des droits de plantation, une information ensuite reprise par la presse nationale. Des articles paraissent dans Le Monde, Les Echos… A partir de ce moment, la Commission, le commissaire vont se sentir obliger de bouger.

De quelle manière ?

La première initiative de leur part va consister à adresser à tous les Etats membres producteurs un questionnaire très complexe, très technique, sur les droits de plantation. Peut-être cherche-t-on à accréditer la thèse selon laquelle les professionnels auraient du mal à étayer leur position au plan technique. Leurs revendications ne seraient que purement politiques. La profession flaire un piège et le déjoue en répondant au questionnaire.

La deuxième initiative de la Commission est plus sérieuse. Elle consiste à convoquer, à partir de janvier et sur toute l’année 2012 quatre GHN ou Groupes à Haut Niveau, pour « nourrir la réflexion » de la Commission. Là aussi, peut-être la Commission y voit-elle le moyen de gagner du temps ? En tout cas, de notre côté, nous nous investissons à fond dans les GHN. En même temps, nous devons à tout prix maintenir la pression sur les pouvoirs publics français, à l’occasion des élections présidentielles. Si un nouveau président de la République est élu, confirmera-t-il l’engagement pris par son prédécesseur ? Dès son élection, François Hollande s’exprimera sans ambiguïté en faveur de l’encadrement. Pareillement pour le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll. Le 19 mars 2012, nous organisons avec la présidente de l’Intergroupe Vin au Parlement européen et Michel Dantin un grand colloque au Parlement européen, histoire de braquer un peu plus les projecteurs sur les droits de plantation. Y participent neuf ministres de l’Agriculture de l’UE, 450 personnes dont de nombreux parlementaires. De mémoire de députés européens, du rarement vu à Bruxelles. A ce moment-là, Michel Dantin fait une action d’éclat. Il annonce qu’en tant que rapporteur de la PAC, il défendra le maintien du système des droits de plantation sans limite de durée. Un message fort. Pour lui, sans doute est-ce aussi le moyen de dire que, maintenant, il faut compter avec le Parlement européen.

Comment se passent les GHN ?

Les deux premières réunions sont catastrophiques. Lors du deuxième GHN, qui se tient en juillet 2012 à Palerme, la Commission arrive avec une proposition, celle de limiter l’encadrement aux seuls vins AOP et IGP. Je me souviens. Je participais à une réunion professionnelle dans le Val de Loire. J’appelle aussitôt Riccardo Ricci Curbastro, le président d’EFOW et les fonctionnaires du ministère de l’Agriculture, dont Julien Turenne, sous-directeur des produits et marchés au ministère de l’Agriculture. Avec les fonctionnaires français, nous avons appris à travailler main dans la main, dans la plus grande transparence. La synergie est totale entre l’Administration et la profession. Concernant le GHN, les professionnels sont furieux. « C’est du grand n’importe quoi ! » disent-ils. La Commission se rend compte très vite qu’elle est allée trop loin. Quelques semaines plus tard, en septembre 2012, à Budapest, elle rectifiera le tir. Mais le compte n’y est pas encore. Trop de zones d’ombres demeurent. Nous savons qu’il ne reste plus qu’un seul GHN, perçu comme « la réunion de tous les dangers ». La crainte ! « Aller dans le mur » si la Commission se crispe sur ses positions. C’est alors que la profession, excédée, décide de jeter dans la balance son va-tout : la menace d’une grande manifestation à Bruxelles. Le pari est risqué. Saurons-nous faire nombre ? Malgré tout, les professionnels confirment. A mon avis, ce projet de manifestation va jouer comme un électrochoc auprès de la Commission. Elle lâche du lest. Dans cette recherche de conciliation, un homme sera un acteur essentiel pour « trouver une sortie par le haut ». C’est Yves Madre, membre du cabinet du commissaire Ciolos. Le 14 décembre 2012, le dernier GHN se conclut sur une position favorable à l’encadrement ; position qui sera reprise par le Conseil des ministres de l’Agriculture de l’UE les 24 et 25 juin derniers, dans le cadre des accords sur la PAC.

Le résultat obtenu satisfait-il la filière ?

Si on regarde là d’où l’on vient, je crois pouvoir dire que le résultat est globalement inespéré.

A un certain moment, avez-vous douté de l’issue ?

Je ne sais pas mais, à coup sûr, le combat n’a pas été facile. On nous a mis des bâtons dans les roues : « Vous n’y arriverez pas, vous faites de la politique ! » Puis on a cherché à faire diversion. Bernard Farges (président de la CNAOC) nous a soutenus à 400 % et fait confiance : « Allez-y ! » Durant cette période, je me suis senti comme un guerrier.

Quels enseignements tirez-vous de cet épisode ?

J’en retiens plusieurs. D’abord que, pour avoir des chances de faire avancer ses idées, il faut se fixer une ou deux priorités et pas davantage et s’y consacrer. Surtout, il faut une position consensuelle de la filière et avoir à ses côtés nos gouvernements. Il faut aussi le soutien de l’opinion publique, d’où l’obligation de communiquer et communiquer positivement. A meilleure preuve, la filière lait, qui était divisée, a déversé des tonnes de lait devant les préfectures. Cela n’a pas empêché les quotas laitiers de disparaître. L’expertise sur le processus de décision est aussi déterminante. Mais le point le plus essentiel à mes yeux reste le consensus professionnel. En clair, être capable de réaliser le consensus dans sa propre famille. C’est parce que la viticulture a été unie dans ce combat qu’elle l’a emporté. Il fallait se départir d’une posture d’opposition manichéenne. C’est parce que nous avons compris le rôle d’initiative de la Commission que le dossier a pu se débloquer. Autre chose : souvent, on ne mesure pas assez son propre poids politique. Enfin, je crois aux vertus de la pédagogie. Quel que soit le sujet, je suis persuadé qu’il est très important de le mettre à la portée de tous. Pour que les gens s’approprient une cause, ils doivent la comprendre. Et je rajouterai un élément. La filière viticole a une grande chance, celle de posséder des régions à très forte notoriété. Entendre parler du Champagne, du Cognac, du Bourgogne ou du Bordeaux, ça ne laisse personne indifférent.

Aujourd’hui, à votre avis, quels dossiers prioritaires attendent la viticulture ?

J’en citerai deux, que j’appellerai « structurants » pour la filière : celui du bilan de la Commission sur la réforme de l’OCM Vin de 2008 et celui de l’accord UE/USA de libre-échange. En 2008, la réforme de l’OCM vin a été construite sur l’idée de mieux développer des vins sans IG. Ce n’est pas une aberration en soi mais cela ne doit pas se faire au détriment de notre modèle, construit principalement sur les AOC et les IGP. Le débat des vins sans IG ne fait que s’ouvrir. Quant à l’accord de libre-échange UE/USA, je n’insisterai pas sur les enjeux considérables qu’il charrie. De manière plus globale, je m’interroge. En Europe, le maintien d’un encadrement des droits de plantation jusqu’en 2030 – qui représente malgré tout un régime d’exception – va-t-il constituer un exemple pour les autres filières et ouvrir à nouveau le débat sur la régulation ? Ou va-t-il, au contraire, refermer la voie de la régulation en agriculture pour déboucher sur plus de libéralisme ? Ces questions « existentielles », je pense que les agriculteurs devraient se la poser. En faisant preuve, le cas échéant, d’anticipation.

* Bertrand Collard, rédacteur en chef de « La Vigne ».

Bio express
Originaire de Franche-Comté, Pascal Bobillier-Monnot a fait des études de droit. Il débute sa vie professionnelle comme attaché parlementaire, en circonscription et à Paris. En 1998, il entre à la CNAOC. Il en devient le directeur en 2000.

Le nouveau système d’autorisation préalable de plantation
Date d’entrée en vigueur : 1er janvier 2016.
Droits de plantation en portefeuille : la transformation en autorisations de plantations nouvelles des droits de plantation en portefeuille pourrait bénéficier d’un délai supplémentaire, jusqu’en 2020 – Proposition en discussion aujourd’hui.
Replantations : autorisation automatique.
Durée de validité des autorisations de plantation nouvelle : 3 ans.
Valeur patrimoniale : autorisations non cessibles.
Plafond annuel d’augmentation : 1 % par an, avec possibilité, pour les Etats membres, de minorer ce plafond. Péréquation envisageable entre régions à l’intérieur d’un pays membre.

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